Nettoyage à vide
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L'Écritoire des Ombres :: CONCOURS DE L'ÉCRITOIRE DES OMBRES :: Archives des concours hors-série :: Hors-série N°4 : Dans la maison
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Nettoyage à vide
Voici ma participation.
4387 signes.
4387 signes.
« Cette fois, c'est décidé, je dégage tout ! », fulmina Françoise en son for intérieur. Depuis trois ans qu'elle avait emménagé dans cette masure héritée de sa grand-mère, morte depuis dix sans, et dont elle n'avait plus aucun souvenir, elle n'avait jamais osé faire le vide dans le grenier. Certaines vieilleries auraient pu intéresser des antiquaires, ou au pire, des particuliers à l'occasion d'une brocante, mais elle s'en moquait. Cette baraque devait être débarrassée de son passé trop encombrant. Tout partirait à la poubelle, tant pis !
Pour une raison inconnue, l'entretien de cet endroit relevait de sa seule compétence. Jamais personne n'y entrait, ni son mari, ni son fils, ni sa fille – et elle y tenait.
- Tu veux de l'aide, ma chérie, avait proposé Henry...
Jamais de la vie ! Il avait déjà aménagé le sous-sol en atelier de menuiserie, d'ajustage et en cave à vin. Elle n'allait tout de même pas lui laisser « son » grenier !
La tâche s'avérait ardue. Le lieu débordait, à tel point qu'on ne pouvait plus y circuler. Dans un espace de cinquante mètres carrés se pressaient une dizaine de malles, des étagères garnies de bibelots poussiéreux, des cartons parfois trop fins et déchirés pour être portés, des outils de jardinage, des tapis, des vêtements, des chaussures, des pots de peinture, des matériaux d'isolation... Avec de la détermination, Françoise savait qu'elle pourrait se débarrasser de la majeure partie de ce bazar. Restait les malles, qu'il faudrait porter à plusieurs. Ce serait l'occasion de faire travailler les enfants... Pas Henry, ça non !
Midi approchait déjà. Elle grimpa en haut de l'échelle, armée d'un rouleau de sacs-poubelles de cent litres. En cette journée estivale, un franc soleil embrasait le ciel, et frappait l'unique Velux des combles avec force. Les rayons filtraient entre les diverses couches de désordre en striant le peu d'espace accessible de faisceaux éblouissants. Une poussière épaisse dansait à l'intérieur, semblable un essaim de pucerons. Des ombres grotesques s'agitaient sur les tapisseries de toiles d'araignée étalées au plafond.
Écœurée par cette débauche de formes spectrales et exaspérée par le manque de visibilité, elle enfourna dans un sac tout ce qui passait sous sa main : un ballon, une poupée, un jouet en bois, une liasse de photos représentant des nouveau-nés (elle ne reconnaissait aucun membre de sa famille sur les clichés), un mixeur rouillé, un carton entier de livres de littérature populaire (des S.A.S, des San Antonio, des Anticipation, des Gore – qui pouvait-être assez dégénéré pour lire de telles horreurs ? Quelles couvertures dégoûtantes !), une Barbie mutilée, un sac rempli de Lego, une truelle enduite de ciment, un moulin à café démoli, une rangée de soldats de plomb... et sursauta, frappée de stupeur par un grand fracas.
La trappe d'accès venait de claquer.
- Henry, qu'est-ce que tu fous ?
Pas de réponse. Était-ce un courant d'air ? Elle poursuivit son ménage, ouvrit un nouveau sac pour le verre, tri sélectif oblige, et y glissa une rangée de bocaux vides, des verres dépareillés, des plats de cuisine crasseux, des bouteilles... soudain une étagère lui barra le chemin en grinçant, déversant une partie de son contenu à ses pieds. Effrayée, elle fit un pas en arrière. Un nuage passa devant le soleil, réduisant la luminosité à un contre-jour grisâtre. Les ombres se fondirent les unes aux autres en une forme de brume. Françoise eut un haut-le-cœur. Elle n'avait pas d'hallucination. Le meuble avait bougé tout seul ! Et une sorte de vapeur suintait des murs...
Sa main fut brusquement happée, si fort que son poignet se brisa sous le choc. Un couvercle de malle venait de refermer sur elle ! Elle hurla, se débattit, appela à l'aide, incapable de se dégager. Le nuage sombre étouffa ses appels. Son bras fut alors aspiré jusqu'à l'épaule. Elle perdit l'équilibre et bascula à genoux. Son membre pendait dans un vide étrange, un vide « avide »... qui l'entraînait vers ses entrailles... Sa tête fut saisie, elle bascula à l'intérieur de la gueule béante, s'agrippa aux rebords d'osier dans une ultime résistance. La malle se referma si violemment que ses phalanges furent broyées. Elle sombra dans les ténèbres.
Vers treize heures, toute la famille se regroupa autour de la table de la cuisine. Chacun attendait, se lançant des regards circonspects.
Qui préparait le déjeuner, d'habitude ?
Pour une raison inconnue, l'entretien de cet endroit relevait de sa seule compétence. Jamais personne n'y entrait, ni son mari, ni son fils, ni sa fille – et elle y tenait.
- Tu veux de l'aide, ma chérie, avait proposé Henry...
Jamais de la vie ! Il avait déjà aménagé le sous-sol en atelier de menuiserie, d'ajustage et en cave à vin. Elle n'allait tout de même pas lui laisser « son » grenier !
