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Extrait tome II

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Message par Mnémosyne Jeu 2 Juil 2020 - 14:31





Extrait du tome II



Evy (qui est ici la narratrice) vient d'échapper à un face à face avec le singe de notre bourreau (Mr.K : 8D) et a été renvoyée dans les profondeurs du monde intérieur, à cet étage où il fait entièrement noir. C'est après l'avoir récupérée dans cet endroit qu'elle a prit conscience de mon existence en tant que partie d'elle, et la décision d'affronter enfin nos traumas.
On peut dire que tout notre travail de guérison a vraiment commencé à partir de là.
Je n'attends pas spécialement de commentaire, je sais que mon style est imbuvable, on avait juste envie de partager ce moment de notre vie. Être lu c'est déjà beaucoup pour nous, quoi qu'en pense le lecteur dans le secret de son âme (et c'est même souvent mieux qu'il ne le dise pas... xD)

(4000 mots)




« N’oublie pas… »
« que je ne suis jamais loin de toi… »

Ces paroles prononcées, elles résonnèrent dans tout mon être comme l’encouragement de son indéfectible affection à ne pas abandonner, que quoi qu’il arrive, Il se tiendrait toujours entre moi et la mort par le vide.
Puis soudain, un choc suivit dans l’instant par une succession de secousses me força à rétablir la netteté de ma vue et de mon ouïe, noyées toutes deux dans un brouillard infernal. Je réintégrai aussitôt la conscience de cet étage où la tempête de mes souvenirs n’avait délaissé de me malmener.

« … ai-je rêvé tout cela ? Sa présence me semble si loin de moi… je… je ne comprends plus… pourquoi suis-je là ?… que dois-je faire ?… Kirlian… où es-tu… »
Ballottée sauvagement et alors que le sanglot voulu une nouvelle fois se libérer, je sentis soudain une caresse étrange au niveau de mon poignet.
Je baissai alors le visage pour tenter d’identifier ce corps étranger quand je l’aperçu.
C'était l’extrémité d’une fine corde en nylon qui flottait dans ce dédale et qui semblait dériver sereinement, comme épargnée par les vents de cette tempête qui ne voulait s’apaiser.
Cela m’apparaissait impossible et pourtant… dans la mouvance de ce labyrinthe sans frontière, ce fil avait bel et bien trouvé sa route jusqu'à moi.

« Tu ne connais pas l’histoire du fil d’Ariane ? »

« … Kirlian ?… »
Sa voix venait de parfumer mes pensées et sans véritablement réfléchir à cet élan d’espoir qui m’envahit, je déployai les doigts pour  saisir fermement la cordelette, comme un damné empoigne la mansuétude d’une main tendue.
Aussitôt l’intensité des bourrasques s’atténua quand, de la paume de ma main, une lueur émana soudain pour se propager le long du fil qui s'en trouvait progressivement illuminé.
De ce rayonnement s'étendant devant moi se dessinait comme une rampe de lumière à laquelle je pouvais désormais m'agripper pour me laisser guider.
Au plus intime de moi-même, j'en avais l’absolue certitude.
Cet étrange et inespéré tracé devait me conduire auprès de Kirlian.

« Cette porte, cette voix... serait-il possible que... »
Mon rythme cardiaque s'emballa aussitôt sous l’émergence de cette éventualité. Pourtant, l'espoir qui venait de germer en mon sein resta obstinément confiné à son état embryonnaire.
Une insoutenable douleur sembla alors me brûler le cœur et tremblante, je me hissai doucement à ce cordon de lumière pour suivre la route qu'il me traçait jusqu'à l’horizon de l'obscurité.
Quelle indescriptible sensation qu’était celle de me mouvoir par-dessous les rivages de cette nuit là…
Je me sentais comme en apesanteur. Une chair légère en lévitation à la manière d'une bulle d’oxygène suspendue sous la mer.
La force invisible qui se pressait contre moi soumettait mon avancée à la plus étonnante des lenteurs. Ainsi le déploiement de chacun de mes gestes qui accomplissait l’interminable de ma progression renforçait cette sensation de me faire étreindre par la densité d'une eau dont j’étais environnée.
Cet état d'engourdissement, loin d'être incommodant, s'alliait à merveille avec celui de mes pensées qui ne pouvaient faire autre chose que de doucement s'évanouir.
Tout autour de moi, de minuscules poussières tel un ciel étoilé se mirent à reluire paisiblement, agrémentant l’irréalisme de ma lévitation qui semblait dés-lors se muer en un songe coloré.
C'est alors que cette impression de déjà vu me submergea.

