La Fantasy avant Tolkien.
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La Fantasy avant Tolkien.
Les origines de la Fantasy, pour quelques fervents exégètes, remonteraient à Gilgamesh, Ulysse, Sinbad, Achille, Cuchulainn, Siegfried, Lancelot, Beowulf, voire au Rama indien. C'est un point de vue qu'il convient de nuancer.
On peut concevoir que ces récits hauts en couleurs et riches en héros surhumains, en créatures extraordinaires et en affrontements spectaculaires répondent à un besoin de merveilleux, d'évasion et d'exultation inhérent à l'âme humaine, mais il y a quand même une différence notable entre de jeunes civilisations qui se construisent autour d'un tronc commun de mythes et notre vieux monde actuel en dérive spirituelle et idéologique. D'un autre côté, l'asservissement économique mondial resserrant de plus en plus les murs de la prison Terre, un sociologue pourrait être tenté de mettre l'engouement présent pour les univers de fantasy sur un désir viscéral de retour aux sources, quand le monde était neuf, libre, vaste et inconnu.
Je lui laisse la question.
Ce que je voulais souligner, c'est que même chez les auteurs qui font oeuvre personnelle et originale (comme Tolkien), la fantasy se comporte moins en héritière naturelle qu'en récupératrice de matériaux. Cela n'a rien de péjoratif, ça s'est toujours fait : L'Enéide de Virgile est dérivée d'Homère, le Roland Furieux de l'Arioste puise dans la Chanson de Roland, et il est amusant de penser que cette monstruosité tentaculaire qu'est devenu le Cycle Arthurien a commencé par trois lignes dans les chroniques d'un moine obscur du VIIIème siècle.
Je vais essayer de faire une petite revue des matériaux récupérés par la fantasy :
- Les anciens récits de tradition écrite (la source de Tolkien)
- Les anciens récits de tradition orale (à travers, par exemple, Seignolle ou les Bretons Hemon et Le Braz).
- Les atmosphères et les décors baroques du "gothique" à la Walpole.
- Les romans de chevalerie ressuscités par Walter Scott.
- Leur variante de cape et d'épée (Dumas, Féval, Zévaco)
- Les justicier vengeurs (Monte-Cristo, Rocambole)
- Le conte de fées (Grimm, Perrault) et dérivés (Dunsany)
- Contes chinois, japonais ou arabes (Mille et une nuits)
- Merveilleux fantastique (Peter Pan, Magicien d'Oz)
- Fantastique "usuel" (vampires, loups-garous, zombies)
- Créatures préhistoriques (Verne, C. Doyle, Rosny Aîné)
- Récits d'explorations (Verne, Rider Haggard, C. Doyle)
Plus les emprunts à la S-F :
- Mondes post-apo,
- Univers parallèles,
- Sauts temporels,
- Planètes primitives,
- Civilisations perdues, etc.
J'en oublie certainement mais cela suffit à relativiser la légende convenue d'une fantasy limitée au parcours initiatique d'un élu parachuté dans un paradis d'elfes, de nains et de fées, menacé par un vilain sorcier. Il y en a (coucou, Didier !) mais tout n'est pas là, loin s'en faut.
La S-F et la Fantasy sont une histoire essentiellement américaine, une histoite de pulps et de fandoms. Au début du siècle, les deux genres s'interpénètrent joyeusement ("le Conquérant de Mars" de Burroughs). En 1911, Hugo Gernsback introduit la "scienti-fiction" dans une revue de vulgarisation, avant de fonder "Amazing Stories" en 1926, privilégiant des récits tournés vers l'avenir et le progrès technologique. Parallèlement, "Weird Tales", lancé en 1923, publiait des nouvelles à vocation plus fantastique mais sans jamais parvenir à concurrencer les amateurs d'astronefs et de batailles planétaires. Le fossé se creusera définitivement en 37-38 avec la perte pour "Weird Tales" de ses auteurs-phares (Howard, Lovecraft et C. A. Smith) pendant que "l'Astounding" de Campbell voyait arriver des petits nouveaux du nom de Van Vogt, Heinlein, Asimov ou Sturgeon, les artisans de "l'âge d'or". "Weird Tales" sombrera dans l'indifférence générale en 1954, l'année même où un professeur d'Oxford publiait en Angleterre une monumentale histoire d'anneau et de magie.
Mais à regarder ce qu'il reste de la Fantasy américaine de cette première moitié du XXième siècle, on est surpris par la qualité et la diversité plus qu'honorable qui s'en dégage.
- Edgar Rice Burroughs : Cycles de Mars, Vénus, Pellucidar et Tarzan.
- Howard P. Lovecraft : La Quête onirique de Kadath l'Inconnue.
- Robert Howard : Kull, Conan, Solomon Kane, Agnès de Chastillon.
- Clark Ashton Smith : L'Empire des Nécromants, Ubbo-Sathla, etc.
- Frank Belknap Long : Le Gnome Rouge.
- Abraham Merrit : La Nef d'Ishtar, le Gouffre de la Lune, le Visage dans l'Abîme, les Habitants du Mirage.
- Catherine L. Moore : Shambleau, Jirel de Joiry.
- Charles G. Finney : Le Cirque du docteur Lao.
- Alfred E. van Vogt : Le Livre de Ptath.
Et la relève en marche :
- Fritz Leiber : Le Cycle des Epées (de 1935 à sa mort en 1992).
- Poul Anderson : Trois Coeurs, Trois Lions ; l'Epée Brisée.
- Leigh Brackett : L'Epée de Rhiannon (Le Livre de Mars)
- Jack Vance : Un Monde Magique (Cycle de la Terre Mourante)
- Lyon Sprague de Camp : Kâ, le Terrifiant, De Peur que les Ténèbres.
- Andre Norton : Le Miroir de Merlin.
Et d'autres que les éditeurs français n'ont pas encore daigné faire traduire...
(Prochain épisode : l'après-Tolkien.)
On peut concevoir que ces récits hauts en couleurs et riches en héros surhumains, en créatures extraordinaires et en affrontements spectaculaires répondent à un besoin de merveilleux, d'évasion et d'exultation inhérent à l'âme humaine, mais il y a quand même une différence notable entre de jeunes civilisations qui se construisent autour d'un tronc commun de mythes et notre vieux monde actuel en dérive spirituelle et idéologique. D'un autre côté, l'asservissement économique mondial resserrant de plus en plus les murs de la prison Terre, un sociologue pourrait être tenté de mettre l'engouement présent pour les univers de fantasy sur un désir viscéral de retour aux sources, quand le monde était neuf, libre, vaste et inconnu.
Je lui laisse la question.
Ce que je voulais souligner, c'est que même chez les auteurs qui font oeuvre personnelle et originale (comme Tolkien), la fantasy se comporte moins en héritière naturelle qu'en récupératrice de matériaux. Cela n'a rien de péjoratif, ça s'est toujours fait : L'Enéide de Virgile est dérivée d'Homère, le Roland Furieux de l'Arioste puise dans la Chanson de Roland, et il est amusant de penser que cette monstruosité tentaculaire qu'est devenu le Cycle Arthurien a commencé par trois lignes dans les chroniques d'un moine obscur du VIIIème siècle.
Je vais essayer de faire une petite revue des matériaux récupérés par la fantasy :
- Les anciens récits de tradition écrite (la source de Tolkien)
- Les anciens récits de tradition orale (à travers, par exemple, Seignolle ou les Bretons Hemon et Le Braz).
- Les atmosphères et les décors baroques du "gothique" à la Walpole.
- Les romans de chevalerie ressuscités par Walter Scott.
- Leur variante de cape et d'épée (Dumas, Féval, Zévaco)
- Les justicier vengeurs (Monte-Cristo, Rocambole)
- Le conte de fées (Grimm, Perrault) et dérivés (Dunsany)
- Contes chinois, japonais ou arabes (Mille et une nuits)
- Merveilleux fantastique (Peter Pan, Magicien d'Oz)
- Fantastique "usuel" (vampires, loups-garous, zombies)
- Créatures préhistoriques (Verne, C. Doyle, Rosny Aîné)
- Récits d'explorations (Verne, Rider Haggard, C. Doyle)
Plus les emprunts à la S-F :
- Mondes post-apo,
- Univers parallèles,
- Sauts temporels,
- Planètes primitives,
- Civilisations perdues, etc.
J'en oublie certainement mais cela suffit à relativiser la légende convenue d'une fantasy limitée au parcours initiatique d'un élu parachuté dans un paradis d'elfes, de nains et de fées, menacé par un vilain sorcier. Il y en a (coucou, Didier !) mais tout n'est pas là, loin s'en faut.
La S-F et la Fantasy sont une histoire essentiellement américaine, une histoite de pulps et de fandoms. Au début du siècle, les deux genres s'interpénètrent joyeusement ("le Conquérant de Mars" de Burroughs). En 1911, Hugo Gernsback introduit la "scienti-fiction" dans une revue de vulgarisation, avant de fonder "Amazing Stories" en 1926, privilégiant des récits tournés vers l'avenir et le progrès technologique. Parallèlement, "Weird Tales", lancé en 1923, publiait des nouvelles à vocation plus fantastique mais sans jamais parvenir à concurrencer les amateurs d'astronefs et de batailles planétaires. Le fossé se creusera définitivement en 37-38 avec la perte pour "Weird Tales" de ses auteurs-phares (Howard, Lovecraft et C. A. Smith) pendant que "l'Astounding" de Campbell voyait arriver des petits nouveaux du nom de Van Vogt, Heinlein, Asimov ou Sturgeon, les artisans de "l'âge d'or". "Weird Tales" sombrera dans l'indifférence générale en 1954, l'année même où un professeur d'Oxford publiait en Angleterre une monumentale histoire d'anneau et de magie.
Mais à regarder ce qu'il reste de la Fantasy américaine de cette première moitié du XXième siècle, on est surpris par la qualité et la diversité plus qu'honorable qui s'en dégage.
- Edgar Rice Burroughs : Cycles de Mars, Vénus, Pellucidar et Tarzan.
- Howard P. Lovecraft : La Quête onirique de Kadath l'Inconnue.
- Robert Howard : Kull, Conan, Solomon Kane, Agnès de Chastillon.
- Clark Ashton Smith : L'Empire des Nécromants, Ubbo-Sathla, etc.
- Frank Belknap Long : Le Gnome Rouge.
- Abraham Merrit : La Nef d'Ishtar, le Gouffre de la Lune, le Visage dans l'Abîme, les Habitants du Mirage.
- Catherine L. Moore : Shambleau, Jirel de Joiry.
- Charles G. Finney : Le Cirque du docteur Lao.
- Alfred E. van Vogt : Le Livre de Ptath.
Et la relève en marche :
- Fritz Leiber : Le Cycle des Epées (de 1935 à sa mort en 1992).
- Poul Anderson : Trois Coeurs, Trois Lions ; l'Epée Brisée.
- Leigh Brackett : L'Epée de Rhiannon (Le Livre de Mars)
- Jack Vance : Un Monde Magique (Cycle de la Terre Mourante)
- Lyon Sprague de Camp : Kâ, le Terrifiant, De Peur que les Ténèbres.
- Andre Norton : Le Miroir de Merlin.
Et d'autres que les éditeurs français n'ont pas encore daigné faire traduire...
(Prochain épisode : l'après-Tolkien.)
Jack-the-rimeur- — — Zonard crépusculaire — — Disciple d'Ambrose Bierce
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Date d'inscription : 23/01/2013
Age : 72
Localisation : Narbonne
Re: La Fantasy avant Tolkien.
Tiens il y en aurait quelques-uns que je n'ai pas lu ! En gras ci-dessous :
- Edgar Rice Burroughs : Cycles de Mars, Vénus, Pellucidar et Tarzan.
- Howard P. Lovecraft : La Quête onirique de Kadath l'Inconnue.
- Robert Howard : Kull, Conan, Solomon Kane, Agnès de Chastillon.
- Clark Ashton Smith : L'Empire des Nécromants, Ubbo-Sathla, etc.
- Frank Belknap Long : Le Gnome Rouge.
- Abraham Merrit : La Nef d'Ishtar, le Gouffre de la Lune, le Visage dans l'Abîme, les Habitants du Mirage.
- Catherine L. Moore : Shambleau, Jirel de Joiry.
- Charles G. Finney : Le Cirque du docteur Lao.
- Alfred E. van Vogt : Le Livre de Ptath.
Et la relève en marche :
- Fritz Leiber : Le Cycle des Epées (de 1935 à sa mort en 1992).
- Poul Anderson : Trois Coeurs, Trois Lions ; l'Epée Brisée.
- Leigh Brackett : L'Epée de Rhiannon (Le Livre de Mars)
- Jack Vance : Un Monde Magique (Cycle de la Terre Mourante)
- Lyon Sprague de Camp : Kâ, le Terrifiant, De Peur que les Ténèbres.
- Andre Norton : Le Miroir de Merlin.
Effectivement on ne peut pas être exhaustifs tant il y en a. Mais je citerais quand même un auteur que je trouve excellent : William H. Hodgson. Avec une oeuvre comme Le pays de la nuit, il est exactement dans le ton !
Merci à toi Jack pour ce post très intéressant !
Décidément nous avons plein de goûts communs !
- Edgar Rice Burroughs : Cycles de Mars, Vénus, Pellucidar et Tarzan.
- Howard P. Lovecraft : La Quête onirique de Kadath l'Inconnue.
- Robert Howard : Kull, Conan, Solomon Kane, Agnès de Chastillon.
- Clark Ashton Smith : L'Empire des Nécromants, Ubbo-Sathla, etc.
- Frank Belknap Long : Le Gnome Rouge.
- Abraham Merrit : La Nef d'Ishtar, le Gouffre de la Lune, le Visage dans l'Abîme, les Habitants du Mirage.
- Catherine L. Moore : Shambleau, Jirel de Joiry.
- Charles G. Finney : Le Cirque du docteur Lao.
- Alfred E. van Vogt : Le Livre de Ptath.
Et la relève en marche :
- Fritz Leiber : Le Cycle des Epées (de 1935 à sa mort en 1992).
- Poul Anderson : Trois Coeurs, Trois Lions ; l'Epée Brisée.
- Leigh Brackett : L'Epée de Rhiannon (Le Livre de Mars)
- Jack Vance : Un Monde Magique (Cycle de la Terre Mourante)
- Lyon Sprague de Camp : Kâ, le Terrifiant, De Peur que les Ténèbres.
- Andre Norton : Le Miroir de Merlin.
Effectivement on ne peut pas être exhaustifs tant il y en a. Mais je citerais quand même un auteur que je trouve excellent : William H. Hodgson. Avec une oeuvre comme Le pays de la nuit, il est exactement dans le ton !
Merci à toi Jack pour ce post très intéressant !
Décidément nous avons plein de goûts communs !
mormir- — Arpenteur des mondes — Disciple de l'arbre noir
- Messages : 2638
Date d'inscription : 11/05/2013
Age : 60
Localisation : Près de Chartres
Re: La Fantasy avant Tolkien.
Je suis assez d'accord avec ta liste, mais suis tenté de proposer un autre "inventeur" de la fantasy, français celui-là : Gustave Flaubert.
Je ne plaisante pas. Bien sûr, la plus grosse part de son œuvre n'est en rien de la fantasy mais, me semble-t-il, un roman est à en distinguer : Salammbô. Lorsqu'on lit les notes et la correspondance de Flaubert, on découvre qu'il voulait se confronter à une étrangeté radicale, reconstruire une civilisation dont la tradition n'a rien retenu. Certes, son roman est ancré dans l'histoire réelle mais, malgré ses recherches archéologiques (très assidues quoique imparfaites car cette science n'était alors qu'à ses balbutiements), il a beaucoup inventé. Au point de décrire, au final, un monde autant né de son imagination que des textes de Polybe et cie sur lesquels il s'est basé.
Bref il faudrait étudier cela de plus près, mais je pense que cette "néo-épopée" consacrée à la révolte des mercenaires de Carthage — avec ses enchaînements de batailles interminables, son mysticisme (épisode du zaïmph, sacrifice à Moloch...), son décorum — n'est pas loin de préfigurer certains récits fantasy qui l'ont suivie.
Y a-t-il des lecteurs de ce roman pour confirmer ou infirmer cette impression ?
Je ne plaisante pas. Bien sûr, la plus grosse part de son œuvre n'est en rien de la fantasy mais, me semble-t-il, un roman est à en distinguer : Salammbô. Lorsqu'on lit les notes et la correspondance de Flaubert, on découvre qu'il voulait se confronter à une étrangeté radicale, reconstruire une civilisation dont la tradition n'a rien retenu. Certes, son roman est ancré dans l'histoire réelle mais, malgré ses recherches archéologiques (très assidues quoique imparfaites car cette science n'était alors qu'à ses balbutiements), il a beaucoup inventé. Au point de décrire, au final, un monde autant né de son imagination que des textes de Polybe et cie sur lesquels il s'est basé.
Bref il faudrait étudier cela de plus près, mais je pense que cette "néo-épopée" consacrée à la révolte des mercenaires de Carthage — avec ses enchaînements de batailles interminables, son mysticisme (épisode du zaïmph, sacrifice à Moloch...), son décorum — n'est pas loin de préfigurer certains récits fantasy qui l'ont suivie.
Y a-t-il des lecteurs de ce roman pour confirmer ou infirmer cette impression ?
Re: La Fantasy avant Tolkien.
Faudrait que je reprenne Salammbô et que j'arrive à aller au bout... Mais c'est sûr, il y a une ambiance à la Howard ! D'ailleurs le dessinateur Philippe Druillet en a fait une adaptation BD entre la SF et la fantasy, remplaçant le personnage de Matho par son héros Lone Sloane:
Mais en fait on pourrait dire que la fantasy est le style littéraire le plus ancien de l'humanité! Les légendes, les épopées... Bon, il faut distinguer les écrits qui racontent les légendes et mythes sur lesquels des religions et des civilisations sont basées: La Bible ou le Mahabharata ne sont pas de la fantasy, mais des livres sacrés. Je pense que la fantasy apparaît quand on raconte ces histoires pour la distraction : Ovide, quand il écrit Les Métamorphoses, croit aux dieux mais doute un peu de la véracité des légendes populaires... Au moyen-âge, les livres de Chrétien de Troyes, écrits "Manière de Bretagne" (inspirés des légendes celtes et anglo-normandes) sont très nettement des œuvres de distraction à l'usage des Dames de la noblesse...
Mais en fait on pourrait dire que la fantasy est le style littéraire le plus ancien de l'humanité! Les légendes, les épopées... Bon, il faut distinguer les écrits qui racontent les légendes et mythes sur lesquels des religions et des civilisations sont basées: La Bible ou le Mahabharata ne sont pas de la fantasy, mais des livres sacrés. Je pense que la fantasy apparaît quand on raconte ces histoires pour la distraction : Ovide, quand il écrit Les Métamorphoses, croit aux dieux mais doute un peu de la véracité des légendes populaires... Au moyen-âge, les livres de Chrétien de Troyes, écrits "Manière de Bretagne" (inspirés des légendes celtes et anglo-normandes) sont très nettement des œuvres de distraction à l'usage des Dames de la noblesse...
Re: La Fantasy avant Tolkien.
On m'a dit beaucoup de bien de cette bande dessinée. Il va falloir que je me la procure...
Je ne sais pas si la fantasy est si vieille (au sens propre, peut-être pas car la tendance d'inventer des mondes différents et totalement séparés des nôtres n'est pas si ancienne), mais il est certain qu'il existe une veine de « récits d'aventures fantastiques » qui est aussi vieille que le monde.
Cela me fait penser qu'on peut aussi chercher des récits de type « proto-fantasy » chez des auteurs comme Swift (Les Voyages de Gulliver) ou Rabelais...
Je ne sais pas si la fantasy est si vieille (au sens propre, peut-être pas car la tendance d'inventer des mondes différents et totalement séparés des nôtres n'est pas si ancienne), mais il est certain qu'il existe une veine de « récits d'aventures fantastiques » qui est aussi vieille que le monde.
Cela me fait penser qu'on peut aussi chercher des récits de type « proto-fantasy » chez des auteurs comme Swift (Les Voyages de Gulliver) ou Rabelais...
Re: La Fantasy avant Tolkien.
Oui, encore que les mondes de Rabelais ou Swift sont des métaphores sociales et politiques, mais dans le fond les romans d'H.G. Wells aussi, ce n'en était pas moins de la SF !
Re: La Fantasy avant Tolkien.
"Que toutes les énergies de la nature, que j'ai aspirées, me pénètrent et qu'elles s'exhalent dans mon livre. A moi, puissance de l'émotion plastique ! Résurrection du passé, à moi ! à moi ! Il faut faire, à travers le beau, vivant et vrai quand même."
Ces quelques mots de Flaubert en intro de Salammbô ne dépareraient pas, en effet, un manifeste d'heroic fantasy et on peut regretter que cette tentative somptueuse soit restée sans lendemain tant dans l'oeuvre de son auteur que les mouvements littéraires de l'époque. (Même si le XIXe ne manque pas de récits flirtant avec le genre : "Han d'Islande" de Hugo, "Le roman de la momie" de Gautier ou "Le meneur de loups" de Dumas - et par certains côtés, on pourrait dire que "Notre-Dame de Paris" est plus proche d'une uchronie flamboyante que du roman historique.)
On peut d'ailleurs multiplier les "précédents" littéraires à l'infini (Gulliver, Micromégas ou l'Utopie de Moore ont été récupérés depuis longtemps par la S-F, comme Oedipe par le polar, mais Rabelais, Agrippa d'Aubigné, voire "le roman de Renart", oui, pourquoi pas ?) sauf que l'intérêt n'est pas de brouiller un peu plus les cartes mais d'essayer de cerner l'identité de ce qui est devenu un genre à part entière sinon indépendant.
Et il me semble qu'une des clés, justement, est dans l'approche de Flaubert : "faire beau, vivant et vrai... puissance de l'émotion plastique."
Il s'agit là d'une conception purement esthétique, assez voisine de l'idéal parnassien, et qui est toujours la marque des bons auteurs de Fantasy ("c'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît"), tandis que les légendes et les épopées anciennes avaient avant tout pour fonction, sous des attraits sensationnels et hauts en couleurs, d'exalter des vertus (de patriotisme, de courage, de loyauté, etc.) Et plus les obstacles étaient formidables, plus grand était le héros auquel l'auditeur (les lecteurs étaient rares alors) était encouragé à s'identifier. (Si Guillaume de Normandie a fait jouer "la chanson de Roland" devant ses troupes à la veille de la bataille d'Hastings, ce n'était pas que pour les distraire.)
Et ce côté édifiant, Paladin, n'est pas absent des livres sacrés. La Bible fourmille de récits de ce genre et, à part peut-être la bataille où Josué arrête le soleil, Hollywood a repiqué les plus spectaculaires. (Il y a d'ailleurs un air de famille entre Thésée brandissant la tête de Méduse et Judith exhibant celle d'Holopherne, tu ne trouves pas ?)
Quoi qu'il en soit, dans un monde qui ne croit plus en rien, qui est en panne de religion comme d'idéologie, la nostalgie des anciennes valeurs simples et rassurantes peut en partie expliquer le succès de la fantasy moderne auprès du public, mais la comparaison s'arrête là. La fantasy peut véhiculer un message ou une morale, mais ce n'est pas sa finalité. On ne la lit pas pour ça, on la lit parce qu'elle est belle, qu'elle vous bouge et qu'elle vous remue. Comme une oeuvre d'art.
D'ailleurs, dans la fantasy actuelle, on trouve autant d'anti-héros que de héros, et la plupart de ces derniers sont pragmatiques ou désabusés, agissant plus souvent par révolte, rancune ou nécessité que par idéal. On y retrouve aussi bien l'aventure et le grand spectacle que la S-F avait abandonnés, l'émerveillement et la dérision que boude la "grande" littérature, les décors grandioses et baroques auquel le fantastique a tourné le dos, ou ces atmosphères noires et mystérieuses que les néo-polars ultra-réalistes ont désertés.
C'est pour cela qu'elle ressemble à tout et à rien.
C'est pour cela qu'elle me fascine.
Ces quelques mots de Flaubert en intro de Salammbô ne dépareraient pas, en effet, un manifeste d'heroic fantasy et on peut regretter que cette tentative somptueuse soit restée sans lendemain tant dans l'oeuvre de son auteur que les mouvements littéraires de l'époque. (Même si le XIXe ne manque pas de récits flirtant avec le genre : "Han d'Islande" de Hugo, "Le roman de la momie" de Gautier ou "Le meneur de loups" de Dumas - et par certains côtés, on pourrait dire que "Notre-Dame de Paris" est plus proche d'une uchronie flamboyante que du roman historique.)
On peut d'ailleurs multiplier les "précédents" littéraires à l'infini (Gulliver, Micromégas ou l'Utopie de Moore ont été récupérés depuis longtemps par la S-F, comme Oedipe par le polar, mais Rabelais, Agrippa d'Aubigné, voire "le roman de Renart", oui, pourquoi pas ?) sauf que l'intérêt n'est pas de brouiller un peu plus les cartes mais d'essayer de cerner l'identité de ce qui est devenu un genre à part entière sinon indépendant.
Et il me semble qu'une des clés, justement, est dans l'approche de Flaubert : "faire beau, vivant et vrai... puissance de l'émotion plastique."
Il s'agit là d'une conception purement esthétique, assez voisine de l'idéal parnassien, et qui est toujours la marque des bons auteurs de Fantasy ("c'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît"), tandis que les légendes et les épopées anciennes avaient avant tout pour fonction, sous des attraits sensationnels et hauts en couleurs, d'exalter des vertus (de patriotisme, de courage, de loyauté, etc.) Et plus les obstacles étaient formidables, plus grand était le héros auquel l'auditeur (les lecteurs étaient rares alors) était encouragé à s'identifier. (Si Guillaume de Normandie a fait jouer "la chanson de Roland" devant ses troupes à la veille de la bataille d'Hastings, ce n'était pas que pour les distraire.)
Et ce côté édifiant, Paladin, n'est pas absent des livres sacrés. La Bible fourmille de récits de ce genre et, à part peut-être la bataille où Josué arrête le soleil, Hollywood a repiqué les plus spectaculaires. (Il y a d'ailleurs un air de famille entre Thésée brandissant la tête de Méduse et Judith exhibant celle d'Holopherne, tu ne trouves pas ?)
Quoi qu'il en soit, dans un monde qui ne croit plus en rien, qui est en panne de religion comme d'idéologie, la nostalgie des anciennes valeurs simples et rassurantes peut en partie expliquer le succès de la fantasy moderne auprès du public, mais la comparaison s'arrête là. La fantasy peut véhiculer un message ou une morale, mais ce n'est pas sa finalité. On ne la lit pas pour ça, on la lit parce qu'elle est belle, qu'elle vous bouge et qu'elle vous remue. Comme une oeuvre d'art.
D'ailleurs, dans la fantasy actuelle, on trouve autant d'anti-héros que de héros, et la plupart de ces derniers sont pragmatiques ou désabusés, agissant plus souvent par révolte, rancune ou nécessité que par idéal. On y retrouve aussi bien l'aventure et le grand spectacle que la S-F avait abandonnés, l'émerveillement et la dérision que boude la "grande" littérature, les décors grandioses et baroques auquel le fantastique a tourné le dos, ou ces atmosphères noires et mystérieuses que les néo-polars ultra-réalistes ont désertés.
C'est pour cela qu'elle ressemble à tout et à rien.
C'est pour cela qu'elle me fascine.
Jack-the-rimeur- — — Zonard crépusculaire — — Disciple d'Ambrose Bierce
- Messages : 2415
Date d'inscription : 23/01/2013
Age : 72
Localisation : Narbonne
Re: La Fantasy avant Tolkien.
Oui, mais je disais exactement la même chose que toi, Jack: dans les mythologies antiques ou la Bible, on trouve des images fortes et exaltantes, qui ont pour fonction de porter des valeurs, spirituelles, morales et sociales (les trois n'étant pas séparées dans les sociétés traditionnelles). Le différence que je faisais avec la fantasy c'est que précisément :
Et je disais que la fantasy a peut-être commencé quand on a écrit des histoires épiques et légendaires dans un but de distraction: La Chanson De Roland était encore quasiment un oeuvre de propagande, les romans de Chrétien de Troyes sont des œuvres courtoises lues par l'aristocratie cultivée et les troubadours !
Jack-the-rimeur a écrit:La fantasy peut véhiculer un message ou une morale, mais ce n'est pas sa finalité. On ne la lit pas pour ça, on la lit parce qu'elle est belle, qu'elle vous bouge et qu'elle vous remue. Comme une oeuvre d'art.
Et je disais que la fantasy a peut-être commencé quand on a écrit des histoires épiques et légendaires dans un but de distraction: La Chanson De Roland était encore quasiment un oeuvre de propagande, les romans de Chrétien de Troyes sont des œuvres courtoises lues par l'aristocratie cultivée et les troubadours !
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