Dans l'ombre du soleil

Dans l’ombre du soleil

Vous n’étiez Personne et moi, à peine votre ombre. Nous écumions la ville-lumière dans nos nuits les plus sombres.
Je naviguais jusqu’à l’aube, après votre impétueux sillage, votre ténébreux voyage, votre croisière sauvage. L’aventure émergeait à chaque nouveau rivage, à chaque nouveau visage auprès duquel nous échouions.
Vous et moi n’avions en commun que de noirs questionnements. Et l'angoisse abyssale de devoir prouver que nous méritons notre place dans cette farce du destin.
Cette sinistre comédie où l’on ne veut pas de nous, où nous serons à jamais l’autre de notre prochain.

Dans vos pupilles, j'ai entrevu l'infini du désert ou de l'océan, au fond qu'importe, que vous décriviez, la voix brisée par l'alcool.
Où des colosses hantent les canyons inertes, où des trônes vides ornent les places-fortes. Vous décriviez un monde qui se superpose au leur et dont nous sommes les seuls voyageurs. Nous parcourions des ruines sans histoire, éclairées par un zénith éteint.
Il n’y aurait de place que dans ce purgatoire aux saisons infernales pour des hommes tels que nous, comme vous disiez.
Et quand le jour daignait finalement se lever nous nous dressions avec peine, euthanasiés.
La ville s'ébrouait autour de nous, naufragés. Et si nos corps raides semblaient être en éveil, nos esprits contemplaient des mausolées sans dieux.
Car même au cœur des aubes les plus radieuses, les rayons du soleil ne nous atteignaient plus depuis longtemps déjà. Nous dérivions dans leur ombre.

Nous en avons croisé, des voyageurs au bout de la nuit, des personnes usées d’exister qui s'injectaient la folie ou buvaient l'Ennui.
Les acteurs brisés de leurs propres tragédies qui ne cherchaient plus qu'à hâter l'acte final. Ceux-là s'étaient trop enfoncés dans le pays dont, vous disiez, on ne sort que dans un ultime râle. En avalant l'obole, en s'ouvrant le poignet ou bien en lévitant, soit trop, soit pas assez.
J'avoue, à l'époque, n'avoir pas deviné à quel point ces sirènes vous charmaient.

Nos errances se diluent un peu dans le temps jusqu’à ce jour qui fut la fin de votre funeste odyssée.
La mort, mon sire, vous sied si bien.
Vous ne m’aviez jamais semblé si peu intranquille.
Mais sachez, mon ami, que dans le crépuscule de votre ultime voyage, j’ai choisi de m’emparer d’une nouvelle aube pour délaisser votre obscur héritage. Et très bientôt, votre Petit Prince deviendra le monarque flamboyant de ces terres désolées, dans l’ombre d’un soleil qu’il éclipsera, un jour ou l’autre.

Très joli texte Martin, encore une fois.
Je me suis laissé prendre par les images et le rythme, ainsi que la belle musicalité de tes mots, mais je ne suis pas certain en revanche d'avoir bien saisi toutes les références, notamment au Petit Prince (que j'ai lu il y a si longtemps que je n'en garde que des souvenirs parcellaires).
Ce qui ne m'a pas empêché d'apprécier cette lecture, bien entendu.

Merci pour ton assiduité à lire mes poèmes, Tak ! C'est vraiment toujours un grand plaisir !

C'est vrai que les références doivent paraître un peu cryptiques pour certaines personnes alors je vais donner un peu de contexte : Mon ami Ulysse, à qui j'avais dédié ce poème nous a quitté en 2018 d'une façon un peu brutale et j'avais envie de rendre hommage à celui qui a été, pendant une période, mon grand frère spirituel.
Le Petit Prince, c'est comme ça que lui et sa sœur m'ont surnommé. Parce que lorsqu'on s'est connus je passais beaucoup de temps le nez dans mon écharpe, je me posais beaucoup de questions et j'étais encore un petit peu frêle et enfantin.
Maintenant ça va mieux.

Ah d'accord, je comprends bien mieux à la lumière de ces explications !
Ca n'en rend ce texte que plus beau et touchant. Mais, du coup, peut-être devrais-tu rajouter une petite note à ce sujet ou simplement une petite dédicace à cet ami, histoire que l'on comprenne de suite de quoi il s'agisse...

Un excellent texte, aux images puissantes et à l'ambiance sombre qui envoûte d'autant plus quand on a justement un ami correspondant au portrait décrit ici, qui tente de fuir ses démons intérieurs dans l'alcool et les soirées qui n'en finissent pas.
Comme le dit Tak, connaître l'histoire derrière l'histoire rend le tout d'autant plus poignant et fort. Bref, un très bel hommage en plus d'être un poème réussi.