Jeu de mains
Page 1 sur 1
Jeu de mains
Le hall était noir de monde. C’était un jour de grande affluence. Les Aoûtiens s’agglutinaient aux comptoirs d’enregistrement. L’aéroport bruissait en permanence. Lydie patientait depuis un long moment devant l’accueil de British Airways. Elle rêvait d’entendre sonner Big Ben, de longer les eaux sombres de la Tamise, de faire des achats inconsidérés chez Harrods, d’engloutir avec des mines gourmandes un nombre incalculable de cup-cakes et de retrouver la bande de copines qui l’attendaient dans un pub de Nothing Hill. Ah ! Rencontrer Hugh Grant par hasard, l’accoster, l’éblouir, le conquérir… La voix séraphine d’une hôtesse invita les passagers à se rendre à la salle d’embarquement.
Elle avait réservé une chambre dans un Bed and breakfast proche de l’aéroport. Elle téléphonerait à ses amies pour leur confirmer qu’elle serait bien au rendez-vous du groupe, le lendemain, dans l’après-midi. Un taxi l’emmena à l’hôtel où elle sombra dans un sommeil agité mais néanmoins profond.
Dès le réveil, elle fit ses plans. C’était simple : elle prendrait son temps et ne gâcherait pas son plaisir. Elle irait chez Harrods, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige ! Elle mourait d’envie de choisir un pull en cachemire. Elle adorait fureter parmi les stands, avoir un coup de foudre pour un article, craquer pour des ballerines ou s’étourdir à en essayant des bibis et autres chapeaux de toute sorte. Une styliste fit une création sur elle. Le résultat était enchanteur. En s’admirant devant une glace en pied, elle sentit une présence, un regard lourd. Son image réfléchie par le miroir se brouilla.
En se retournant, elle vit une foule de gens se précipiter vers la sortie du magasin. L’escalier roulant était surchargé. Pourtant aucune alarme n’avait sonné. Que faire ? La styliste avait disparu. Comment sortir ? Restait l’ascenseur. Lydie se dirigea vers les portes et appuya sur le bouton d’appel. Elle entra dans la cabine baignée d’une lumière bleutée. Les portes se refermèrent tandis que le brouhaha du magasin s’amenuisait. Curieusement, elle ne se sentait pas seule dans cet espace réduit et oppressant. Machinalement elle appuya sur rez-de-chaussée. L’ascenseur fit un drôle de bruit comme s’il régurgitait puis la musique d’ambiance se mit à folâtrer un peu trop avec une sonorité passant du grave à l’aigu.
L’ascenseur gémissait de plus en plus. Montait-il ou descendait-il ? Impossible de le déterminer. Tout à coup, les portes s’ouvrirent lentement. Elle aperçut une silhouette masculine. L’homme était habillé de noir de la tête aux pieds. Il pénétra dans l’ascenseur en regardant fixement la jeune fille. La cacophonie atteignait son paroxysme. La panique gagnait tous les étages, les voix devenaient hystériques. Pour quelle raison, que se passait-il réellement ?
Miracle, l’ascenseur sembla repartir d’un bon pied. Il ronronnait, la musique avait retrouvé sa tonalité et son rythme, le tableau ne clignotait plus dans tous les sens. Au moment où elle allait appuyer sur rez-de-chaussée, l’homme, émergeant soudain de son rêve éveillé, lui saisit la main. Interloquée elle se tourna vers lui. D’une voix basse résonnant comme un écho venu des profondeurs, il lui intima l’ordre de le suivre pour sa propre sauvegarde. Elle était sans volonté. Ils descendirent jusqu’au dernier sous-sol. Les portes s’ouvrirent sur un corridor sombre et tortueux. Lydie se sentit oppressée. L’homme l’entraînait vers un abîme inconnu. Elle butait sur des pierres apparentes, s’embourbait dans des flaques d’eau saumâtre, scrutait les ténèbres à la recherche d’une issue, tout cela sans dire un mot, sans rébellion mais non sans appréhension.
Au bout d’une longue marche souterraine, ils débouchèrent dans une pièce ronde, éclairée par des torches. Cela ressemblait à une crypte sans gisants. Quelques personnes silencieuses étaient assises en cercle en se tenant les mains. Elles l’accueillirent en effectuant une inspiration longue et profonde suivie d’une expiration encore plus lente accompagnée du son produit de l’intérieur. Elle prit cela pour une salutation et se plaça à l’endroit désigné pour elle. La méditation reprit naturellement. Elle observa l’assemblée entre ses cils.
Une poussière épaisse se mit à tomber. On entendait une rumeur venue de la rue. C’était hallucinant. Comme si les bâtiments s’effondraient en amas de pierres. Là-haut, les gens hurlaient et couraient dans tous les sens. Chacun écoutait les bribes de conversation de la rue, pétrifié d’horreur. Attentat, un 11 septembre bis ? Le magasin Harrods aurait été visé ? Ces questions cruciales fusaient alors que l’homme en noir était revenu. Il faisait face au cercle avec un air mystérieux. Aucune réponse ne fut donnée.
Soudain, les feux croisés des lumières s’intensifièrent. Le corridor insalubre et sombre avait disparu. Une double porte s’ouvrit. Un groupe animé entra dans la salle qui n’avait plus rien de comparable à une crypte. En fait c’était une scène. Elle figurait parmi les acteurs ! Le rideau rouge s’ouvrit. Son nom fut prononcé. On l’invita à venir sur le podium. Elle apprit avec stupéfaction qu’elle avait été choisie pour cette simulation nommée « Jeu de main » et que, grâce à son sang-froid, elle était nominée en tant que marraine du magasin Harrods dont elle présenterait désormais la marque dans le monde entier Lydie s’adapta aux circonstances. C’est avec toute la grâce et le chic français qu’elle fut pendant de longues années la figure célébrée aux quatre coins de la planète. Ses chapeaux connurent un succès mérité.
Lorsqu’elle retourne de temps à autre à Londres, elle ne manque jamais de pénétrer dans le temple de l’élégance anglaise. Puis elle emprunte l’ascenseur et monte jusqu’au cinquième étage où l’attend peut-être Hugh Grant pour un tea-time servi avec une multitude de ses cup-cakes préférés.
http://www.aufeminin.com/ecrire-aufeminin/jeu-de-mains-s792976.html
merci de cliquer et de voter jusqu'au 10 Septembre
Elle avait réservé une chambre dans un Bed and breakfast proche de l’aéroport. Elle téléphonerait à ses amies pour leur confirmer qu’elle serait bien au rendez-vous du groupe, le lendemain, dans l’après-midi. Un taxi l’emmena à l’hôtel où elle sombra dans un sommeil agité mais néanmoins profond.
Dès le réveil, elle fit ses plans. C’était simple : elle prendrait son temps et ne gâcherait pas son plaisir. Elle irait chez Harrods, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige ! Elle mourait d’envie de choisir un pull en cachemire. Elle adorait fureter parmi les stands, avoir un coup de foudre pour un article, craquer pour des ballerines ou s’étourdir à en essayant des bibis et autres chapeaux de toute sorte. Une styliste fit une création sur elle. Le résultat était enchanteur. En s’admirant devant une glace en pied, elle sentit une présence, un regard lourd. Son image réfléchie par le miroir se brouilla.
En se retournant, elle vit une foule de gens se précipiter vers la sortie du magasin. L’escalier roulant était surchargé. Pourtant aucune alarme n’avait sonné. Que faire ? La styliste avait disparu. Comment sortir ? Restait l’ascenseur. Lydie se dirigea vers les portes et appuya sur le bouton d’appel. Elle entra dans la cabine baignée d’une lumière bleutée. Les portes se refermèrent tandis que le brouhaha du magasin s’amenuisait. Curieusement, elle ne se sentait pas seule dans cet espace réduit et oppressant. Machinalement elle appuya sur rez-de-chaussée. L’ascenseur fit un drôle de bruit comme s’il régurgitait puis la musique d’ambiance se mit à folâtrer un peu trop avec une sonorité passant du grave à l’aigu.
L’ascenseur gémissait de plus en plus. Montait-il ou descendait-il ? Impossible de le déterminer. Tout à coup, les portes s’ouvrirent lentement. Elle aperçut une silhouette masculine. L’homme était habillé de noir de la tête aux pieds. Il pénétra dans l’ascenseur en regardant fixement la jeune fille. La cacophonie atteignait son paroxysme. La panique gagnait tous les étages, les voix devenaient hystériques. Pour quelle raison, que se passait-il réellement ?
Miracle, l’ascenseur sembla repartir d’un bon pied. Il ronronnait, la musique avait retrouvé sa tonalité et son rythme, le tableau ne clignotait plus dans tous les sens. Au moment où elle allait appuyer sur rez-de-chaussée, l’homme, émergeant soudain de son rêve éveillé, lui saisit la main. Interloquée elle se tourna vers lui. D’une voix basse résonnant comme un écho venu des profondeurs, il lui intima l’ordre de le suivre pour sa propre sauvegarde. Elle était sans volonté. Ils descendirent jusqu’au dernier sous-sol. Les portes s’ouvrirent sur un corridor sombre et tortueux. Lydie se sentit oppressée. L’homme l’entraînait vers un abîme inconnu. Elle butait sur des pierres apparentes, s’embourbait dans des flaques d’eau saumâtre, scrutait les ténèbres à la recherche d’une issue, tout cela sans dire un mot, sans rébellion mais non sans appréhension.
Au bout d’une longue marche souterraine, ils débouchèrent dans une pièce ronde, éclairée par des torches. Cela ressemblait à une crypte sans gisants. Quelques personnes silencieuses étaient assises en cercle en se tenant les mains. Elles l’accueillirent en effectuant une inspiration longue et profonde suivie d’une expiration encore plus lente accompagnée du son produit de l’intérieur. Elle prit cela pour une salutation et se plaça à l’endroit désigné pour elle. La méditation reprit naturellement. Elle observa l’assemblée entre ses cils.
Une poussière épaisse se mit à tomber. On entendait une rumeur venue de la rue. C’était hallucinant. Comme si les bâtiments s’effondraient en amas de pierres. Là-haut, les gens hurlaient et couraient dans tous les sens. Chacun écoutait les bribes de conversation de la rue, pétrifié d’horreur. Attentat, un 11 septembre bis ? Le magasin Harrods aurait été visé ? Ces questions cruciales fusaient alors que l’homme en noir était revenu. Il faisait face au cercle avec un air mystérieux. Aucune réponse ne fut donnée.
Soudain, les feux croisés des lumières s’intensifièrent. Le corridor insalubre et sombre avait disparu. Une double porte s’ouvrit. Un groupe animé entra dans la salle qui n’avait plus rien de comparable à une crypte. En fait c’était une scène. Elle figurait parmi les acteurs ! Le rideau rouge s’ouvrit. Son nom fut prononcé. On l’invita à venir sur le podium. Elle apprit avec stupéfaction qu’elle avait été choisie pour cette simulation nommée « Jeu de main » et que, grâce à son sang-froid, elle était nominée en tant que marraine du magasin Harrods dont elle présenterait désormais la marque dans le monde entier Lydie s’adapta aux circonstances. C’est avec toute la grâce et le chic français qu’elle fut pendant de longues années la figure célébrée aux quatre coins de la planète. Ses chapeaux connurent un succès mérité.
Lorsqu’elle retourne de temps à autre à Londres, elle ne manque jamais de pénétrer dans le temple de l’élégance anglaise. Puis elle emprunte l’ascenseur et monte jusqu’au cinquième étage où l’attend peut-être Hugh Grant pour un tea-time servi avec une multitude de ses cup-cakes préférés.
http://www.aufeminin.com/ecrire-aufeminin/jeu-de-mains-s792976.html
merci de cliquer et de voter jusqu'au 10 Septembre
Sujets similaires
» Texte à plusieurs mains
» LAVEZ-VOUS LES MAINS
» Texte à quatre mains et plus ... (exercice)
» Anne Stien alias Anouk
» LAVEZ-VOUS LES MAINS
» Texte à quatre mains et plus ... (exercice)
» Anne Stien alias Anouk
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum