Instants 1-20
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Re: Instants 1-20
25
Pendant ce temps-là, il marchait.
Redécouvrait les mille nuances des sols sous ses pieds mis en feu par le défaut d'exercice. Soyeux du sable et souplesse de l'herbe des grandes prairies. Morsure des pierres brisées et douleurs aux chevilles dans les galets instables. Grain de la terre aride et succion de la glaise détrempée. AU soir, il faisait sécher ses chaussures auprès du feu, massait ses pieds calleux et crevait les ampoules, pour repartir au matin en boitant un peu mais heureux, car ces douleurs l'amenaient aussi plus loin, la preuve qu'il s'en allait jusqu'à l'horizon, la preuve qu'il était là et vivant.
26
– La plume plus forte que l'épée, dit le philosophe. La parole plus forte que le poing. L'esprit domine la matière !
– Pourtant je peux briser ton bras, dit le guerrier. Tu seras bien avancé avec tes discours.
– Certes, mais je ferai alors constater ton acte de violence par les magistrats, et tu seras puni par la Loi. C'est ainsi : le penseur l'emportera toujours sur la brute.
– Mais il faut du temps pour penser, il faut avoir la tranquillité, un ventre plein et de l'eau propre, de quoi se réchauffer, et un corps en bonne santé. Crois-tu, philosophe, que tu pourrais dépenser des heures à réfléchir si tu devais fuir ou te cacher d'ennemis, si tu souffrais de la faim, si tu n'avais qu'à boire une eau croupie te nouant le ventre de diarrhées, si le froid te faisait trembler jusqu'à être incapable de coordonner tes gestes, et si la maladie rongeait tes os ou qu'un envahisseur t'ait tranché les mains ?
« Ce temps de loisir, cette paix pour utiliser ton esprit, c'est un pays en paix et fonctionnel qui te le fournis, et ce pays est né par le sacrifice de ses guerriers, ceux qui sont tombés aux frontières pour les défendre. C'est l'épée qui a taillé une place à la plume. Et si toute civilisation parvenue à son apogée finit par s'effondrer après sa décadence, ses ruines fumantes seront conquises par les barbabres. L'épée encore. L'épée au début et à la fin de l'histoire.
« Alors profite de la paix, philosophe, car elle n'est qu'une parenthèse.
Pendant ce temps-là, il marchait.
Redécouvrait les mille nuances des sols sous ses pieds mis en feu par le défaut d'exercice. Soyeux du sable et souplesse de l'herbe des grandes prairies. Morsure des pierres brisées et douleurs aux chevilles dans les galets instables. Grain de la terre aride et succion de la glaise détrempée. AU soir, il faisait sécher ses chaussures auprès du feu, massait ses pieds calleux et crevait les ampoules, pour repartir au matin en boitant un peu mais heureux, car ces douleurs l'amenaient aussi plus loin, la preuve qu'il s'en allait jusqu'à l'horizon, la preuve qu'il était là et vivant.
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– La plume plus forte que l'épée, dit le philosophe. La parole plus forte que le poing. L'esprit domine la matière !
– Pourtant je peux briser ton bras, dit le guerrier. Tu seras bien avancé avec tes discours.
– Certes, mais je ferai alors constater ton acte de violence par les magistrats, et tu seras puni par la Loi. C'est ainsi : le penseur l'emportera toujours sur la brute.
– Mais il faut du temps pour penser, il faut avoir la tranquillité, un ventre plein et de l'eau propre, de quoi se réchauffer, et un corps en bonne santé. Crois-tu, philosophe, que tu pourrais dépenser des heures à réfléchir si tu devais fuir ou te cacher d'ennemis, si tu souffrais de la faim, si tu n'avais qu'à boire une eau croupie te nouant le ventre de diarrhées, si le froid te faisait trembler jusqu'à être incapable de coordonner tes gestes, et si la maladie rongeait tes os ou qu'un envahisseur t'ait tranché les mains ?
« Ce temps de loisir, cette paix pour utiliser ton esprit, c'est un pays en paix et fonctionnel qui te le fournis, et ce pays est né par le sacrifice de ses guerriers, ceux qui sont tombés aux frontières pour les défendre. C'est l'épée qui a taillé une place à la plume. Et si toute civilisation parvenue à son apogée finit par s'effondrer après sa décadence, ses ruines fumantes seront conquises par les barbabres. L'épée encore. L'épée au début et à la fin de l'histoire.
« Alors profite de la paix, philosophe, car elle n'est qu'une parenthèse.
Re: Instants 1-20
Waouw ! Je les adore les deux derniers.
Inventrice du "rocueil", le mixte entre le roman et le recueil.
"J'ai lu. Je sais même pas quoi dire tellement je suis atterrée.
Et le pire c'est que j'ai aimé te lire." Raven sur "Yin et yang"
"Merci de m'avoir donné envie de vomir !" Nao76 sur "Yin et yang"
"Ton texte m'avait fait penser à un film allemand atroce que j'avais vu plus jeune : Nekromantik !" Polo sur "Trafic de cadavres"
Re: Instants 1-20
Le dernier est génial !
J'ai moins accroché sur l'avant dernier mais je compte bien me lire la totalité de tes instants, à l'occasion.
J'ai moins accroché sur l'avant dernier mais je compte bien me lire la totalité de tes instants, à l'occasion.
20 minutes avant la tombe - Confession d'un mort - Les rêveurs de Somnore - La nuit derrière la porte - La dame aux yeux vides
"Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher." Baudelaire, Chacun sa chimère
Re: Instants 1-20
Très sympa à lire. Dans le 25, j'aurais remplacé "car ces douleurs l'amenaient aussi plus loin" par "car ces douleurs aussi l'amenaient plus loin" qui me semble plus percutant. Mais chacun ses goûts
CONFUCIUS : lorsque l’on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ça n’est pas forcément le pot qui est vide.
mormir- — Arpenteur des mondes — Disciple de l'arbre noir
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Localisation : Près de Chartres
Re: Instants 1-20
Quelques petits nouveaux ! Je rappelle le principe des Instants : des bouts de texte qui viennent comme ça, l'équivalent d'un carnet de croquis de peintre, ça ressemble à des extraits, mais ils sont dégagés de toute histoire (bien que de plus en plus, j'ai l'impression que certains se rejoignent. Plusieurs Instants parlent d'un désert par exemple)
28
Quand on ouvrait cette porte, on avait l'impression que même l'air était granuleux tant la poussière régnait. Abandonnée depuis trente-cinq ans, depuis la mort de la mémé, rien n'avait changé dans la chambre, sauf la couche de poussière qui augmentait sur les meubles et le lit aux draps jaunâtres, et les nids de souris dans les recoins qui se disputaient la place avec les araignées.
29
Le bleu brutal du ciel tremblait derrière les spectres de chaleur, qui ondulaient depuis le sol sablonneux et les flancs blancs des immeubles. L'eau liquide ne semblait plus exister ailleurs qu'en des réservoirs cachés, mis à l'abri de ce soleil nocif. Les larmes, la sueur, même le sang séchait avant de couler et pourtant, les bâtisseurs étaient là-haut, dans la carcasse de béton et d'acier du futur building, la peau cuite, tannée, cuite de nouveau. Accrochés à leurs maigres échafaudages, se brûlant les doigts aux poutrelles chauffées dès le matin, les esclaves-maçons des pyramides modernes, qui ne rêvaient de rien d'autre que d'un verre d'eau froide et du crépuscule qui seul calmerait la fournaise.
30
Quand elle marchait, c'était comme si le monde entier ralentissait pour l'attendre. Pas qu'elle marche vraiment, d'ailleurs, elle se propulsait, glissant un pied sur le sol en raclant la poussière, puis le suivant, de toute la force qui subsistait dans ses vieilles jambes fripées aux varices douloureuses. Pour un pas franchi, il fallait encore le temps de retrouver un équilibre incertain, au minimum. Pas de quoi faire une carrière de fildefériste, juste assez pour se maintenir debout, ne pas tomber et se fracasser le bras, le col du fémur ou le crâne. À son âge, l'un ou l'autre traumatisme, c'était une signature pour un aller simple vers le terminus.
31
Ils ne s'étaient pas trompés : sous les pelles et les pioches, sous le sable déblayé et les roches fragmentées, ils trouvèrent une étrange pierre grise, lisse et plate, et bien plus vaste que ce qu'on en voyait. La fosse mesurait quatre bons mètres de diamètre, autant de profondeur, et la pierre grise disparaissait sous les parois. A en juger par l'état de sécheresse de ce coin du désert, elle devait s'étendre sur une bonne centaine d'hectares. Pas de végétation : elle coupait tout accès à une éventuelle nappe phréatique. Pas de formations rocheuses, aucun magma n'avait jamais pu remonter au travers, aucun mouvement tectonique n'avait pu la plier. Sable et galets avaient été amenés par les pluies et les torrents éphémères, depuis les montagnes de basalte et de grès déchiquetées qui dessinaient un cercle autour de la Pierre Grise, marquant ainsi ses imites, et qui flottaient à l'horizon, bleutées derrière la brume de chaleur.
Ils placèrent les épais burins, levèrent les masses au bout de leurs bras fatigués. La Pierre Grise résista, arrachant des étincelles aux outils, mais finit par céder. Un burin s'enfonça d'un coup en laissant un trou noir où l'air s’engouffra en sifflant. Quelques violents coups de masse fracturèrent le pourtour, agrandissant le trou. Jamais ils n'entendirent le burin ou les éclats de Pierre Grise résonner sur un sous-sol, comme s'ils ouvraient le plafond d'une caverne, car la Pierre Grise était une écorce, une barrière, et en-dessous, au travers de l'ouverture, ils virent des ténèbres profondes veinées du bleu et du rouge de nébuleuses ondoyantes, le déroulé de galaxies scintillantes de milliards de nouveaux soleils et l'éclat insoutenable des corolles de lumière aspirées par les trous noirs.
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Quand on ouvrait cette porte, on avait l'impression que même l'air était granuleux tant la poussière régnait. Abandonnée depuis trente-cinq ans, depuis la mort de la mémé, rien n'avait changé dans la chambre, sauf la couche de poussière qui augmentait sur les meubles et le lit aux draps jaunâtres, et les nids de souris dans les recoins qui se disputaient la place avec les araignées.
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Le bleu brutal du ciel tremblait derrière les spectres de chaleur, qui ondulaient depuis le sol sablonneux et les flancs blancs des immeubles. L'eau liquide ne semblait plus exister ailleurs qu'en des réservoirs cachés, mis à l'abri de ce soleil nocif. Les larmes, la sueur, même le sang séchait avant de couler et pourtant, les bâtisseurs étaient là-haut, dans la carcasse de béton et d'acier du futur building, la peau cuite, tannée, cuite de nouveau. Accrochés à leurs maigres échafaudages, se brûlant les doigts aux poutrelles chauffées dès le matin, les esclaves-maçons des pyramides modernes, qui ne rêvaient de rien d'autre que d'un verre d'eau froide et du crépuscule qui seul calmerait la fournaise.
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Quand elle marchait, c'était comme si le monde entier ralentissait pour l'attendre. Pas qu'elle marche vraiment, d'ailleurs, elle se propulsait, glissant un pied sur le sol en raclant la poussière, puis le suivant, de toute la force qui subsistait dans ses vieilles jambes fripées aux varices douloureuses. Pour un pas franchi, il fallait encore le temps de retrouver un équilibre incertain, au minimum. Pas de quoi faire une carrière de fildefériste, juste assez pour se maintenir debout, ne pas tomber et se fracasser le bras, le col du fémur ou le crâne. À son âge, l'un ou l'autre traumatisme, c'était une signature pour un aller simple vers le terminus.
31
Ils ne s'étaient pas trompés : sous les pelles et les pioches, sous le sable déblayé et les roches fragmentées, ils trouvèrent une étrange pierre grise, lisse et plate, et bien plus vaste que ce qu'on en voyait. La fosse mesurait quatre bons mètres de diamètre, autant de profondeur, et la pierre grise disparaissait sous les parois. A en juger par l'état de sécheresse de ce coin du désert, elle devait s'étendre sur une bonne centaine d'hectares. Pas de végétation : elle coupait tout accès à une éventuelle nappe phréatique. Pas de formations rocheuses, aucun magma n'avait jamais pu remonter au travers, aucun mouvement tectonique n'avait pu la plier. Sable et galets avaient été amenés par les pluies et les torrents éphémères, depuis les montagnes de basalte et de grès déchiquetées qui dessinaient un cercle autour de la Pierre Grise, marquant ainsi ses imites, et qui flottaient à l'horizon, bleutées derrière la brume de chaleur.
Ils placèrent les épais burins, levèrent les masses au bout de leurs bras fatigués. La Pierre Grise résista, arrachant des étincelles aux outils, mais finit par céder. Un burin s'enfonça d'un coup en laissant un trou noir où l'air s’engouffra en sifflant. Quelques violents coups de masse fracturèrent le pourtour, agrandissant le trou. Jamais ils n'entendirent le burin ou les éclats de Pierre Grise résonner sur un sous-sol, comme s'ils ouvraient le plafond d'une caverne, car la Pierre Grise était une écorce, une barrière, et en-dessous, au travers de l'ouverture, ils virent des ténèbres profondes veinées du bleu et du rouge de nébuleuses ondoyantes, le déroulé de galaxies scintillantes de milliards de nouveaux soleils et l'éclat insoutenable des corolles de lumière aspirées par les trous noirs.
Dernière édition par Didier Fédou le Mar 11 Nov 2014 - 3:32, édité 1 fois
Re: Instants 1-20
Tu es vraiment très fort dans ce style "Ultra-court", poétique et surprenant à la fois.
J'aime aussi beaucoup le dernier.
J'aime aussi beaucoup le dernier.
Mais alors, dit Alice, si le monde n'a absolument aucun sens qui nous empêche d'en inventer un?
Lewis Carroll
Re: Instants 1-20
Une grande préférence pour le premier et le dernier. Mais tous ont ce petit quelque chose qui accroche le lecteur, c'est très fort.
20 minutes avant la tombe - Confession d'un mort - Les rêveurs de Somnore - La nuit derrière la porte - La dame aux yeux vides
"Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher." Baudelaire, Chacun sa chimère
Re: Instants 1-20
Tu es vraiment fortiche dans les descriptions.
Forum créé le 21 octobre 2011 par Zaroff et Paladin
Notre groupe Facebook
"Toute variété riemannienne peut être plongée de manière isométrique dans un espace euclidien."
Ou pas.
Re: Instants 1-20
Tout à fait superbe !
Je comprends pas ce bout de phrase dans le deuxième :
Je comprends pas ce bout de phrase dans le deuxième :
même le sang séchait avec de couler et pourtant
Inventrice du "rocueil", le mixte entre le roman et le recueil.
"J'ai lu. Je sais même pas quoi dire tellement je suis atterrée.
Et le pire c'est que j'ai aimé te lire." Raven sur "Yin et yang"
"Merci de m'avoir donné envie de vomir !" Nao76 sur "Yin et yang"
"Ton texte m'avait fait penser à un film allemand atroce que j'avais vu plus jeune : Nekromantik !" Polo sur "Trafic de cadavres"
Re: Instants 1-20
Je les aimes tous , j'aurais bien du mal à choisir lequel je préfère.
J'aime l'intensité qui se dégage de ces quelques lignes.
le 28 et le 30, sont émouvants, le 29 glaçant et le 31 surprenant.
Bravo Didier.
J'aime l'intensité qui se dégage de ces quelques lignes.
le 28 et le 30, sont émouvants, le 29 glaçant et le 31 surprenant.
Bravo Didier.
Ulysse
"Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis"
François Villon
Ulysse- Écritoirien émérite
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Re: Instants 1-20
Si si, j'avais vu, mais je n'avais pas encore pris le temps de commenter.Didier Fédou a écrit:Avant de couler ! J'ai corrigé, merci.
Nomdidiou, et personne ne l'avait vu ?
D'ailleurs, le commentaire en question ne va pas porter seulement sur ces derniers textes.
Parce qu'il m'est venu une idée: pourquoi n'isolerais-tu pas tous tes "Instants" pour en faire un mini-recueil ? J'ai vu que tu avais intégré les 24 premiers au "Livre en noir", et je ne trouve pas cette initiative très heureuse. Ces récits ne sont pas des nouvelles, et ils sont trop brillants pour servir de bonus en queue de recueil. Au contraire, je pense qu'il faudrait les valoriser.
A ta place, voici donc ce que je ferais: je collerais ces 31 pépites dans un fichier séparé. Puis j'y adjoindrais les deux micronouvelles que tu as écrites pour les deux concours HS. Et j'y ajouterais "Fleisch", qui est aussi assez court. Ce qui te donnerait un ensemble costaud, que tu pourrais proposer en e-book en l'état, ou étoffer ensuite au gré de tes inspirations. J'ai même un titre à te proposer, si la perspective t'intéresse: "Fragments". Ça aurait de la gueule, non ?
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