HISTOIRE D'ÂMES
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Nao76
Catherine Robert
FRançoise GRDR
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L'Écritoire des Ombres :: CONCOURS DE L'ÉCRITOIRE DES OMBRES :: Archives des concours :: Concours N°22 : Trois thèmes au choix
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HISTOIRE D'ÂMES
Bonsoir bonnes âmes
Je vous livre ce texte sur le thème : Illusion hallucination (21 361 signes)
Histoire d'âmes
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Histoire d'âmes
- HISTOIRE D'AMES :
- Histoire d’âmesPierrick, armé de son appareil photo dernier cri, arpente d’une allure rapide la route principale d’un bourg de campagne. Il vient souvent se ressourcer ici après son épuisante semaine de travail. Il a l’intention de figer ce cadre idyllique sur sa carte SD pour la première fois, car il aime particulièrement cet endroit.Revenant sur ses pas, Pierrick, préoccupé par ses visions funestes, interpelle sa compagne qui n’a pas bougé :
La beauté et le silence qui enveloppent les paysages de cette localité valent le déplacement depuis la ville où il loue une sorte de garçonnière ; plus encore, il sait qu’il va retrouver à chaque fois Emma, la poétesse, sa muse. Si gracieuse et juvénile. Même pas vingt ans.
En effet, elle le rejoint, vêtue d’une robe légère de coton intemporelle, si ample et longue qu’elle se gonfle au moindre vent et la fait ressembler à une déesse antique flottant sur un nuage de tulle immaculé. Son visage aux traits fins et au sourire timide le font craquer. Leur idylle commence à peine et il espère qu’elle durera longtemps. Il apprécie sa présence apaisante et ses longs cheveux mal coiffés. Ondulés, de couleur auburn, ils brillent avec liberté au soleil et les petits éclats lumineux lui réchauffent le cœur. Ses yeux clairs quand ils le fixent, semblent refléter un mal-être qui le déroute parfois. Il lui sourit et la laisse se promener à sa guise.
Emma peine à s’intéresser à ce qui se dresse là, les demeures restaurées, les églises, à ce qui lui plaît à lui. Malgré cela, elle veut bien prendre l’air pour respirer à pleins poumons les effluves printanières en ce début avril. Pourquoi aime-t-elle tant être dehors ? Elle s’y sent libre ! C’est cela, libre !
Son regard détaille pourtant certaines fermes anciennes. Des longères ont retrouvé une nouvelle jeunesse. Les façades à pans de bois et poutres apparentes se parent de couleurs ou de couches de vernis chatoyants tandis que les majestueuses toitures coiffées de dômes aux subtils tons rouges apportent un charme désuet. Ces propriétés donnent envie de s’y arrêter et de les admirer. Quelques-unes présentent un nombre impressionnant de pièces de céramique sur leur mur de pierre taillée. C’est quand même trop chargé à son goût. Dommage que les gens aiment en mettre plein la vue aux passants.
Puis, elle remonte la rue et se prend au jeu de dénicher la plus surprenante d’entre toutes. Elle les observe comme si elle les voyait pour la première fois.
En remontant une petite rue flanquée de bâtisses et de terrains arborés, la jeune fille s’arrête soudain face à une construction qui vient de se matérialiser. Elle a l’impression que l’espace s’est empli de blocs de pierres au moment où elle s’arrêtait devant. Ils surgissaient de nulle part, édifiant par morceaux une habitation qui pourrait dater du siècle dernier. La corrosion a attaqué les rambardes d’un escalier central et les panneaux des volets occultant les fenêtres. Nombreuses. Une dizaine sur plusieurs étages.
Cette ancienne maison aux volets rouillés, très quelconque et vétuste n’a aucun cachet, comparée aux autres belles demeures alentour. Une anomalie, une verrue au milieu d’un voisinage charmant.
Pourquoi cette chose est-elle apparue aujourd’hui alors qu’elle vit dans le coin avec sa tante d’adoption depuis plusieurs années ? Vivre est un bien grand mot, survivre serait plus exact. Elles occupent un petit bungalow sur le terrain de camping de la commune. Tante Yvonne ne veut pas qu’elle invite qui que ce soit ; elle a honte de ne pas être en mesure de recevoir à cause des problèmes d’argent, mais aussi de ses pertes de mémoire qui s’accentuent graduellement.
