PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 6 - Madame Fernand (V.1 ~ 3900 SEC)
Page 1 sur 1
PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 6 - Madame Fernand (V.1 ~ 3900 SEC)
Les autres Petites Histoires seront publiées en une seule fois lorsque l'ensemble sera terminé. Sinon, tout sera sur Scribay.
Madame Fernand, gentille commère à renommée locale, laissait refroidir sa quiche lorraine aux herbes. Veuve, elle vivait désormais seule dans son modeste pavillon malgré les ravages de la maladie d'Alzheimer. Ses enfants repoussaient tant bien que mal l'heure fatidique du placement et palliaient aux défaillances de sa mémoire en usant et abusant de post-its. Murs et meubles en étaient recouverts. Avec son traitement, elle parvenait à conserver des moments de lucidité, comme ce matin, à l'arrivée de son facteur favori. Elle ouvrit la fenêtre de cuisine pour recevoir son courrier et offrir une part de sa tarte.
— Bonjour, mon p'tit Jean. Comment allez-vous ?
— Ah ! Bonjour madame Fernand. Bien et vous ? J'ai une carte postale pour vous.
— Tiens ? Qui ça peut bien être ?
Le facteur, connaissant la vieille dame et son état de santé, regarda les signatures.
— C'est votre fils et sa femme. Ils sont en vacances en Dordogne.
— En plein hiver ?! Mais ils sont fous !
— Regardez le thermomètre, madame Fernand. Il fait vingt-cinq ce matin.
— C'est de votre fils la carte postale, c'est ça ? Bon. Je ne vais pas vous mettre en retard. Ah, avant que j'oublie, je vous ai préparé un bout de quiche aux herbes. (Elle ramassa le quart, emballé dans de l'aluminium). Vous n'aurez qu'à le déposer chez vous pendant votre tournée avant que ça tourne. C'est sur votre chemin.
— Merci beaucoup ! Oui, je n'y manquerai pas. Je la mangerai ce soir avec ma femme. Je dois vous laisser. A demain, madame Fernand.
— Bonne journée, mon p'tit Jean.
L'octogénaire en blouse bleue referma la fenêtre de ses doigts crochus et chercha pendant quinze minutes la quiche qu'elle venait de poser sur la table du salon. Sa D.M.L.A. avait considérablement réduit son acuité visuelle, mais elle demeurait suffisamment autonome pour ne pas finir dans un mouroir. Elle rangea sa préparation dans le frigo et vaqua à ses occupations d'intérieur et d'extérieur.
Sa fille, Géraldine, passa à l'improviste en milieu d'après-midi, histoire de s'assurer que sa mère se portait bien. Elle la retrouva assise sur le banc du jardin, entourée de touffes de myosotis. L'orage de la nuit avait éparpillé les seaux, les pots à semis vides et les étiquettes descriptives mal accrochées à certaines plantes et herbes aromatiques. Elle remit de l'ordre dans tout ça et discuta avec sa mère avant de repartir, elle aussi, avec un bout de la quiche. La moitié. Pour toute la famille.
A midi, l'ancienne cuisinière omit de déguster sa propre réalisation et ouvrit une conserve de Raviolis qu'elle chauffa au micro-ondes. Jean-Luc Reichmann lui tiendrait compagnie pendant le repas et jusqu'au début de sa sieste. Le reste de la journée fut à l'image des autres.
Le lendemain matin, elle attendait son « p'tit Jean », derrière son rideau, pour lui donner un bout de quiche, pensant qu'elle ne l'avait pas encore fait. Elle se rendit alors compte, surprise, qu'il n'en restait presque plus. Mais c'était une femme sympathique et généreuse, fidèle à elle même malgré sa dégénérescence cérébrale. Elle offrirait tout, quitte à s'en priver.
— Bonjour madame. J'ai une lettre pour vous. Voilà, bonne journée. Au revoir !
— Bonjour monsieur. Ce n'est pas Jean aujourd'hui ?
— Ah malheureusement, il est à l'hôpital. Ça a l'air très grave.
— Ah bon, qu'est-ce qu'il est là ? demanda-t-elle, déconfite.
— Je peux pas vous en dire plus. C'est tout ce que je sais.
— Je voulais lui donner ce bout de quiche. Vous en voulez ?
— Ah, c'est pas de refus. En plus, j'adore ça.
— Vous verrez. Je rajoute toujours un peu de thym dedans.
— Eh bien merci. Le devoir m'appelle. Je me sauve. Au revoir, madame.
— Au revoir, monsieur.
Madame Fernand adorait rajouter les herbes du jardin dans ses recettes. Elle se fiait aux étiquettes pour leur récolte. Quelle sotte idée que d'avoir planté l'aconit à proximité du thym...
Madame Fernand, gentille commère à renommée locale, laissait refroidir sa quiche lorraine aux herbes. Veuve, elle vivait désormais seule dans son modeste pavillon malgré les ravages de la maladie d'Alzheimer. Ses enfants repoussaient tant bien que mal l'heure fatidique du placement et palliaient aux défaillances de sa mémoire en usant et abusant de post-its. Murs et meubles en étaient recouverts. Avec son traitement, elle parvenait à conserver des moments de lucidité, comme ce matin, à l'arrivée de son facteur favori. Elle ouvrit la fenêtre de cuisine pour recevoir son courrier et offrir une part de sa tarte.
— Bonjour, mon p'tit Jean. Comment allez-vous ?
— Ah ! Bonjour madame Fernand. Bien et vous ? J'ai une carte postale pour vous.
— Tiens ? Qui ça peut bien être ?
Le facteur, connaissant la vieille dame et son état de santé, regarda les signatures.
— C'est votre fils et sa femme. Ils sont en vacances en Dordogne.
— En plein hiver ?! Mais ils sont fous !
— Regardez le thermomètre, madame Fernand. Il fait vingt-cinq ce matin.
— C'est de votre fils la carte postale, c'est ça ? Bon. Je ne vais pas vous mettre en retard. Ah, avant que j'oublie, je vous ai préparé un bout de quiche aux herbes. (Elle ramassa le quart, emballé dans de l'aluminium). Vous n'aurez qu'à le déposer chez vous pendant votre tournée avant que ça tourne. C'est sur votre chemin.
— Merci beaucoup ! Oui, je n'y manquerai pas. Je la mangerai ce soir avec ma femme. Je dois vous laisser. A demain, madame Fernand.
— Bonne journée, mon p'tit Jean.
L'octogénaire en blouse bleue referma la fenêtre de ses doigts crochus et chercha pendant quinze minutes la quiche qu'elle venait de poser sur la table du salon. Sa D.M.L.A. avait considérablement réduit son acuité visuelle, mais elle demeurait suffisamment autonome pour ne pas finir dans un mouroir. Elle rangea sa préparation dans le frigo et vaqua à ses occupations d'intérieur et d'extérieur.
Sa fille, Géraldine, passa à l'improviste en milieu d'après-midi, histoire de s'assurer que sa mère se portait bien. Elle la retrouva assise sur le banc du jardin, entourée de touffes de myosotis. L'orage de la nuit avait éparpillé les seaux, les pots à semis vides et les étiquettes descriptives mal accrochées à certaines plantes et herbes aromatiques. Elle remit de l'ordre dans tout ça et discuta avec sa mère avant de repartir, elle aussi, avec un bout de la quiche. La moitié. Pour toute la famille.
A midi, l'ancienne cuisinière omit de déguster sa propre réalisation et ouvrit une conserve de Raviolis qu'elle chauffa au micro-ondes. Jean-Luc Reichmann lui tiendrait compagnie pendant le repas et jusqu'au début de sa sieste. Le reste de la journée fut à l'image des autres.
Le lendemain matin, elle attendait son « p'tit Jean », derrière son rideau, pour lui donner un bout de quiche, pensant qu'elle ne l'avait pas encore fait. Elle se rendit alors compte, surprise, qu'il n'en restait presque plus. Mais c'était une femme sympathique et généreuse, fidèle à elle même malgré sa dégénérescence cérébrale. Elle offrirait tout, quitte à s'en priver.
— Bonjour madame. J'ai une lettre pour vous. Voilà, bonne journée. Au revoir !
— Bonjour monsieur. Ce n'est pas Jean aujourd'hui ?
— Ah malheureusement, il est à l'hôpital. Ça a l'air très grave.
— Ah bon, qu'est-ce qu'il est là ? demanda-t-elle, déconfite.
— Je peux pas vous en dire plus. C'est tout ce que je sais.
— Je voulais lui donner ce bout de quiche. Vous en voulez ?
— Ah, c'est pas de refus. En plus, j'adore ça.
— Vous verrez. Je rajoute toujours un peu de thym dedans.
— Eh bien merci. Le devoir m'appelle. Je me sauve. Au revoir, madame.
— Au revoir, monsieur.
Madame Fernand adorait rajouter les herbes du jardin dans ses recettes. Elle se fiait aux étiquettes pour leur récolte. Quelle sotte idée que d'avoir planté l'aconit à proximité du thym...
Sujets similaires
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 2 - Nénette (V.1 ~ 4250 SEC)
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 3 - L'hôtel (V.2 ~ 4170 SEC)
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 5 - Lila (V.1 ~ 3800 SEC)
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 7 - Duels (V.1 ~ 3650 SEC)
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 1 - L'anniversaire de Charlie (V.2 ~ 4260 SEC)
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 3 - L'hôtel (V.2 ~ 4170 SEC)
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 5 - Lila (V.1 ~ 3800 SEC)
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 7 - Duels (V.1 ~ 3650 SEC)
» PETITES HISTOIRES D'OUTRE-CRYPTE : 1 - L'anniversaire de Charlie (V.2 ~ 4260 SEC)
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum