L'autre (nouveau titre Mascarade)
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L'autre (nouveau titre Mascarade)
Nos regards se croisèrent et aussitôt nous nous sourîmes. Nous échangeâmes les banalités d’usage, les considérations météorologiques, l’actualité et tout un tas de foutaises. Nous nous revîmes régulièrement. Je prenais soin de rester fidèle à mon personnage inventé de toutes pièces. Mes cils battaient plus que de raison, mes lèvres s’entrouvraient sur la blancheur artificielle de mes dents, mon sourire était le résultat de maintes esquisses devant le miroir.
Il tomba follement amoureux. Cela ne faisait aucun doute. J’avais fait ce qu’il fallait. Ainsi je m’immisçais dans sa vie progressivement et l’air de rien. Il renonçait sans s’en rendre compte à son indépendance, me conviait plusieurs fois par semaine pour la soirée qui se prolongeait le plus souvent jusqu’au petit matin. Bientôt, je m’installais chez lui en catimini, apportant l’essentiel de mes objets et la plupart de mes vêtements. Il ne trouva rien à redire, cela lui convenait parfaitement, lui donnant l’illusion d’un foyer aimant.
Les semaines passèrent sans que rien ni personne ne vienne altérer notre doux nid d’amour. Je décidai, au bout de quelques mois, de passer à l’attaque. Je me rendis de plus en plus indispensable, au point qu’il ne faisait plus rien sans moi. J’aménageai différemment son intérieur. Je chamboulais tout, la vaisselle, le linge de maison et les tenues vestimentaires. Je ronronnais de plaisir, lovée contre lui, en regardant l’insipide programme télévisé auquel il était complètement assujetti. J’avais la nette impression de régresser. Aussi j’imaginai divers plans qui mettraient du piquant dans cette relation terne et ennuyeuse. Je mis sur pied une stratégie qui ne manquerait pas de me distraire.
Je commençai par lui en faire voir de toutes les couleurs, un jour oui, un jour non, chaud, froid, je t’aime, moi non plus. Il en perdit l’appétit, il maigrissait, arborait un teint hâve, d’une pâleur extrême. Je ne ressentais aucun remords mais plutôt une sorte de délectation morose. J’aimais par-dessus tout le tromper sur mes sentiments, lui faire croire que sans sa présence à mes côtés, je ne pourrais pas vivre, lui dire des « je t’aime » cent fois par jour, faire l’amour tout en m’imaginant le faire avec son meilleur ami, lequel d’ailleurs m’avait fait comprendre qu’il n’était pas insensible à mes charmes. D’ailleurs j’avais bien l’intention de jouer à ce faux ami le rôle de la belle amoureuse déchirée entre deux passions et ne lui accorder que peu de choses. Je ferais durer le supplice. Puis un jour, je lui donnerais rendez-vous dans un motel pourri, dont le style délabré et l’isolement évoqueraient le décor du film « Psychose ». Cet épisode pourrait être, à mon sens, très réjouissant. Je n’avais pourtant pas l’intention de lui faire subir les mêmes sévices que dans la scène de la douche ! Encore faudrait-il que le rideau soit à la hauteur !
Je jubilais à l’idée de simuler mon attachement en lui prodiguant maintes câlineries et caresses félines. Cela eut pour conséquence d’accroître encore sa dépendance vis-à-vis de moi. La tentation était grande, à cet instant, de l’abuser un peu plus et de le faire souffrir à petit feu. Mais mon jouet relevait la tête. Aussi, la comédie dura moins longtemps que je ne l’avais pressentie.
En dépit de mes sempiternels changements de cap, caprices en tous genres, crises de nerfs frôlant l’hystérie, il me chérissait chaque jour davantage. De manière à ce qu’il déchante un peu à mon sujet, j’envisageai la deuxième partie de mon plan : nuit torride dans un motel, ambiance à la Hitchcock ! Je n’eus aucun mal à circonvenir son meilleur ami de venir m’y retrouver un après-midi. Mais à celui-là, j’avais bien l’intention de jouer le rôle de la belle amoureuse déchirée entre deux passions,
C’était un vendredi, je m’en souviens encore. L’homme accourut, porteur d’une bouteille de champagne avec deux coupes et d’un modeste bouquet de roses rouges, en arborant un air conquérant. Ne lui manquait plus que l’accent sud-américain et les chaussures bicolores, car pour ce qui était de la chaîne assortie à la gourmette et à la chevalière, il possédait déjà la panoplie complète.
Je minaudai sur le thème « vierge folle », oh oui, non, non, il ne faut pas, si mon ami l’apprenait, et tutti quanti. Je le fatiguai comme le toréador dans l’arène dans son face à face mortel avec le taureau. Je tirai des fléchettes tous azimuts. Il encaissait chaque coup bas, ma langue acérée y pourvoyait et, sans se démonter, énonçait un lieu commun. Il reprenait ensuite les préliminaires là où il les avait laissés.
Il fallut bien, à un moment donné, passer au vif du sujet. Je m’y résignai avec un soupir intérieur, tout en subissant quelques assauts successifs provoquant une feinte extase. Le mâle s’en trouva ragaillardi et modula l’inéluctable question machiste : « alors, heureuse ? », en jouant les beaux ténébreux. Je pouffai de rire et n’eus d’autre ressource que de lui répondre par une platitude de circonstance.
Nous nous quittâmes sur la promesse d’un autre rendez-vous. Il partit le premier, allégé de sa carte bleue que je n’avais pas manqué de subtiliser, afin d’enrichir ma petite collection. Tout le monde ne peut pas avoir du goût pour les papillons ! Je ne crucifie pas sur un bouchon les cartes dérobées, je leur réserve un meilleur sort, immédiatement après leur captation. Le temps est compté jusqu’à ce que le propriétaire s’aperçoive de la perte de son précieux moyen de paiement
Pas de plaisir sans occasionner un surcroît de souffrances ! J’eus l’idée de laisser traîner, sur le buffet de l’entrée, la fiche du motel détaillant la réservation d’une chambre. Mon malheureux ami resta un instant indécis, ne sachant quelle contenance adopter. Tournant et retournant la note entre ses mains comme pour lui faire rendre son secret, il me demanda abruptement s’il s’agissait de moi en compagnie d’un autre homme. Oui il avait raison, lui affirmai-je, en ajoutant quelques commentaires vulgaires sur les performances sexuelles de mon partenaire.
Il blêmit, le regard chargé de haine. Il me tourna le dos avec mépris et sortit de la pièce en claquant la porte. Enfin il ressentait de l’animosité envers moi et son accès de colère froide en était la preuve tangible. Je rayonnais de joie devant la réussite de mon jeu de rôle. J’étais parvenue à mes fins. Il ne manquait plus qu’une chose : ranger la carte bleue avec mes autres trophées, pièces d’une collection unique à mes yeux. Il y en avait pour tous les goûts, des brunes, des dorées, des vertes, des bleues. Certaines m’avaient permis de succomber à quelques folies, très vite, tout de suite après leur vol, puis avaient rejoint la cachette de ma boite en marqueterie.
Cependant, si je ressentais une jouissance lorsque je privais un homme de la possibilité de régler ce qu’il devait, le summum pour moi était la bonne fin d’un plan échafaudé pour déstabiliser une victime. Dans le cas présent, mon jouet s’emporta contre moi, déclarant que c’était fini, qu’il n’accepterait jamais mes incartades et mes comportements imprévisibles et dévoyés !
Alors, en dernier ressort, je lui jouai le grand jeu. Je lui écrivis une lettre d’amour désespérée où j’expliquais que je préférais garder en mémoire nos sentiments amoureux plutôt que de les voir s’amenuiser pour finir par disparaître complètement. J’ignore quelle fut sa réaction en lisant ma missive car j’avais fait mes valises avant son retour.
Je m’étais inventé une autre identité, vierge de tout casier, un profil bien sous tous rapports et, telle une divinité chasseresse, je me mis en quête d’autres proies.
Mon nouveau prénom sera Diane.
Dernière édition par anouk le Ven 13 Nov 2015 - 19:10, édité 1 fois
Re: L'autre (nouveau titre Mascarade)
Exquis. Un régal de manipulation. J'ai juste voulu jeter un coup d'œil et je n'ai pas pu m'arrêter. Merci.
Raven- — — Bouteuse de trains — — Disciple de la présente ligne
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