Le Moineau qui se voulait aigle (Image 2)
3 participants
Page 1 sur 1
Le Moineau qui se voulait aigle (Image 2)
(7/6/2019 : je dois reprendre le texte, il y a des passages de la 1ère à la 3ème personne...)
— Où te caches-tu, misérable pleutre ? On sait que t'es pas loin.
Les Capuchons Noirs me traquaient. Je devais me rendre à l'évidence : le combat s'avérerait inévitable, aussi décidai-je d'affronter mon destin et de m'en remettre à Vaktar, dieu des guerriers.
— Je suis là, les donzelles. Si vous cherchez toujours de la compagnie bien sûr, amorçai-je, main sous les quillons, prêt à coups férir. Si vous êtes hommes dignes de ce statut, pourquoi ne pas m'affronter en duel ?
— Foutraille ! Peu nous en chaut de l'honneur. On veut juste ta tête pour la planter sur une pique. Qu'on puisse la regarder en faisant tinter nos chopes.
— Alors soit ! (Je ravalai ma salive.) Eh bien, qu'attendez-vous ! C'est que l'ennui point vite chez moi, mesdames !
Les trois bandits semi-édentés, affublés de haillons en toile de jute grisâtre et sale, brandirent haches et masse d'armes en se ruant sur moi. J'enfonçai ma botte dans la neige pour en catapulter un nuage au visage du chef avant de faire volte-face et d'escalader un énorme rocher. Face à cette engeance dépourvue d'armes de jets, d'arcs et d'arbalètes, l'ingéniosité de l'idée m'avait immédiatement séduit. Ils se tenaient de chaque côté de mon perchoir, en triangle.
— Quelle belle forêt, n'est-ce pas, et ce manteau blanc lui va à ravir.
— Descends de là, poltron !
— Que nenni ! Monte donc avec ton sourire de troll. Quoi qu'avec cette odeur... Non, reste où tu es, après réflexion, poursuivis-je en inspectant le fer de mon épée, faussement détaché de la situation. Je gagnais du temps.
— Ainsi donc les rumeurs sur le soi-disant légendaire Moineau étaient vraies, les gars. Y'a que la bouche qui fait taille chez lui. Une vraie bourses-molles en fait.
La bande éclata de rire.
— Eh bien, si tu insistes...
J'attrapai l'un des plus gros morceaux de la roche, désolidarisé du bloc principal, et le balançai, effet de surprise préservé, au visage du tire-laine crasseux et puant. La pierre aplatit plus encore son nez camard, qui se mit rapidement à saigner et rougir le tapis hiémal. Profitant de cette succincte diversion, je bondis, après observation, sur le moins téméraire des trois. Le suiveur. Il tenta de se protéger la face avec le plat de sa hache à double tranchant, probablement émoussée au vu de son état pitoyable. Tel un coup de bélier, ma semelle se plaqua sur l'arme et, appuyée par mon poids, l'envoya heurter son front plissé. Il perdit l'équilibre et bascula en arrière. Ni une ni deux, je perforai sa gorge à la verticale. Un torrent grenat déferla sur la pâleur froide de l'hiver, accompagné de quelques quintes de toux noyées en lui.
— Et d'un ! m'égosillai-je en réalisant un parfait moulinet. Plus qu'un et demi !
Enragés, les deux assaillants fondirent sur moi et nous croisâmes le fer sous les invisibles frondaisons, emportées par le temps.
— Regardez ces freux, les amis, ils viennent faire bombance sur vos charognes, lançai-je tout en plaçant, du pommeau finement gravé de mon épée, un horion directement sous le sternum du grand escogriffe au nez cassé et cascadant. Il en eut la respiration coupée, ainsi pus-je aisément me débarrasser du pouilleux maladroit, usant de la masse avec autant d'adresse qu'un manchot de cinq printemps. D'une parade et d'une esquive, vire-voltant dans l'air comme mon sobriquet l'indiquait, je me retrouvai dans son dos pour lui porter l'estocade finale à la nuque. Il chut comme la robe que je venais d'ôter à ma puterelle quotidienne.
De la botte, j'envoyai l'ultime survivant paître l'humus, par notre danse mis à jour, et l'immobilisai, face contre terre, de la pointe de ma plus fidèle compagne.
— Alors, alors... Comment ? Que dis-tu ? Je n'entends rien.
Il cherchait son souffle, ahanait tel un agonisant.
— Va... crever.
— Intéressant. Rien d'autre à ajouter, ver de terre ? Les cuisses du Passiflore m'attendent. (Sa proie resta silencieuse, dans l'attente de sa mise à mort.) Eh bien, remercie-moi de ne pas te laisser quitter ce monde sans une note musicale. (Il se mit à chanter de sa voix de troubadour, féru de poésie.)
Ainsi donc prend fin l'escarmouche,
Que les dieux prennent ton pardon,
Femme m'attend sur l'édredon,
Nue, languissante sous la couche,
Aussi t'occis-je, Capuchon.
