Cédric Murphy

Déjà, la première chose que j'aimerais souligner, c'est la grande cohérence de « l'univers Murphyesque ». Ce roman forme en effet un remarquable diptyque avec son précédent opus Fureur Froide : certains événements, personnages, lieux ou concepts se répondent intelligemment de l'un à l'autre, formant une toile délicieusement rouge et contemporaine, sur fond de critique sociétale se cachant derrière les apparats de l'Horreur et du frisson.
Autre point notable inhérent à ce roman-ci, en revanche : la construction narrative, exemplaire, suivant trois personnages le long d'une folle journée (même si certains événements se déroulent bien en amont afin de poser au mieux leurs problématiques ou enjeux personnels) et s'entrecroisant tout au long d'un savoureux jeu du chat et de la souris mêlant faux-semblants, massacres en tous genres et dangereuses expériences qui les confronteront chacun à leurs pires démons.
C'est franchement bien construit et on sent que la trame a été mûrement réfléchie pour la rendre la plus efficiente possible – et ça marche bougrement bien, dois-je avouer ! Le genre de livres qui scotchent le lecteur de la première à la dernière page, sans le laisser respirer.

Un autre point fort réside dans les personnages.
Loin des clichés sur pattes ou des personnages-fonction que l'on trouve trop souvent dans le genre, les protagonistes ici en présence sont faits de chair, de sang, de forces et de failles qui nous les rendent facilement identifiables. Et pourtant, ceux-ci sont loin d'être parfaits – sans divulguer quoi que ce soit de l'intrigue, l'un d'eux est par exemple en pleine crise d'adultère à ce moment-là –, mais c'est ce qui les rend d'autant plus humains et proches de nous. D'autant plus qu'ils sont suffisamment bien caractérisés sans avoir à passer par d'interminables phases de descriptions ou de caractérisation psychologique ; le processus d'identification se fait naturellement, par les actes et par les mots, dans le feu dans l'action, avec ici et là quelques réflexions personnelles ou flashbacks pour nous aider à les cerner au mieux.
Il va sans dire que c'est une approche qui me plaît et me parle particulièrement, étant donné que j'ai tendance à construire mes personnages de la même façon : « show, don't tell », comme dirait l'un de mes amis !

Et puis, rendons à César ce qui lui appartient : l'écriture toujours aussi rythmée et nerveuse de l'auteur nous propulse à cent à l'heure dans un récit dont il est bien difficile de se défaire une fois la première page ouverte. Un rythme implacable qui rend le récit immédiatement prenant, même dans ses scènes les plus explicatives ou les petites pauses de la trame et qui nous donne irrémédiablement envie de continuer, coûte que coûte. En empruntant aux codes du Thriller ce sens de nervosité et de la tension, pour mieux transcender ses aspects les plus glauques et horrifiques (sans oublier la petite touche de Fantastique qui va bien), Cédric Murphy tient une fois son pari haut la main !
De plus, le format très court et resserré de la trame, tournant autour d'une quasi-unité de lieu (un quartier et ses environs, puis en s'approchant de la fin, s'ouvrant sur la ville et au-delà) et de temps, permet encore une fois un récit dense et ramassé ne faisant jamais retomber la pression. Le genre de  « page-turners » que l'on termine en quelques heures, le souffle court, après s'être pris une jolie mandale dans la gueule.
Et puis, en dernier lieu, s'il est souvent question de meurtres qui tâchent ou de concepts plus ou moins Fantastiques, le livre gagne aussi des points sur sa thématique très sombre en forme de critique sociétale : les pires monstres, finalement, sont ceux avec qui l'on dîne le soir où qui nous toisent de l'autre côté du miroir. Pas besoin d'horreurs sorties du placard ou d'anciennes malédictions, nos tendances auto-destructrices, nos jugements tout faits ou nos indéboulonnables œillères sont et resteront nos pires ennemis. Et si jamais vous avez un doute sur la question, allez demander à votre voisin raciste ou homophobe ce qu'il pense ; peut-être vous accueillera-t-il avec son plus beau sourire hypocrite et une tasse de café empoisonné pour vous expliquer sa conception des choses.
C'est de ce triste constat que l'auteur tire ses meilleures pépites et assurément ce roman en est une.

Avis aux amateurs de sueurs froides et de mauvais genres : La Nuit Derrière la Porte est une petite bombe noire, nerveuse et haletante, qui ne vous lâchera pas la grappe jusqu'à la dernière phrase. À dévorer sans modération, donc !