La Belle Meunière

La prochaine appli que j’installe, c’est un GPS hors-ligne !
Alban n’y pensait que maintenant, après d’interminables minutes à galérer sur la route. Fontaine-Daniel, célèbre dans la région pour son ancienne manufacture de textile, se trouvait dans le nord de la Mayenne. C’était bien cette direction qu’il avait prise pour quitter Laval. Mais là, ça devenait compliqué : il avait quitté la quatre voies, dépassé Saint-Denis-de-Gastines et n’avait toujours pas vu le moindre panneau intéressant.
Ça suffisait ! Alban décida de s’arrêter dès que possible, ce qui n’était pas évident sur une route, puis de connecter son portable en 4G et d’ouvrir Google Maps. Ça lui boufferait du forfait, mais peu importait.
Sur la droite apparut un panneau : La Belle Meunière Café Brasserie. Il n’avait ni soif, ni faim, mais peut-être que le personnel connaîtrait Fontaine-Daniel et serait foutu de lui indiquer le chemin. Et puis, un petit diabolo…
Un nouveau panneau lui indiqua le bar sur la droite. Tout près.
– Ah merde !
Il pressa la pédale du frein, sa voiture ralentit dans un crissement de pneu. Quelques tours frénétiques de volant lui permirent de tourner dans le petit chemin de terre battue. Au bout se dressait un moulin. En se rapprochant, il put bientôt lire l’enseigne La Belle Meunière.

Alban entra dans le bar. Les poutres dessinaient leurs épaisses lignes de bois dans des murs d’un blanc lumineux. Des tables et des chaises en chêne se dressaient. Au plafond pendaient des lanternes.
– Bonjour !
Derrière le bar, une jeune femme blonde leva le nez de sa tablette et le salua.
– Installez-vous, je vous en prie.
Son sourire timide brillait sous ses yeux bleus et son nez court. Elle se leva. Son débardeur découvrait son ventre plat. Il la vit approcher. De longues jambes jaillissaient de sa courte jupe rouge, la taille basse offrait une vue imprenable sur ses hanches.
– Qu’est-ce que je vous sers ?
– Un diabolo menthe.
– Ça marche ! Je vous prépare ça.
Elle se retourna, révéla à la vue du client sa chute de reins. Les cordons du débardeur encadraient un dos ravissant.
Plaqué depuis trois semaines, Alban avait prévu de mettre un gros coup de frein sur la drague. Il voulait digérer cette rupture, et ça allait prendre du temps. Mais là… Le hasard d’un trajet foireux lui permettait de croiser cette fille ! Est-ce que ce n’était pas un signe ? Est-ce que par hasard, ce n’était pas l’heure de se remettre en selle ?
Si.
Bon. Par où commencer ?
– Y a longtemps que vous tenez ce bar ?
La belle revenait, un plateau chargé du verre sur la main. Des glaçons tintaient dans l’appétissant liquide vert.
– Ça doit faire cinq ans, répondit-elle en déposant la boisson sur la table de chêne.
– Et…
Alban regarda autour de lui sans savoir comment tourner sa question. Vous avez pas plus de clients que ça ? ne risquait pas de très bien passer.
– Les clients ? comprit la blonde.
Un accent français, aucun doute. Mais un physique suédois !
– Y a des jours comme ça. Mais la salle est très souvent bien remplie !
– Est-ce que c’est vous qu’ils viennent voir ?
Elle rougit.
– Vous savez parler aux femmes, vous !
Ah bon ? Pourtant, comme approche, ça n’avait rien de terrible.
Alban commença à boire son verre.
– Vous êtes nouveau dans le coin ? lui demanda la fille.
– En vacances, en fait. Mais vous, si vous connaissez bien le coin, vous allez peut-être pouvoir me renseigner…
– Allez-y, dites-moi…
– Est-ce que vous connaissez Fontaine-Daniel ?
– Fontaine-Daniel ? Oui ! C’est pas facile à trouver ! En fait, c’est les descendants du patron de la manufacture qui font un peu pression pour qu’y ait le moins de panneaux possibles.
– C’est pas très malin !
– Oui, c’est un peu dommage. Mais quand on sait, c’est pas compliqué. En partant, vous sortez du chemin à gauche. Après, vous verrez Saint-Baudelle sur votre droite. Vous allez tout droit, et vous allez voir un panneau pour Fontaine-Daniel.
– Faut savoir ! Dites, vous connaissez bien ?
– J’y suis allé plusieurs fois, oui. C’est une belle balade, vous allez voir !
– Puisque vous avez personne… Allez, soyons fous ! Je vous emmène !
– C’est que, euh…
– Allez ! Personne va venir maintenant ! Vous fermez et vous m’accompagnez !
– C’est pas ça le problème. En fait, dans votre diabolo, y avait pas que de la menthe…
Alban fronça les sourcils. Qu’est-ce que c’était que ce délire ?
– En fait, précisa la proprio du bar, je vous ai aussi mis un petit produit.
– Un… Un petit produit ?
– F Soixante-cinq. Un poison foudroyant.
– Un poi…
Une douleur vrilla le ventre du client.
– Un poi…
Il tomba de sa chaise, se tordit comme un poisson hors de l’eau.
– S’il vous plaît…
L’antidote !
Il s’écroula sans même avoir articulé le L.
Mais juste après avoir pensé qu’un GPS sur son smartphone lui aurait évité ça.

Alise sourit.
– Ah les mecs !
Elle en avait vu, des dragueurs de seconde zone. Mais celui-ci battait des records. Pas trop moche, au moins. Mais quelle approche !
Elle retourna à sa tablette, lança l’appli Mail et demanda à écrire un nouveau message :
Colis prêt. Une voiture en trop.
L’organisation enlèverait le véhicule. Et bien entendu, ils la paieraient un bon prix pour les organes de l’autre con. Sur un mec qui buvait du diabolo et qui ne sentait pas le tabac, on pouvait espérer au moins un foie et des poumons potables.