L'extrémité froide et pointue traversa le cou du criminel de part en part. Le Moineau essuya son épée sur ses guenilles et la rengaina dans son fourreau, attaché à son ceinturon en cuir de vache tanné. Fier de ce nouvel exploit, il se dirigea vers la sente qui menait à Avernus, en oubliant la menace masquée par la neige. Un bruit métallique précéda une intense et subite douleur. Son cri déchira le calme ambiant. Il devrait traîner l'entrave jusqu'au village, chose qu'il savait impossible au vu de la distance à parcourir. Il regarda le piège à loup et la pathétique fin de son existence se jouer dans une absolue solitude. Ayant perdu trop de sang, le Moineau se pâma. Ses derniers mots furent : "Ca m'apprendra".
"L'ego corrompt âme comme œil,
Prenez garde à ne pas
Mourir d'orgueil."
Les Fables d'Elyranthe le Haut-Sage, Volume III.
_______________________________________________________
Comme j'aime à le faire, j'ai placé quelques références. Plus ou moins subtiles. Les aviez-vous remarqué ?
— Où te caches-tu, misérable pleutre ? On sait que t'es pas loin.
Les Capuchons Noirs me traquaient. Je devais me rendre à l'évidence : le combat s'avérerait inévitable, aussi décidai-je d'affronter mon destin et de m'en remettre à Vaktar, dieu des guerriers.
— Je suis là, les donzelles. Si vous cherchez toujours de la compagnie bien sûr, amorçai-je, main sous les quillons, prêt à coups férir. Si vous êtes hommes dignes de ce statut, pourquoi ne pas m'affronter en duel ?
— Foutraille ! Peu nous en chaut de l'honneur. On veut juste ta tête pour la planter sur une pique. Qu'on puisse la regarder en faisant tinter nos chopes.
— Alors soit ! (Je ravalai ma salive.) Eh bien, qu'attendez-vous ! C'est que l'ennui point vite chez moi, mesdames !
Les trois bandits semi-édentés, affublés de haillons en toile de jute grisâtre et sale, brandirent haches et masse d'armes en se ruant sur moi. J'enfonçai ma botte dans la neige pour en catapulter un nuage au visage du chef avant de faire volte-face et d'escalader un énorme rocher. Face à cette engeance dépourvue d'armes de jets, d'arcs et d'arbalètes, l'ingéniosité de l'idée m'avait immédiatement séduit. Ils se tenaient de chaque côté de mon perchoir, en triangle.
— Quelle belle forêt, n'est-ce pas, et ce manteau blanc lui va à ravir.
— Descends de là, poltron !
— Que nenni ! Monte donc avec ton sourire de troll. Quoi qu'avec cette odeur... Non, reste où tu es, après réflexion, poursuivis-je en inspectant le fer de mon épée, faussement détaché de la situation. Je gagnais du temps.
— Ainsi donc les rumeurs sur le soi-disant légendaire Moineau étaient vraies, les gars. Y'a que la bouche qui fait taille chez lui. Une vraie bourses-molles en fait.
La bande éclata de rire.
— Eh bien, si tu insistes...
J'attrapai l'un des plus gros morceaux de la roche, désolidarisé du bloc principal, et le balançai, effet de surprise préservé, au visage du tire-laine crasseux et puant. La pierre aplatit plus encore son nez camard, qui se mit rapidement à saigner et rougir le tapis hiémal. Profitant de cette succincte diversion, je bondis, après observation, sur le moins téméraire des trois. Le suiveur. Il tenta de se protéger la face avec le plat de sa hache à double tranchant, probablement émoussée au vu de son état pitoyable. Tel un coup de bélier, ma semelle se plaqua sur l'arme et, appuyée par mon poids, l'envoya heurter son front plissé. Il perdit l'équilibre et bascula en arrière. Ni une ni deux, je perforai sa gorge à la verticale. Un torrent grenat déferla sur la pâleur froide de l'hiver, accompagné de quelques quintes de toux noyées en lui.
— Et d'un ! m'égosillai-je en réalisant un parfait moulinet. Plus qu'un et demi !
Enragés, les deux assaillants fondirent sur moi et nous croisâmes le fer sous les invisibles frondaisons, emportées par le temps.
— Regardez ces freux, les amis, ils viennent faire bombance sur vos charognes, lançai-je tout en plaçant, du pommeau finement gravé de mon épée, un horion directement sous le sternum du grand escogriffe au nez cassé et cascadant. Il en eut la respiration coupée, ainsi pus-je aisément me débarrasser du pouilleux maladroit, usant de la masse avec autant d'adresse qu'un manchot de cinq printemps. D'une parade et d'une esquive, vire-voltant dans l'air comme mon sobriquet l'indiquait, je me retrouvai dans son dos pour lui porter l'estocade finale à la nuque. Il chut comme la robe que je venais d'ôter à ma puterelle quotidienne.
De la botte, j'envoyai l'ultime survivant paître l'humus, par notre danse mis à jour, et l'immobilisai, face contre terre, de la pointe de ma plus fidèle compagne.
— Alors, alors... Comment ? Que dis-tu ? Je n'entends rien.