« Cela ressemble à cet étrange nuage que j'ai traversé après avoir été aspirée hors de la cave… »
De cet instant soumit au ralentissement du temps, de nouvelles images se formèrent tandis que des voix faisaient résonner l’écho de leurs timbres au-dedans de mon éternité.


« Très bien, Kirlian ! Ta fatigante indifférence ayant finalement porté ses fruits, je me suis lassé de votre compagnie ! »

Je reconnu immédiatement l'abjecte voix de ce monstre qui avait tenté de me faire ouvrir la porte de notre refuge.

« Allons, console-toi ! Tu n'auras pas fait tout cela pour rien, mais je t'avertis !
La prochaine fois, je la reprendrai avec moi ! »

Ses images s'imposant à mon regard, je fus comme aspirée dans ce qui était de toute évidence la suite de cet épouvantable souvenir.
Je me retrouvai alors la spectatrice silencieuse et immobile d'une scène déjà vécue et pourtant entièrement absente de ma mémoire, confessée une fois encore par la voix et le point de vue de Kirlian.


S’évanouissant complètement, la chose et sa pesante présence avaient enfin consenti à se retirer.
Le silence cristallin de la cave était revenu.

«  Pourriture ! » grognai-je avant d’expirer un long soupir de soulagement sans pour autant réussir à décrisper mes traits.
La menace qu’il représentait et le harcèlement continu de notre tortionnaire, quoi que je fasse pour nous en prémunir, avaient induit en moi la lassitude et l’épuisement.  

« Dois-je me déplacer jusqu’à toi avec la ferme intention de te saigner !… pour que tu cesses enfin de nous tourmenter ! »
Ma musculature endolorie peinant à relâcher sa tension, je me tournai pour attraper l'un des oreillers d'une main quelque peu tremblante, puis, posant mon découragement souverain quelques instant sur son visage paisible, l’amertume que je ressentis à porter seul le fardeau de notre réalité m’accabla davantage.

« Pourtant… que ne ferais-je pour conserver intacte l’ignorance qui donne à tes traits l’angélisme dont mes peines se font un puissant palliatif… »
Je soulevai ensuite doucement sa tête pour y glisser le coussin qui vint parfaire l’émergence de son bien-être.
Cela fait et l’esprit agité, je me relevai pour m'éloigner jusqu'à passer de l'autre côté du rideau, préférant l'obscurité pour y démêler mes pensées.
« Que cette nuit me sied davantage. » pensai-je tout à la fois avec soulagement et mépris de mon être pour aussitôt m’accabler de reproches.
« J’ai été bien trop téméraire, sous-estimant l’influence qu’il pouvait encore avoir sur elle malgré la protection que nous offre les remparts de notre esprit… Ça m’apprendra à jouer avec le feu ! Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même ! »

C’est là que je m’en aperçu finalement avec un certain étonnement, quand mon poing voulu se serrer par l’effet de la rage.
En passant devant ma réserve, et sans m’en être rendu compte, ma main s’était saisie d’une bouteille de blanc qui avait sans doute vocation à m’accompagner dans la descente.
— Tss ! Tu penses vraiment que ça t’aider, crétin ! m’insultai-je avec virulence avant de dévisser furieusement le bouchon de cette connerie de bouteille pour boire une interminable gorgée à son goulot.
Dégoûté dans l’instant de cette chaleur qui me brûlait la trachée, mon visage s’enlisa vers l’avant tandis que la faiblesse de mon bras exécutait, par dessus l’évier, de placer le contenant de ce poison la tête en bas. L’alcool qu’il contenait s’écoula alors entièrement jusqu’à disparaître en tourbillonnant dans l’abîme du siphon.

