PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 7 - Duels (V.1 ~ 3650 SEC)

Phanthom a écrit:Merci Tak A la morgue, il n'y a que des psychopathes qui s'ignorent (ou pas) ah ah ah

Phanthom a écrit:

18h30. Le dernier des quatre membres de l'équipe du jour me salue et quitte la morgue. Me voilà seul jusqu'à vingt heures. Les cellules réfrigérées ne se sont pas beaucoup remplies aujourd'hui encore. Période creuse. Plus qu'à jouer les femmes de ménage pour tuer le temps. Je me rends dans le local ménage pour acheminer le chariot devant l'entrée de la salle de pause, adjacente à celle « des frigos », comme on l'appelle. MP3 lancé, j'entame le traitement des surfaces. Calogero m'accompagne dans cette corvée, toutefois préférable à l'ennui.
Entre deux chansons, le silence me laisse percevoir un gémissement. Je m'arrête tel un animal en état d'alerte, retire un écouteur et tend l'oreille quelques secondes. Une seconde plainte se fait entendre. Cela semble provenir des frigos. Je pose mon matériel et pars m'enquérir de la nature de cette bizarrerie. Debout au centre de la pièce, sous le tue-mouches électrique, j'attends la prochaine expression de dolence, une minute plus tard.
Déconcerté, je m'empresse de vérifier le contenu de la colonne C, dans laquelle ne repose que le corps d'un vieux monsieur, décédé en maison de retraite et arrivé dans nos locaux en milieu d'après-midi. Il gît costumé sur le plateau en inox, enveloppé dans un drap blanc, parfaitement immobile. À quoi m'attendais-je d'autre ? Un remake à la française de The Walking Dead ?
Alors que j'empoigne la porte pour la rabattre, j'aperçois dans l'ombre de la colonne de gauche – toutes communiquent – au niveau de la rangée inférieure, un subtil mouvement de drap.
— Oh putain ! lâché-je, plus surpris qu'apeuré.
Je referme la colonne C, ouvre sa voisine, manipule le chariot de sorte que les bras s'insèrent dans les rails et tire le plateau de la B4. Je jette un œil à l'étiquette rose cartonnée laissée à ses pieds : GARILLET Mauricette, 102 ans.
La ventilation gronde en fond tandis que j'examine sa cachexie, sans contact direct. Les doigts de sa main gauche bougent sous le drap. Aucun doute possible. Les spasmes et autres résidus d'influx nerveux environ deux heures après le décès, ça n'existe pas dans notre dimension. Je sors le plateau complètement, referme la porte et positionne la centenaire décharnée et tortueuse au cœur de la pièce. Le drap replié sur ses jambes, il ne lui reste que la chemise et le change, taille S. Ses phalanges ondulent et ses paupières s'animent à leur tour, puisant dans quelque force pourtant tarie.
Elle geint à nouveau. Que faire ? J'ai déjà entendu parler d'erreurs médicales induites par un état de faiblesse cardiaque exacerbée, de ces pouls d'à peine quelques dizaines de battements minute qui faussent le constat de la mort. Tout se bouscule dans ma tête. Mes neurones flambent. Je pense à la famille qui pleure peut-être après l'annonce du décès ; au médecin, qui risque un procès ; aux histoires à la con qui vont circuler à droite à gauche ; au devenir de cette pauvre femme qui ne devait plus qu'attendre sa fin, cloîtrée dans sa chambre, à regarder le plafond, puis les murs pour changer, pour ne pas aggraver ses escarres sacrée et talonnières. Sans parler des conditions de sa survie.
Non. Je ne peux pas leur faire ça, à tous. À quoi bon remuer le couteau, provoquer un tollé et briser des vies juste pour une ou deux années de rab, résumées par la souffrance et la solitude. Non… C'est plus fort que moi.
Je respire un grand coup, me gante, pose la paume sur la bouche aride et croûteuse de la pauvre femme et pince son nez entre le pouce et l'index. Je suis désolé madame, mais c'est mieux ainsi. Pour tout le monde.
Personne n'en saura rien. Parfois, le bon sens doit prévaloir sur l'éthique et la morale.