Il cherchait son souffle, ahanait tel un agonisant.
— Va... crever.
— Intéressant. Rien d'autre à ajouter, ver de terre ? Les cuisses du Passiflore m'attendent. (Sa proie resta silencieuse, dans l'attente de sa mise à mort.) Eh bien, remercie-moi de ne pas te laisser quitter ce monde sans une note musicale. (Il se mit à chanter de sa voix de troubadour, féru de poésie.)
Ainsi donc prend fin l'escarmouche,
Que les dieux prennent ton pardon,
Femme m'attend sur l'édredon,
Nue, languissante sous la couche,
Aussi t'occis-je, Capuchon.
L'extrémité froide et pointue traversa le cou du criminel de part en part. Le Moineau essuya son épée sur ses guenilles et la rengaina dans son fourreau, attaché à son ceinturon en cuir de vache tanné. Fier de ce nouvel exploit, il se dirigea vers la sente qui menait à Avernus, en oubliant la menace masquée par la neige. Un bruit métallique précéda une intense et subite douleur. Son cri déchira le calme ambiant. Il devrait traîner l'entrave jusqu'au village, chose qu'il savait impossible au vu de la distance à parcourir. Il regarda le piège à loup et la pathétique fin de son existence se jouer dans une absolue solitude. Ayant perdu trop de sang, le Moineau se pâma. Ses derniers mots furent : "Ca m'apprendra".
"L'ego corrompt âme comme œil,
Prenez garde à ne pas
Mourir d'orgueil."
Les Fables d'Elyranthe le Haut-Sage, Volume III.
_______________________________________________________
Comme j'aime à le faire, j'ai placé quelques références. Plus ou moins subtiles. Les aviez-vous remarqué ?
- Spoiler:
- 1 ) Cyrano de Bergerac, dans l'affrontement avec le vicomte :
Prince, demande à Dieu pardon!
Je quarte du pied, j'escarmouche,
Je coupe, je feinte...
Se fendant.
Hé! Là donc!
Le vicomte chancelle, Cyrano salue.
A la fin de l'envoi, je touche.
2 ) Et le Moineau, forcément, en hommage à Jack Sparrow et son côté décalé
3 ) Le lien avec Elyranthe ne vous aura pas échappé. Je me suis dit que ça serait assez rusé. ah ah ah
4 ) Un petit clin d'oeil aux Visiteurs avec "Bourses-molles".
5 ) Le Passiflore est un bordel dans The Witcher (Le Sorceleur) dont je suis un grand amoureux.
6 ) La morale et l'aspect "fable" du texte qui fait écho à La Fontaine
Re: Le Moineau qui se voulait aigle (Image 2)
Ce n'est pas un genre qui me parle (la fantasy, je veux dire ; l'aspect fable n'arrivant qu'à la toute fin à mon sens) mais le style est propre et l'histoire bien amenée (à l'exception effectivement de ce passage à la 3e personne ; même en étant averti, ça m'a un perdu quelques instants).
Je n'avais pas remarqué les références (sinon celle d'Elyranthe qui est assez parlante) et pour cause, la plupart d'entre elles viennent de fictions que je ne connais que de nom.
Sinon, le final en fable est original et bien amené, j'aime la morale et le texte colle parfaitement à l'image choisie. En bref, comme dirait un certain Tak, atelier validé à mes yeux !
Je n'avais pas remarqué les références (sinon celle d'Elyranthe qui est assez parlante) et pour cause, la plupart d'entre elles viennent de fictions que je ne connais que de nom.
Sinon, le final en fable est original et bien amené, j'aime la morale et le texte colle parfaitement à l'image choisie. En bref, comme dirait un certain Tak, atelier validé à mes yeux !
Re: Le Moineau qui se voulait aigle (Image 2)
Pareil que Murphy, la plupart des références me sont passées sous le nez, mais ça ne m'a pas empêché de passer un bon moment.
La joute verbale est au moins aussi délicieuse que le croisement des fers et le rythme, quant à lui, très entraînant. Le parfum naïf et désuet colle parfaitement au sujet et le vocable riche lui apporte une musicalité certaine. Et qui plus est, j'ai trouvé le thème vraiment bien trouvé et original, comparativement aux autres propositions de cet atelier.
C'est donc pour moi un très bel essai. Atelier validé, donc ! (et voilà que Murphy commence à me piquer mes formules, mais où va le monde ?).
La joute verbale est au moins aussi délicieuse que le croisement des fers et le rythme, quant à lui, très entraînant. Le parfum naïf et désuet colle parfaitement au sujet et le vocable riche lui apporte une musicalité certaine. Et qui plus est, j'ai trouvé le thème vraiment bien trouvé et original, comparativement aux autres propositions de cet atelier.
C'est donc pour moi un très bel essai. Atelier validé, donc ! (et voilà que Murphy commence à me piquer mes formules, mais où va le monde ?).
Tak- Mélomane des Ondes Noires
Disciple des Livres de Sang - Messages : 6299
Date d'inscription : 01/12/2012
Age : 42
Localisation : Briançon, Hautes-Alpes
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum