Dans le miroir

Un court texte (une page) écrit il y a quelques années pour une contribution de dernière minute au fanzine d'un pote. Rien de foufou là-dedans, juste un petit truc plus ou moins d'inspiration orwelienne... J'ai essayé de sauver ce qui pouvait l'être là-dedans lol

http://www.fichier-pdf.fr/2016/02/05/dans-le-miroir/


DANS LE MIROIR

Comme tous les matins, George se tient devant son miroir. Les mains de part et d'autre du lavabo, les yeux rivés au reflet que lui renvoie la surface de verre polie. Puis, toujours en s'inspectant du regard, il commence à se raser.

Dans ces yeux, il se voit lui-même, mais aussi au-delà. Il voit sa descendance, les générations futures et l'humanité toute entière.
Il voit les Hommes, il voit les gigantesques vaisseaux de croisière et les colonies là-haut, en dehors. Il voit les avancées technologiques, il voit les explorations inter-systèmes, dans cette immensité galactique sans fin. Il voit nombre de croisades sanglantes et de glorieuses épopées. Il voit également les conflits passés et les prodiges à venir. Les miracles d'autrefois, ainsi que les guerres du futur. Il voit la bonté dans l'être humain et de la beauté dans ce qu'il peut accomplir, mais aussi la cupidité, l'ambition dévorante et la soif de pouvoir, de domination qui l'anime. Il voit ce qui a été fait de bien et ce qu'il pourra advenir de pire – bien que ça en prenne déjà le chemin, se dit-il en se passant la lame sous le menton.
Il voit l'avenir de la race humaine : des hommes-droïdes, des bio-humains. Des hommes mi-machines mi-organiques, dont l'intelligence artificielle est générée par un super-ordinateur doué d'une conscience collective. Des robots à peau humaine munis de chair et de muscles, mais sans faculté intellectuelle propre. Aucune conscience personnelle, aucun instinct, hormis celui de se « recharger » en électricité et en fluides divers toutes les 72 heures, à la borne de ravitaillement la plus proche. Une mécanique bien huilée.
Il voit aussi les instituts d'enseignement, de justice ou d'hygiène publique ; des boîtes à sardines géantes où les services sont distribués par des machines impersonnelles, s'exprimant d'une voix monocorde. Un brouhaha métallique délivré par des professeurs, des assistants sociaux ou des conseillers de synthèse, certains par lecture holographique, d'autres ne devant leur réalité physique qu'à un amas de puces ou de puissants micro-processeurs. La connaissance et la santé véhiculées par ordinateur : voilà le futur, voilà les bonnes choses de ce monde, qui avance, qui avance toujours vers son propre aboutissement.
Ou sa destruction prochaine.
Il voit ce qui est et entrevoit ce qui pourrait être, dans les limites de ses facultés de raisonnement. Il ne sait pas où elles commencent, ni où elles s'arrêtent. Il ne connaît pas grand-chose de lui-même, d'ailleurs. Il ne sait pas d'où il vient et vers où il chemine, mais il sait ne pas être seul dans ce cas... Un jour, il prendra peut-être le temps d'en discuter avec l'un de ses voisins de pallier, dans cette immense cage d'acier qu'on appelle « groupement de logements internes », mais qui ressemble étrangement à une prison.
Il lève les yeux : au-dessus du miroir de la salle de bain trône une horloge digitale. Celle-ci affiche 8h57 du matin : bientôt l'heure.

Une voix bruyante s'échappant du speaker mural résonne dans l'appartement. Elle annonce, à travers les cloisons et dans le couloir :
« La MIQ (Minute Introspective Quotidienne) vient de prendre fin, tous les employés sont priés de se rendre à leur poste de travail. Je répète, fin de la MIQ, les employés doivent rejoindre leur poste de travail ! »
Il termine son rasage et plante une dernière fois son regard dans la glace en face de lui. Tout semble en ordre. Puis, le modèle George K-157 débranche l'alimentation de l'appareil, fixée à la base de sa nuque. D'un geste vif, il se coiffe et sort de la pièce, gagne la sortie en fermant la serrure à double-tour. Dans le couloir, il croise Alan PR-36 et comme tous les matins, se rend avec lui à l'usine, comme les neuf-cents millions d'hommes-droïdes peuplant la capitale mondiale de la Terre.

Pas le temps de lire avant dimanche soir ou lundi, mais je vais essayer de ne pas oublier.

J'aime beaucoup cette mise en abime... Et le choc du final... L'ensemble est très réussi.

Merci à toi, Françoise.
Faut le prendre comme un instantané du moment, je pense pas revenir dessus mais sur le moment c'était plutôt chouette à faire...

Oui, ça m'a fait penser à un instantané auquel tu aurais rajouté une petite chute.
C'est sympa à lire, ça ne prend pas de temps. On ne peut pas dire que ce soit révolutionnaire, mais il y a peut-être piste à développement, bien que le texte se suffisse à lui-même.

Je ne pourrais pas dire que j'avais vu venir la fin mais quand tu as parlé des droïdes je me suis dit "il aurait dû finir en dévoilant que son narrateur est un droïde", donc c'est que je pensais que ça n'était pas le cas tout de même. Non, pour moi la vraie chute c'est la MIQ, excellent ! Ça ouvre toutes les perspectives sur la réalité.

Un texte très sympa, merci.

(pallier---> palier, pas le même sens^^)

Merci à vous deux.
J'ai posté ce texte en toute connaissance de cause, c'était juste histoire de... y'a peut-être des pistes à exploiter, mais je compte pas y revenir pour le moment. La SF c'est sympa de temps en temps, mais pas ce qui me branche le plus.

Court mais efficace. De cette dystopie classique, quoique bien menée, je retiendrai surtout la chute.

J'aime beaucoup ce concept de MIQ !

Le reste est plutôt classique, mais efficace.

Merci à vous deux, je suis d'accord pour le coté très classique.
Mais écrire un texte SF en une page, sur le moment j'ai pas pu mieux faire lol

Ha non, mais c'est déjà très bien !