« … connaîtrai-je un jour la paix ou ce mot n’est-il qu’une fable, comme tout le reste ? » me morfondis-je en sentant s’agiter à nouveau ma colère.

A cet instant, et bien que le vide en elle ne le laissait aucunement présager, une pulsation douloureuse me frappa la poitrine. Aussitôt, j’en devinai la raison qui avait dans le même temps laissé s’échapper d’elle un soupir, ainsi me tournai-je dans sa direction pour constater qu’elle avait commencé à s’animer.

« Evy… notre Cœur s'éveille doucement. Elle va reprendre conscience !… »
Devant l'urgence de la situation, je me précipitai vers les toilettes et, me penchant par-dessus la cuvette, je m'appliquai péniblement à faire s'extraire de notre mémoire le souvenir de cette effroyable nuit. Pour ce faire, je me focalisai sur cet amas de données que ma volonté rassemblait puis maintenait en une boule compacte. Je m’efforçai ensuite à l’expulser hors de moi par une série de spasmes qui les guidaient à contre sens sur le chemin de mon œsophage, jusqu’à ce que cette boule de souvenirs indigestes envahisse mes papilles de son goût abject.  
L'ayant à présent entièrement vomie dans un profond écœurement, je redressai mon corps qui tremblait encore sous la violence des contractions qui l’avait malmené.
Par-dessous la crispation de mon visage, cette bouillie infâme flottait effrontément à la surface de l'eau. Le moqueur de ses murmures qui remontaient jusqu'à moi me dégoûta à un point tel que je me saisis de la chaînette de la chasse d'eau pour la tirer vigoureusement vers le bas.
Dans une bruyante aspiration elles disparurent alors… ces images et ces sons insupportables que je fus soulagé de voir s'en aller.
Aussitôt pourtant, mon esprit se fit prendre d’assaut par une fatigue si pesante que son poids acheva de m’accabler. Ainsi m’adossai-je au mur en carrelage pour qu’il m’aide à supporter l’inopportun fardeau de l’asthénie.

« J'espère ne pas avoir commis d'impair… » m’inquiétai-je en mes pensées nébuleuses. « Qui sait où ce souvenir va bien pouvoir atterrir, à présent… »
Exténué, mon visage s’enlisait doucement vers l’avant et je ne pris même pas conscience sur le coup que j’étais véritablement en train de m’assoupir debout.  

— Kirlian ?
Le son de sa voix inquiète résonna dans tout mon être et j’écarquillai le regard pour aussitôt l’apercevoir au travers de la transparence du rideau que m’offrait la lumière tamisée de la lampe de chevet.
Émergée de son sommeil, Evy s’était relevée pour me chercher du regard.
La panique qui s’empara violemment de moi eu malgré tout la vertu de m’arracher à ce repos prématuré. Ainsi quittai-je la salle de bain pour me glisser furtivement jusqu'à l'évier quand je fus pris d'une vive douleur à l'avant bras que j’avais étiré pour m’agripper à son rebord.

« La morsure… » me remémorai-je pour comprendre dans l’instant les complications que ce détail allaient générer. « La blessure est profonde, ma manche est déchirée et ma chair à l’air libre ! Je ne pourrais pas la lui cacher… »

A deux doigts de devenir cinglé, je rebasculai dans mes aigreurs pour m’en préserver.
« Et voici que se manifeste un énième problème pour augmenter encore davantage mon calvaire ! » grognai-je en posant les yeux sur la morsure, profondément agacé par la confusion que provoquait cette fatigue soudaine qui m'empêchait de réfléchir à mon plein potentiel.
Une chose était néanmoins certaine, Evy ne devait pas pouvoir s'imaginer un seul instant qu'elle ait pu m’infliger cette blessure.
« Mais comment faire ?… »

De mon regard nouvellement incisif, je scannais la pièce dans l’espoir de trouver la solution à cet épineux problème. Ce fut bien vain car il n’y avait rien ici qui puisse me venir en aide et une fois de plus, en matière de miracle, je ne pouvais compter que sur moi.
Accablé par un stress intense qui lacérait mon système nerveux, mes jambes en fléchirent jusqu’à ce que je tombe à genoux au pied de l’évier.
Mes pensées s’embrumant face à l’urgence de la situation, je portai mon avant-bras à hauteur de mon regard pour dévisager cette maudite plaie qui menaçait de rendre vain tous mes efforts.

« Qu’est-ce que je peux faire ?… réfléchis ! Calme-toi, abruti !

— Tu es là, Kirlian ?
La voyant s'approcher jusqu'à rejoindre la vaste tenture que sa main entamait maintenant de replier, je me résolus, dans un élan de lucidité, à faire ce qui me sembla le plus judicieux.
Déployant la mâchoire, j’enfonçai mes dents à l'endroit où, un peu plus tôt, elle l'avait fait elle-même.
Sa silhouette s'était à présent glissée dans la partie arrière de la cave quand elle aperçut, dans l’épouvante, le sinistre spectacle que je lui offrais de contempler.
— Kirlian ! hurla-t-elle en se précipitant vers moi. Mais... qu’est ce que tu fais !…
Tandis que je me décrochai lentement de ma propre chair, Evy tendit ses mains tremblantes vers cette plaie qui l'horrifiait. Pourtant, et bien que cela m’aurait sans aucun doute soulagé, elle n'osa pas déposer sur moi la fraîcheur de l’une de ses caresses.
— Qu’est ce qui t’as pris de te faire ça… gémissait-elle, les larmes aux bords des yeux. Jusqu’où allais-tu te charcuter si je ne m'étais pas réveillée ?
Tournant péniblement mon visage jusqu'à elle, je l'épiai un bref instant avant de me détourner à nouveau, le regard emplit des bouillonnements de l’amertume à l’idée de cette grotesque mascarade.
M’efforçant alors à lui donner une quelconque explication qui puisse tenir la route, je ne pus en trouver de meilleur que celle que je prononçai alors.

— C'est que... il arrive quelquefois que tu sois si profondément endormie que tu n'entendes plus ma voix t’appeler. Ces nuits-là sont pour moi… peuplées de cauchemars incessants.

De cette vision qui lui enserra douloureusement le cœur, je la devinai se sentir une force l’envahir. Résolue à mettre à profils cette détermination soudaine à m’apaiser, elle se leva vigoureusement pour se précipiter dans la salle de bain. Revenant prestement, les bras chargés de la trousse à pharmacie, elle s'agenouilla à mes côté avant d'en étaler nerveusement le contenu sur le sol.
Elle renversa ensuite du désinfectant sur un morceau de coton puis, avec toute la délicatesse dont elle savait faire preuve, elle tamponna ma blessures avec grand soin.
Je la regardais tout d’abord froidement, contenant en moi pour qu’ils ne transparaissent pas, le feu et la bile de mes ressentiments. Mais très vite, la vision adorable de son visage pétri d'inquiétude fit naître un léger sourire aux bords de mes lèvres encore crispées.
Je baissai alors la tête pour le lui cacher en me repliant derrière les cheveux qui avaient glissés par-devant mon regard.

« …Un pesant fardeau, hein ? » pensai-je, sentant ma rancune s'évanouir. « C'est vrai… Pourtant… quelle douceur dans ce cœur qui est le nôtre… »
Un bref instant écoulé, je réussis enfin à entrouvrir la bouche.
— Tu es mignonne, Evy, mais je ne pense pas que cela s'avère utile. Ce n'est qu'une petite blessure sans importance…


« …Kirlian… comment pourrait-elle être sans importance ?… »

Une souffrance intense m’extirpa de la contemplation de ce souvenir. La vision se troubla soudain et comme un décor emporté par le vent, je réintégrai les ténèbres où se débattaient à nouveau images et cris de rage.
La cordelette toujours emprisonnée dans mes paumes crispées, je tentai de m’y agripper pour ne pas être emportée.

« Cette tempête vas me disloquer… je… je ne vais pas y arriver ! »

« Evy… »

« ...Kirlian ? »

« La douleur que tu me donnes de ressentir est sans la moindre importance ! »

« Une main agrippe la mienne… mon corps est tiré vers l’avant. »

« Car la seule et l’unique que je ne peux souffrir…
C’est celle de ton absence… »

« Je sens ses bras qui m’enlacent… nous perdons l’équilibre… je suis arrachée aux ténèbres. »
Quand mes yeux s’ouvrirent enfin, je nous découvrais à genoux dans le couloir au bout duquel se déroulait l’escalier menant à notre cave. Kirlian me serrait de toutes ses forces contre lui pour m’abriter au mieux de l’ouragan qui fouettait nos visages.
La porte était encore grande ouverte et, telle une gueule béante, vomissait à nos pieds les convulsions et calamités de l’enfer qui s’insurgeait en notre être. Le tumulte de ses hurlements déchiraient mes tympans qu’il fut bien vain de tenter de protéger de mes mains et quand j’en vins finalement à gémir de douleur, je sentis le corps de Kirlian se crisper.
Il me délivra aussitôt de son étreinte et, de son pied qu’il projeta contre le battant malmené par les vents, il referma la porte d’un coup sec. Le fracas qui s’ensuivit fut épouvantable et sous les vibrations du choc, l'énorme verrou de ce portail retomba lourdement en travers pour le sceller.

Le calme était revenu.
Seules nos respirations désaccordées se faisaient entendre encore.

Le souffle haletant, Kirlian se tourna vers moi sans attendre pour me contempler avec inquiétude. Un moment, une éternité sans doute, s'écoula où il ne fit que de me regarder d’une grave intensité, comme s'il redoutait que je ne m’évanouisse une fois de plus. Puis, dans un élan de soulagement, il enroula ses bras par-dessus mes épaules et tandis que nous tombions tous les deux sur le carrelage du grand hall, l'éclat de son rire chassa la pesanteur du silence.
La musculature détendue, il enfouit aussitôt son visage dans mes cheveux pour répandre, entre mes boucles éparpillées, les dernières notes de sa douce allégresse.

— Tu es là… Evy…






****


« Qui es-tu, Kirlian ? »


« Je suis notre Tête. Ton esprit, si tu préfères. »


« Où est-ce qu’on est ? »


« A l’intérieur de notre corps, celui aux commandes duquel tu as été appelée. »


« … qui était cet homme horrible dans la bibliothèque ? »


« ... »


« … et moi… que suis-je ? »




« Tu es notre Cœur ! »


****




« Tu es moi ? Je suis toi ?… Comment est-ce possible ? »

Face à face, tout deux agenouillés à même le sol de la cave, nos regards respectivement les proies du désarroi étaient plongés l’un dans l’autre.
Entre nous et posée sur les dalles de pierre se tenait la boite en métal dont il m’avait toujours dissimulé le contenu.
Kirlian ne prononçait pas une parole, comme s’il redoutait qu’un seul mot de plus ne me brise en morceaux.
Et pourtant… n’étais-je pas déjà le segment d’une âme mise en lambeaux ?
Confuse, la nébuleuse dans laquelle je tâtonnais enivrait encore ma terreur qui demeurait vaporeuse.
Tant de questions m’assaillaient, tout se bousculait dans mon esprit.
« Mon esprit ?… non… mon esprit me fixe avec crainte… je lis dans ses yeux qu’il redoute la confession… oserai-t-il encore se dérober ? Replacer sur notre réalité le masque qui venait de tomber ?  
 
— Alors c’était vrai… brisai-je enfin ce silence insoutenable qui dissipa la somnolence de mon effroi. Je savais… je savais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas ! Ils… ils disaient que… que je me faisais des idées… et je les ai cru, même lorsque j’entendais ta voix résonner dans mes pensées… que j’avais trop d’imagination et que… ce n’était que prétexte à… à…
— A quoi ? s’irrita-t-il aussitôt en percevant la souffrance dans mes mots. A se soustraire à nos responsabilités ? A s’en payer une bonne tranche ? A attirer l’attention ? Voilà tout ce que perçoivent ceux qui ce sont jadis penchés sur notre cas ? Une volonté non assumée et comme tombée du ciel de nous foutre nous-même en l’air ?
Cette virulence soudaine m’effaroucha  et je me rétractai quelque peu  à l’intérieur de moi. Aussitôt il s’en repentit et fit l’effort, éprouvant pour lui, de contenir sa colère.
Pourtant elle luisait encore dans son regard ébène qui semblait tout en même temps me supplier de tout oublier.

— Kirlian… murmurai-je, intimidée. S’il te plaît… je veux savoir ce qu’il se passe… pourquoi n’ai-je aucun souvenir ? Si tu es vraiment mon esprit… éclaire-moi, je t’en prie…
Il se mit à rire alors et ce rire-là contenait en lui cette envie qu’il avait de me faire redescendre sur terre.
— Tu veux savoir ce que je te cache ? Percer tous les mystères ? Mais dis-moi, comment comptes-tu faire pour ne pas te briser comme du verre ?
Silencieuse, je plongeai aussitôt mon regard implorant dans l’inquiétude du sien mais toujours aucun mot ne me vint.

« C’est maintenant ! »

Percevant les mots de cette voix qui s’adressait directement à mon âme, la crainte me submergea à l’idée de doucement sombrer dans la folie.
Paniquée, je cherchai désespérément à qui nous pourrions demander de l’aide.
— Peut-être… peut-être qu’à Vacègres ils pourront…
— Cet asile n'était qu'une boite, Evy ! m’interrompit-il d’un timbre ulcéré. Une prison mentale dans laquelle il t'a enfermé pour mieux t’abuser !
Ce mot m’épouvanta et je me pétrifiai.
— … m’abuser ?
— De toutes les façons possibles, oui ! gronda-t-il dans son probable espoir de déjouer mon audace. Tu veux récupérer nos souvenirs ? Faire un plongeon dans les eaux boueuses de Mnémosyne ?
Achevant ici cette tentative, il poussa quelque peu vers moi le coffret de notre calvaire.

— Ils sont là ! Fais-en ce que tu voudras ! Ouvre-là ou rend-la moi !

« L’heure est venue.
Le choix t’es offert de l’affronter
ou de la fuir. »

— Tu as entendu ? lui demandai-je, certaine cette fois-ci de ne pas avoir rêvé cette voix dont la vibration semblait vouloir se faire le tuteur de mon courage défaillant.
Il laissa alors quelques seconde s’écouler comme pour mieux tendre une oreille attentive.
— Oui… j’entends les murmures de cette vieille connaissance… me répondit-il avec acidité en tournant son visage vers moi. Le silence !

« As-tu aujourd’hui suffisamment de bonnes raisons pour y faire face ?
Pourras-tu soulager celui qui porte seul le poids de votre carapace ? »

Ces paroles perforantes résonnèrent dans ma poitrine et prenant aussitôt la pleine mesure de son fardeau, je relevai le visage vers lui.
— Mon Dieu… Kirlian, comme tu dois m’en vouloir… m’épouvantai-je avant de précipiter mes mains sur la boite dont j’enserrai la poignée.
— Evy ! s’empressa-t-il de freiner mon élan.
Un long soupir en préambule, il crispa ses traits avant de se détourner.

— Tu n’es pas obligée d’endurer ça. Je peux dissiper ce spectre et te rendre la tranquille routine de notre foyer.
Sa proposition verbalisée, il plongea la tristesse placide de ses iris dans les miennes.
— Si tu me le demandes… j’effacerai une fois encore le visage de tes cauchemars…

« Kirlian… »
Je lisais dans ses yeux qu’il redoutait que ce poids ne m’écrase et, tout en même temps, j’y décelai du soulagement. La délivrance de n’être plus le seul au monde à porter notre fardeau. Son regard me confessait qu’il n’avait été que trop longtemps rongé par l’acidité du secret.
— Kirlian… si je te dis oui pour faire une fois encore le choix de l’oubli… tu seras le seul à endosser la vérité…
Il laissa alors à sa causticité le soin d’en rire, comme s’il était possible pour lui d’échapper à cette fatalité.
— Hum… idiote ! Voudrais-tu me destituer de mon unique utilité ?lança-t-il en crispant une nouvelle fois ses traits. Ne te soucie pas de ça ! C’est mon rôle d’être ton rempart !

Sa vocation avouée, il se tut pour me laisser le loisir de prendre cette terrible décision. Ainsi posai-je le regard sur celui qui m’avait jusqu’ici secrètement protégée.

« … retourner à cet état d’amnésie où je me pose sans cesse la question de savoir ce que tu me caches ? D’ignorer pourquoi tu es à ce point en colère que même quelqu’un comme toi n’arrives plus à se maîtriser ? Oublier ce que signifie ce chagrin cristallin qui luit quelque fois dans ton regard ?… conserver intacte la distance qui nous sépare ? »
Mon âme en fut étranglée et je m’apprêtai à lui répondre que je désirai de tout mon cœur pouvoir l’aider, quand me revint en mémoire cet homme dont la voix seule suffisait à m’anéantir. Revivant dans ma chair l’effroi de sa présence, mon corps se mit à trembler et, très vite, les premières larmes de ma terreur me brouillèrent la vue.

— Je… j’ai peur… tellement peur… sanglotai-je en chevrotant de tout mon être.
— Evy… murmura-t-il en réponse, accablé davantage par mon effondrement face auquel sa bienveillance était impuissante.
Sa main fuselée se tendit alors vers la boite, résolu qu’il était à amputer ma mémoire de ce qui défigurait ma joie. Aussitôt mes doigts se crispèrent sur la poignée pour traîner lentement jusqu’à moi l’écrin de mes fiançailles avec le Diable.

— … mais qu’importe si ma vie doit me faire mourir… je ne peux supporter l’idée d’oublier ce que tu endures ! C’est impossible… Cette lâcheté dont je serai tachée est la pire des injures !
Cette souffrance expulsée hors de moi, je voulu éclater en sanglot mais ravalai mes faiblesses qui lui avaient déjà coûté tellement cher.
Un cliquetis se fit entendre alors et, relevant mon visage enlisé en direction de la boite en métal, je constatai que le cadenas s’était ouvert. Ainsi compris-je que, malgré l’épouvante aliénante qui me tordait les entrailles, ma décision venait d’être prise.
Lentement et du bout des doigts, je le faisais glisser hors de l’attache jusqu’à ce qu’il s’enlève totalement.
La vérité toute à ma portée, je m’apprêtai à en soulever le couvercle, mais non sans adresser à mon protecteur l’espoir et la raison de mon soudain courage.

— Peut-être que ce choix est celui qui te permettra de guérir !

Il se garda de l’afficher sur ses lèvres mais je sentis son essence sourire la profondeur de sa reconnaissance. Sa main se tendit alors vers moi et il me présenta sa paume, comme la démonstration silencieuse de son indéfectible soutien, et j’y déposai tendrement la mienne quand nos doigts se lièrent.
Alors, profitant de la force que me procurait sa présence, j’ouvrai pour la toute première fois cette boite dont émanait une faible lueur qui ne tarda pas étendre ses rayonnement.
La cave entièrement avalée par une lumière d’une blancheur aveuglante, et intérieurement terrifiée que je me sentais, je vis doucement s’effacer dans la clarté l’insondable amertume contenue dans le regard de Kirlian.


« Elle approche… cette heure décisive qui fera de mon cœur une porte vers la Mort ou la Vie. »






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