Au fur et à mesure de son observation, un tsunami d’émotions l’envahit. Elle qui réussit le plus souvent à rester stoïque ou indifférente lorsque le stress ou l’angoisse pointe son nez.
La très jeune femme reste là, subitement scotchée à cette habitation, happée et perdue dans ses pensées. Sa respiration se ralentit tandis qu’elle glisse vers un état second.
Pierrick s’étonne un peu de la voir ainsi, le regard vague, devant une friche abandonnée, c’est-à-dire rien d’extraordinaire. Depuis qu’il la connaît, il s’est fait une raison, devant son habitude à rêvasser. Son esprit divague souvent et c’est pour cela qu’il l’aime.
À quelques mètres de là, le jeune homme a filmé un domaine merveilleusement aménagé avec pelouse épaisse, moulin, statue de marbre, petit pont en dessous duquel serpente un ruisseau devenant cascade. Sur ce terrain, trône une résidence à plusieurs étages, au crépi clair, moderne et aux fenêtres ornées de volets de bois de qualité. Bien sûr, les propriétaires n’ont pas lésiné sur la végétation. Plantes et arbustes agrémentent dans un parfait souci d’équilibre les abords de l’édifice ainsi que des espaces étudiés avec des essences de végétaux complémentaires. Une merveille pour les yeux.
En face de l’endroit sans intérêt qui absorbe sa compagne, un lavoir dont on aperçoit la toiture en contrebas de la rue lui donne envie de l’immortaliser sous différents cadrages. Celui-ci, entouré d’eau stagnante, ressemble lorsque l’on descend les dizaines de marches menant en son centre, à un patio ou une sorte de cloître à la structure de bois. Des cygnes glissent sans bruit sur l’eau verdâtre. Un déversoir emplit un autre lieu plus loin. Le clapotis berce et calme. Pierre pourrait rester longtemps à admirer les jeux d’ombres et de lumière qu’il essaie de capter avec son appareil. Il croit distinguer le visage d’Emma au fond de l’eau, ses cheveux éparpillés autour d’elle, s’en détourne rapidement en proie à une crainte infondée. Pourquoi la voit-il parfois comme flottant sur l’onde, sans vie ?
— Emma, tu rêves ?
Il aimerait la secouer, qu’elle lui montre toute sa joie de vivre. Mais, il n’en fait rien. Comme elle ne réagit pas, il n’insiste pas. Dépité, il s’éloigne plus loin car il sait qu’elle ne l’écoutera pas. Où son esprit l’entraîne-t-il ?Devant cette habitation tout ce qu’il y a de plus commun, elle se tient immobile, submergée par un sentiment de déjà-vu. Une cour toute bête de graviers gris, un escalier aux rampes de ferraille et des volets métalliques deviennent des éléments hautement sensibles. Deux étages et un sous-sol la renvoient intuitivement à un passé qui remonte du fond des âges cherchant à l’entraîner, elle se demande bien où.
La bâtisse pourrait être une mairie… ou une école, un lieu de cure thermale, un centre de vacances du siècle dernier ?
Un portail à l’ancienne en fer forgé ferme l’espace entre la rue et la cour. L’impression d’ensemble lui donne le tournis et envie de vomir tout à coup.*Pierre continue à photographier les alentours, puis se dirige vers le parvis de l’église où sa voiture est garée. Il attend Emma. Va-t-elle se décider à revenir lui dire au revoir ? Il se fait tard et la plupart du temps, elle doit rentrer vite auprès de sa tante.
Avec détermination, il repart à l’endroit où elle se tenait figée. Ne la trouve pas. A-t-elle réussi à franchir le portail d’une de ces résidences ? Se promène-t-elle à l’intérieur d’une propriété privée ? Pas son genre ! Il arpente la rue du début à la fin, revient au parking, ouvre la portière de la voiture qu’il n’a pas verrouillée. Personne. Que faire ? Ce n’est pas la première fois qu’elle agit de la sorte. Son étonnement ne dure pas, car elle se montre souvent ainsi, insaisissable telle une comète scintillante dont on ne peut se détacher.
Il aimerait l’embrasser et lui montrer son amour une dernière fois avant de la quitter. Elle refuse d’aller chez lui, car elle ne supporte pas d’être enfermée et encore moins de laisser sa parente seule trop longtemps.
C’est si romantique quand elle l’entraîne derrière les meules de foin ou dans la forêt, en pleine nature.
