Chaud-froid.

Tant il était pressé, Karim s’engouffra presque en courant dans le café. Il fonça sur le premier tabouret qu’il vit, et s’accouda au bar en soufflant : « Une orangeade, s’il vous plaît ! » d’une voix éraillée.
Essoufflé, assoiffé, assailli par le soleil écrasant et la chaleur étouffante d’une ville chauffée à blanc par l’été, il accueillait la fraîcheur et la pénombre des lieux avec une félicité qui flirtait avec le divin. De l’autre côté du comptoir, une femme se retourna.
« Une orangeade ? » s’étonna-t-elle. Sa voix coulait comme l’eau claire d’une fontaine en plein désert, faisant relever aussitôt la tête de Karim, qu’il avait nichée entre ses bras comme s’il s’était attendu à s’endormir d’un instant à l’autre.
« Oui, s’il vous plaît », implora-t-il avant de poser les yeux sur une rouquine sculpturale, moulée dans un débardeur échancré et un pantalon noir qui laissaient bien peu de place à l’imagination.
– Il fait chaud, là-dehors, hein ? »
Elle tourna la tête pour le servir et il regretta aussitôt de n’avoir pas plus fixé ses yeux ; ils venaient de briller comme deux saphirs pâles. L’intensité de ce regard sembla se cristalliser dans son crâne. Puis, il sentit que la surprise marquait son visage et entreprit de se tortiller sur son siège pour observer les lieux d’un air nonchalant.
« Sacrément chaud », finit-il par lâcher, trop tard pour que sa réponse parût naturelle, tandis que des glaçons tintaient dans un verre vide. « Et il fait drôlement bon chez vous. » C’était un fait, la température et la luminosité offraient un véritable havre de paix à ce mois d’août caniculaire. « Vous avez la clim' ? »
Par contre, toutes les tables étaient vides et Karim se trouvait seul au comptoir. Où pouvaient bien traîner les gens par une journée pareille ? D’accord, il y avait foule dehors, agglutinée aux terrasses qui faisaient défaut à ce petit bistro d’une ruelle peu passante, mais, il devait bien y avoir des habitués.
« Et voilà ! » fit la barmaid en posant un grand verre recouvert de perles d’eau condensées et qui coulaient sur ses doigts fins.
Karim croisa à nouveau son regard, ses lèvres sourirent d’elles-mêmes, sans attendre sa permission.
« Merci. Ya pas grand-monde chez vous. Vous êtes ouverts depuis longtemps ? »
C’était un peu nul comme approche, mais il n’avait trouvé que ça pour engager la conversation. Elle s’adossa en face de lui et croisa les bras sous sa poitrine, faisant remonter dangereusement ses seins dans son décolleté.
« Pas très, non. Mais j’ai déjà ma petite clientèle.
– Ils ne doivent pas aimer la chaleur alors.
– Sûrement », convint-elle avec un petit sourire à faire fondre un cœur. « Ils passent plus tard, en général. Vous êtes mon premier client de la journée.
– Hé bé ! Le temps est pas trop long ? »
Il prit une rasade d’orangeade si froide qu’il faillit la recracher tant il eut l’impression que ses dents allaient éclater. Il n’entendit pas la réponse de la femme.
« Pardon ?
– Vous allez me tenir compagnie », répéta-t-elle.
– Avec plaisir », répondit-il avec empressement, affichant son sourire le plus séduisant avant de vider son verre d’une traite.
– Je vous remets ça, alors ? Ou vous préférez quelque chose de plus fort ? »
Elle se pencha vers lui ; son cœur eut un hoquet. Ce corps l’hypnotisait, mais ces yeux bleus aspiraient toute son âme.
« C’est encore un peu tôt pour moi. Et après le cagnard de dehors, vaut mieux éviter si vous ne voulez pas avoir à me ramasser sous le bar.
– Ça ne me dérange pas » affirma-t-elle avec un nouveau sourire. « De toute façon, avec ce que je vous ai mis dans le premier, vous ne risquez plus rien. »
Karim se figea aussitôt. Son cœur venait de cesser de battre. Il s’écroula sur le sol.
« Il n’aura pas tenu bien longtemps celui-là », fit la rouquine en se penchant pour hisser le cadavre sur son épaule. « Dommage. Il était mignon, mais bon, faut bien satisfaire les habitués. »