Il a confiance, elle le rejoindra d’une manière ou d’une autre. Il ne sait plus très bien comment il l’a rencontrée. Au détour d’une allée, elle est apparue, si triste, mais si belle. Inquiétante étrangeté. Il en est tombé amoureux à la seconde. Il l’a suivie telle une âme en peine au détour d’une rue. Elle apparaît, puis disparaît. Pourquoi toujours ici ? Et lui, qu’est-ce qui l’attire particulièrement à cet endroit ?*Emma se voit avancer sur les cailloux, un bouquet de fleurettes à la main. Ou plus précisément, projeter. Ce n’est pas vraiment elle, plutôt une personne ayant vécu ici, il y a longtemps. Une jeune fille. Une de ses ancêtres ? Celle-ci aurait tant aimé être comprise. Un désarroi intense l’accable. Une voix féroce l’accueille :
— Encore partie traîner avec ce voyou ? Mauvaise fille ! C’est fini, tu ne nous échapperas plus.
Emma se sent agrippée par le bras violemment. Elle lâche les bleuets et les coquelicots qui s’éparpillent sur le dallage avec grâce. Une poigne d’acier s’enfonce dans ses chairs. On lui attrape les cheveux. Elle ne peut que basculer en arrière.
Sa mère surgit en haut de l’escalier. Elle ajoute d’une voix maniérée :
— Tu sais très bien qu’on a arrangé un mariage avec le fils du notaire. Tu dois nous écouter sinon…
La situation qu’Emma vit au travers de cette autre est profondément dramatique. Elle se sent perdue contre cet homme qui la maintient au point qu’elle manque d’étouffer. Va-t-elle se rebeller ? Non, elle se garde d’aggraver son cas. Il y a un secret intime enfoui à l’intérieur d’elle-même : l’attirance pour un garçon, Jean, fils de paysan, qui l’a entraînée derrière une botte de paille pendant sa pause de midi. Il ne faut pas le révéler car leur amour serait sali. La fille garde ce moment où il l’a embrassée, puis basculée fougueusement, au fond de son cœur qui palpite d’émotions joyeuses. Elle fait face à ce bonheur tabou en même temps qu’à un déferlement de colère parentale. C’est trop et des larmes inondent son visage.
Pendant que la malheureuse cherche à se protéger à l’aide de ses avant-bras, son père la soulève et l’emmène à l’étage. La mère a déjà ouvert la porte de la chambre de sa fille. Il la jette sur un lit situé au fond d’une pièce aux volets clos. Repart sans un mot. Ferme le battant de la porte. Elle perçoit le bruit d’une clef qui tourne dans la serrure et se retrouve captive à l’intérieur d’une chambre désormais close.
Est-ce la nuit ? Il fait sombre à présent. Elle ne peut pas dormir, guette si des pas s’approchent de sa prison. Oui, elle ressent qu’aucune possibilité ne lui sera donnée de s’échapper.
« Manon ! » la voix de son amoureux traverse le mur où elle se tient en alerte. L’oreille collée à la vitre noire, elle écoute les coups contre le volet fermé. Des petits cailloux que lance Jean depuis l’arrière du logement. Elle essaie d’ouvrir la fenêtre. Elle est bloquée. Elle crie : « Je suis enfermée ! ». Elle se rappelle les premières rencontres avec ce garçon si tendre. Pendant le bal du samedi où tous se réunissent, même les bourgeois qui boivent de l’alcool fort. Elle pouvait y aller, accompagnée de son oncle qui après de nombreux verres roulait sous la table, la laissant tranquille. Elle rit et elle pleure, tout à la fois. Elle entend hurler : « tais-toi ou tu vas le regretter ! »
Personne ne viendra à son secours. Monotonie de gestes cent fois répétés. Se laver quand une servante lui apporte une bassine d’eau froide et un morceau de savon. Manger ce qu’on lui donne, souvent pas grand-chose.
Un jour, elle doit se préparer afin de rencontrer ce futur mari qu’elle rejette. « Fais bonne impression si tu veux gagner ta liberté. » Elle refuse de se comporter comme ils l’ordonnent.
Les jours passent et les punitions pleuvent, celles où elle est privée de repas. Sans eau. Le mariage avec cet ennuyeux Charles, fils de bonne famille, un bon parti, c’est toujours non !
La soif et la faim l’affaiblissent. Elle a des nausées et ne pourrait avaler quoique ce soit certains matins. Elle n’a plus de repères. Surtout quand on la laisse seule pendant des heures. Est-ce le jour ou la nuit ? Le matin ou le soir. L’été est-il terminé ? Oui sans doute car la température baisse. Elle grelotte, déniche une couverture et s’emmitoufle dedans. Ses mains cherchent l’interrupteur qui fonctionne. Elle saute et gesticule pour se réchauffer. Elle frotte ses doigts glacés pour pouvoir dessiner ou écrire dans son cahier posé sur une table basse. Ainsi, elle oublie tout, sauf Jean.
Malgré le manque de nourriture, son ventre s’élargit. Sa poitrine grossit. Un être s’y développe. Elle en est certaine. Depuis qu’elle est enfermée là, ses lunes se sont arrêtées. Un signe. Il va changer son horizon qui se peint en rose. Un bébé de Jean ! Quel drôle de tour me joue le destin. Un cadeau empoisonné ! Que va-t-il devenir ? La joie fait place à la peur en alternance.
Ceux qui font office de geôliers surveillent l’avancée de sa grossesse. Ils disent que l’enfant sera remis à la paroisse. Il est hors de question de le garder !
Le reste demeure flou. Elle ressent des douleurs intenses à l’intérieur de son ventre, un déchirement soudain, entend à peine le vagissement du nouveau-né, puis ressent un liquide poisseux qui coule à flots de ses entrailles. Avant de se laisser emporter dans les limbes inconscients, son esprit se demande si Manon est morte en couche.*Finalement, Pierrick s’inquiète de ne pas voir sa chérie revenir. Pourquoi n’est-elle pas encore là ? Il décide d’explorer à nouveau les alentours en partant de l’endroit où était Emma. Il sort en trombe de sa voiture et se met à courir jusqu’au terrain en friche. Son cœur bat la chamade lorsqu‘il arrive devant ce lieu de désolation. Peut-être a-t-elle traversé la zone et s’est-elle blessée ?...ou alors elle est tombée au fond d’un trou, s’est tordu la cheville ou… Il énumère tous les incidents possibles faisant monter en puissance son angoisse. Elle ne le quitte jamais sans prévenir, ce n’est pas encore arrivé en tous cas… Il se force à stopper ses pensées noires du mieux possible.
Trouvant un sentier couvert d’herbes folles sur sa droite, il le suit avec précaution, ce qui lui permet de se calmer. Au bout d’un moment qui lui semble une éternité, il pense à rebrousser chemin quand le passage change d’aspect et devient tout à coup une allée bordée d’arbres majestueux débouchant sur une petite route. Il suppose qu’il est parvenu en limite de propriété. Pas d’Emma de ce côté-ci ! Il lui faut se rendre à l’évidence et revenir à son point de départ.
L’amoureux transi s’apprête à retourner d’où il est venu. Il fait quelques pas, l’esprit encombré d’idées pessimistes au sujet d’Emma. Une bâtisse ou plutôt l’arrière de celle-ci, car aucun escalier ou porte d’entrée ne figure sur la façade, apparaît en plein milieu du terrain. Il s’y dirige comme absorbé par une boucle temporelle. Ce n’est pas lui qui agit, c’est un autre. Un fils de paysan d’il y a quelques décennies.
Des fenêtres aux volets métalliques fermés lui renvoient une image chargée de douleur. En particulier, celle où il a l’habitude de rester des heures devant cette maison, après avoir quitté la fille qu’il aime plus que tout. Car il n’est pas accepté par la famille de celle-ci. Il se baisse pour ramasser une poignée de cailloux. Il veut à tout prix des nouvelles de Manon. Ce prénom résonne tel un doux carillon au creux de son cœur. De désespoir, il lance un jet de ces petites pierres contre le volet clos, celui où parfois Manon apparaît en lui envoyant un baiser. Il appelle : « Manon ! », plusieurs fois. Il ne supporte pas de ne pas la voir.
Des chiens surgissent. Il doit déguerpir. Le voilà haletant sur la petite route qui le mène vers une direction qu’il ne connait pas.
Tremblant de la tête aux pieds, Pierrick parvient à échapper aux molosses qui stoppent net à la lisière de la propriété et disparaissent avec le manoir sans laisser de traces. A-t-il rêvé ? Qui est Manon ?
Pourquoi a-t-il hurlé ce prénom ? Il ne fréquente personne qui s’appelle ainsi.
Cette partie inconnue du village qu’il traverse le perturbe ; il se sent aussi démuni qu’un émigré en terre étrangère. Ses jambes le portent à peine. Où se diriger pour enfin atteindre le parking ? Des champs à perte de vue ne lui indiquent aucune piste. Combien de temps marche-t-il ? Il a l’impression d’avaler des kilomètres depuis des lustres. Au fur et à mesure de ses pas, il oublie la raison qui l’a amené là.*Pierrick, à force de volonté, réussit à rejoindre le centre du bourg et reconnaît les différentes rues explorées maintes fois. Là, si je tourne à gauche, que je continue tout droit jusqu’à la boulangerie, je verrai la place de l’église, et je suis arrivé.
Il se précipite vers sa voiture, une Toyota noire. En voyant Emma à l’intérieur, assise sur la banquette arrière, la pression retombe. Il prend une profonde respiration, car il a l’impression que son corps va le lâcher. Ses muscles douloureux le rappellent à l’ordre et le ramènent derrière cette bâtisse qui n’a jamais existé.
Quel est le sens de tout ça ? Est-ce qu’il va lui raconter ? Non, elle ne comprendrait pas, surtout qu’il prononçait un autre prénom... Manon ? Vraiment, c’est idiot ! Cette évocation lui donne la chair de poule.
Il s’installe à côté d’elle, sur sa gauche, observe ses cheveux qui cascadent le long des épaules. Le soleil couchant illumine encore le ciel et son doux visage appuyé contre la portière. Il n’ose faire un geste de peur de la surprendre. Est-ce qu’elle dort ? En tous cas, elle respire.
Le jeune homme incline la tête, fixant la courbure en dessous de sa poitrine que le tissu tendu de la robe laisse deviner. Depuis quelques mois, elle affirme qu’un bébé se développe en elle. Lorsqu’il caresse la peau douce de son ventre, il ne sent rien de particulier. Cela le rend perplexe. Elle serait proche du terme, dit-elle. Non, ce n’est pas possible.
C’est dans sa tête. Il ne lui dira pas ce qu’il en pense. Pour ne pas voir des larmes qui perlent sur ses joues. Cette petite est trop sensible. Il se dit qu’il faudrait la photographier un jour. Difficile, car elle ne veut pas, déteste les clichés qui lui font penser à des morts.
La jeune fille ne bouge pas. Profondément choquée, elle a refoulé l’horreur d’un châtiment extrême. Par contre, une sensation de froid intense enveloppe chacun de ses organes. Elle change de position et vient se blottir contre Pierrick qui ne se fait pas prier pour la serrer au creux de ses bras. Il sent qu’elle grelotte et tente de la réchauffer en frottant le haut de son corps, puis il attrape un plaid avec lequel il l’enveloppe entièrement. Elle ne réagit pas, se laisse faire telle une poupée de son. Il enlace sa bienaimée, l’esprit chaviré. Il se remémore son geste de lancer des cailloux contre un volet fermé, de crier ce prénom, Manon. Est-ce qu’il a rêvé ? Ou bien… Oui, il se rappelle, il avait peur pour Emma. Le stress l’a sûrement fait disjoncter.
Très éprouvé, Il l’étreint avec l’énergie du désespoir, s’accrochant à elle telle une bouée au milieu de la tempête. Il ne veut pas la perdre !
Du bout de ses lèvres bleuies, son amoureuse remercie. Elle entrouvre brièvement les yeux. Il remarque qu’ils n’ont plus le même éclat, qu’ils ont pris une teinte foncée. Est-ce l’effet du refroidissement qui s’est emparé d’elle ? La fatigue ?
Pierrick est partagé ; il aimerait la ramener chez lui, mais il sait qu’elle ne voudra pas. La mort dans l’âme, il lui propose donc de la déposer vers le camping. De toute façon, il doit rentrer en ville, car demain il travaille à l’usine. De la voir ainsi, comme en état de sidération, le démoralise. Elle acquiesce d’un mouvement de tête. Il se rassure en la voyant reprendre des couleurs.*La voiture file jusqu’au bout du village, dépasse la pancarte qui porte son nom : «Sainte Maure». Celle qui se tient droite à présent sur le siège passager, guette la route, refoulant ses pensées embrouillées. Elle indique un chemin de terre : « C’est là que je descends », murmure-t-elle. Pierrick s’arrête sur le bas-côté herbeux. Il l’entoure de ses bras et lui promet de revenir dès que possible. Elle accepte son baiser brûlant sur ses lèvres froides. La passagère se libère de l’étreinte, ouvre la portière et se glisse à l’extérieur, la couverture à carreaux ses épaules.
Elle frissonne, malgré la température encore douce. Avant de laisser se refermer la porte, elle lance :
— Je t’aime mon Jean !
Interloqué, Pierrick interroge :
— Jean ?
L’amoureuse fronce les sourcils et répond d’une voix enjouée :
— Idiot, tu t’appelles pas ainsi ?
Pierrick ne trouve rien d’autre à dire que cette affirmation :
— Oh ! Tu sais, c’est le prénom de mon arrière-grand-père…
S’éloignant, la belle sourit en agitant sa main. Elle commente :
— J’vais m’faire encore gronder, faut que j’me dépêche, à demain amour !
Il n’a pas le temps de lui répondre qu’elle se met à courir à travers champs. Sa longue robe blanche flottant derrière elle telle une voile d’un bateau en perdition que la lune accompagne.
Pierrick observe un long moment la trajectoire de cette fille fantasque à la démarche sautillante. Il ne comprend pas pourquoi aujourd’hui, elle tient tant à le rebaptiser Jean. La prochaine fois, il faudra qu’elle lui explique, mais en fait peu importe du moment qu’ils s’aiment. Bientôt, elle disparaît derrière une rangée d’arbres aux troncs tordus.
La voiture redémarre et se fond dans le paysage que la nuit tombante engloutit.
Remontant la route qui mène au manoir fantôme, le regard de la jeune fille se durcit, elle se souvient de son prénom, Manon et qu’elle attend un bébé. Depuis trop longtemps.
Re: HISTOIRE D'ÂMES
Comme on le sait, les histoires d´amour c'est pas trop mon truc, mais ce n´est pas déplaisant à lire, même si assez classique.
C´est un commentaire qui n´apporte pas grand chose, mais je ne trouve rien à ajouter.
- Spoiler:
- Les amants malheureux qui se retrouvent dans un autre espace-temps.
C´est un commentaire qui n´apporte pas grand chose, mais je ne trouve rien à ajouter.
Re: HISTOIRE D'ÂMES
Une jolie petite histoire d'amour sur fond fantastique, c'est bien mon truc à moi en revanche !
Cela dit, je ne serais pas beaucoup plus loquace que Catherine.
C'est joli, c'est bien mené, poétique par endroit même.
Cela dit, je ne serais pas beaucoup plus loquace que Catherine.
C'est joli, c'est bien mené, poétique par endroit même.
Nao76- Écritoirien émérite stagiaire
- Messages : 701
Date d'inscription : 26/08/2017
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Re: HISTOIRE D'ÂMES
Merci beaucoup pour votre ressenti. Bon, s'il n'y a pas de modifications à apporter, alors on va laisser comme ça
Re: HISTOIRE D'ÂMES
Pour ma part, je n'aurai pas grand-chose à rajouter par rapport à ce qui a déjà été dit. Je suis de ceux qui ne sont pas particulièrement friands d'histoires d'amour, mais j'apprécie toujours un récit bien écrit.
Beaucoup de belles images et de descriptions détaillées qui font fantasmer quant à ce fameux bourg. Tout particulièrement sous le soleil de cette après-midi !
Bonne continuation !
Beaucoup de belles images et de descriptions détaillées qui font fantasmer quant à ce fameux bourg. Tout particulièrement sous le soleil de cette après-midi !
Bonne continuation !
ManiaxSkell- Bourreau intérimaire
- Messages : 153
Date d'inscription : 05/10/2017
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Localisation : Terres glaciales de Belgique.
Re: HISTOIRE D'ÂMES
Merci Maniax
Je me suis lancée un défi : soigner les descriptions car c'est mon point faible (avec la structuration). De plus ce n'est pas mon truc non plus, les histoires d'amour, encore un défi, mais sur le mode négatif quand même.
Si pas de remarques, tant mieux...
Je me suis lancée un défi : soigner les descriptions car c'est mon point faible (avec la structuration). De plus ce n'est pas mon truc non plus, les histoires d'amour, encore un défi, mais sur le mode négatif quand même.
Si pas de remarques, tant mieux...
Re: HISTOIRE D'ÂMES
Les romances ne sont pas vraiment mon genre mais force est de constater que tu as très bien su mener celle-ci.
J’ai été beaucoup surpris, dans le bon sens du terme, par rapport à tes écrits habituels. Souvent je trouve que tu as de superbes idées mais qu’elles sont trop nombreuses et finissent par se marcher sur les pieds les unes des autres. Ici au contraire, tu as tout focalisé sur un concept unique, et ça fonctionne à la perfection. Les personnages sont réussis et l’emmêlement des 2 temporalités parfaitement menée. On comprend peu à peu où tu veux en venir, avec ce qu’il faut de show et de tell. Pour moi, c’est réussi.
J’ai été beaucoup surpris, dans le bon sens du terme, par rapport à tes écrits habituels. Souvent je trouve que tu as de superbes idées mais qu’elles sont trop nombreuses et finissent par se marcher sur les pieds les unes des autres. Ici au contraire, tu as tout focalisé sur un concept unique, et ça fonctionne à la perfection. Les personnages sont réussis et l’emmêlement des 2 temporalités parfaitement menée. On comprend peu à peu où tu veux en venir, avec ce qu’il faut de show et de tell. Pour moi, c’est réussi.
Re: HISTOIRE D'ÂMES
La poésie du récit m'a bien parlé au début. J'avoue que par la suite, elle m'a perdu.
La supperposition de différentes époques m'a pas mal intrigué, c'est toujours captivant de suivre ce genre d'histoire.
La "possession" a son sens, mais j'avoue ne pas comprendre où elle va, à la fin du récit. C'est bizarre.
Je suis resté sur ma faim. Peut-être que je n'ai pas tout compris, malgré mes lectures.
N'en reste pas moins que les violences familiales sont terribles à lire, c'est le point fort de ce récit, à mon sens.
La supperposition de différentes époques m'a pas mal intrigué, c'est toujours captivant de suivre ce genre d'histoire.
La "possession" a son sens, mais j'avoue ne pas comprendre où elle va, à la fin du récit. C'est bizarre.
Je suis resté sur ma faim. Peut-être que je n'ai pas tout compris, malgré mes lectures.
N'en reste pas moins que les violences familiales sont terribles à lire, c'est le point fort de ce récit, à mon sens.
Re: HISTOIRE D'ÂMES
Moi au fond je suis assez fleur bleue, alors les histoires d'amour ne me dérangent pas. Je trouve celle-là bien menée, mais il me manque quelque chose.
C'est bien écrit et l'ambiance est très bien rendue, mais il me manquerait un rebondissement, un élément qui fasse que l'histoire raconte un peu plus
C'est bien écrit et l'ambiance est très bien rendue, mais il me manquerait un rebondissement, un élément qui fasse que l'histoire raconte un peu plus
- Spoiler:
- que "des amants malheureux dans une autre vie se retrouvent dans celle-là", ce qui est un peu minimaliste. Je ne sais pas, mais ton texte aurait captivé plus mon attention si s'était passé quelque chose de plus concret dans leur nouvelle vie que de simples sensations ou de se tromper de prénom, tu vois ce que je veux dire...
Re: HISTOIRE D'ÂMES
Merci à vous pour vos ressentis. Je vais relire ce texte afin de juger s'il me faut rajouter quelque chose dans le sens des suggestions de Cancer (pour permettre une meilleure compréhension quoique je laisse au lecteur le soin d'imaginer ce qui se passerait ensuite - à mon avis, Pierrick ne comprendra plus Emma / Manon qui vivra dans le passé au travers de sa parente ou alors ils auront encore plus d'affinités... je n'ai pas tranché - pour moi Pierrick / Jean reste le même, ancré dans notre époque ; par contre Emma est vraiment changée) et Pala qui aimerait plus d'enjeux. Bon, à réfléchir.
@Murphy, j'apprécie ton commentaire, le fait que ce texte soit moins chaotique que d'autres, car j'ai essayé de me centrer sur un fil rouge. Il me semblait avoir réussi. Lire que l'ensemble se tient, fait le job prouve que j'ai atteint mon but.
@Murphy, j'apprécie ton commentaire, le fait que ce texte soit moins chaotique que d'autres, car j'ai essayé de me centrer sur un fil rouge. Il me semblait avoir réussi. Lire que l'ensemble se tient, fait le job prouve que j'ai atteint mon but.
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