La tâche s'avérait ardue. Le lieu débordait, à tel point qu'on ne pouvait plus y circuler. Dans un espace de cinquante mètres carrés se pressaient une dizaine de malles, des étagères garnies de bibelots poussiéreux, des cartons parfois trop fins et déchirés pour être portés, des outils de jardinage, des tapis, des vêtements, des chaussures, des pots de peinture, des matériaux d'isolation... Avec de la détermination, Françoise savait qu'elle pourrait se débarrasser de la majeure partie de ce bazar. Restait les malles, qu'il faudrait porter à plusieurs. Ce serait l'occasion de faire travailler les enfants... Pas Henry, ça non !
Midi approchait déjà. Elle grimpa en haut de l'échelle, armée d'un rouleau de sacs-poubelles de cent litres. En cette journée estivale, un franc soleil embrasait le ciel, et frappait l'unique Velux des combles avec force. Les rayons filtraient entre les diverses couches de désordre en striant le peu d'espace accessible de faisceaux éblouissants. Une poussière épaisse dansait à l'intérieur, semblable un essaim de pucerons. Des ombres grotesques s'agitaient sur les tapisseries de toiles d'araignée étalées au plafond.
Écœurée par cette débauche de formes spectrales et exaspérée par le manque de visibilité, elle enfourna dans un sac tout ce qui passait sous sa main : un ballon, une poupée, un jouet en bois, une liasse de photos représentant des nouveau-nés (elle ne reconnaissait aucun membre de sa famille sur les clichés), un mixeur rouillé, un carton entier de livres de littérature populaire (des S.A.S, des San Antonio, des Anticipation, des Gore – qui pouvait-être assez dégénéré pour lire de telles horreurs ? Quelles couvertures dégoûtantes !), une Barbie mutilée, un sac rempli de Lego, une truelle enduite de ciment, un moulin à café démoli, une rangée de soldats de plomb... et sursauta, frappée de stupeur par un grand fracas.
La trappe d'accès venait de claquer.
- Henry, qu'est-ce que tu fous ?
Pas de réponse. Était-ce un courant d'air ? Elle poursuivit son ménage, ouvrit un nouveau sac pour le verre, tri sélectif oblige, et y glissa une rangée de bocaux vides, des verres dépareillés, des plats de cuisine crasseux, des bouteilles... soudain une étagère lui barra le chemin en grinçant, déversant une partie de son contenu à ses pieds. Effrayée, elle fit un pas en arrière. Un nuage passa devant le soleil, réduisant la luminosité à un contre-jour grisâtre. Les ombres se fondirent les unes aux autres en une forme de brume. Françoise eut un haut-le-cœur. Elle n'avait pas d'hallucination. Le meuble avait bougé tout seul ! Et une sorte de vapeur suintait des murs...
Sa main fut brusquement happée, si fort que son poignet se brisa sous le choc. Un couvercle de malle venait de refermer sur elle ! Elle hurla, se débattit, appela à l'aide, incapable de se dégager. Le nuage sombre étouffa ses appels. Son bras fut alors aspiré jusqu'à l'épaule. Elle perdit l'équilibre et bascula à genoux. Son membre pendait dans un vide étrange, un vide « avide »... qui l'entraînait vers ses entrailles... Sa tête fut saisie, elle bascula à l'intérieur de la gueule béante, s'agrippa aux rebords d'osier dans une ultime résistance. La malle se referma si violemment que ses phalanges furent broyées. Elle sombra dans les ténèbres.
Vers treize heures, toute la famille se regroupa autour de la table de la cuisine. Chacun attendait, se lançant des regards circonspects.
Qui préparait le déjeuner, d'habitude ?
Re: Nettoyage à vide
On n'avait pas encore eu droit au grenier. C'est fait. Qui est volontaire pour faire les gogues ?
En lisant ce texte, j'ai repensé à une nouvelle de Bradbury intitulée "La Trappe" figurant dans le recueil À l'ouest d'octobre.
Ton histoire est bien écrite et tu es parvenu à dire l'essentiel en 4387 signes, ce qui est assez impressionnant.
L'humour final constitue un plus.
J'ai aimé.
En lisant ce texte, j'ai repensé à une nouvelle de Bradbury intitulée "La Trappe" figurant dans le recueil À l'ouest d'octobre.
Ton histoire est bien écrite et tu es parvenu à dire l'essentiel en 4387 signes, ce qui est assez impressionnant.
L'humour final constitue un plus.
J'ai aimé.
Blahom- —Adorateur du (mauvais) genre— Chuchoteur dans les ténèbres
- Messages : 2383
Date d'inscription : 02/10/2013
Age : 57
Localisation : Sud-Est
Re: Nettoyage à vide
Merci Blahom.
Je le dis très sincèrement, si cette histoire est similaire à celle de Bradbury, c'est involontaire, je n'ai lu que Farenheit 451 de cet auteur, et aucune de ses nouvelles...
Je le dis très sincèrement, si cette histoire est similaire à celle de Bradbury, c'est involontaire, je n'ai lu que Farenheit 451 de cet auteur, et aucune de ses nouvelles...
Re: Nettoyage à vide
Même réflexion que Blahom : ah, enfin le grenier !
Alors j'ai adoré les descriptions : ça foisonne, c'est savoureux, bourré de clins d'œil et j'ai l'impression d'avoir été copieusement servie alors que tu restes en-deçà des 5000 sec, sacré tour de force.
Et la fin, rien à dire, je trouve ça super bien trouvé, ça introduit un décalage en apportant une touche humoristique bienvenue après la description de la malle qui la bouffe.
Beau boulot !
Alors j'ai adoré les descriptions : ça foisonne, c'est savoureux, bourré de clins d'œil et j'ai l'impression d'avoir été copieusement servie alors que tu restes en-deçà des 5000 sec, sacré tour de force.
Et la fin, rien à dire, je trouve ça super bien trouvé, ça introduit un décalage en apportant une touche humoristique bienvenue après la description de la malle qui la bouffe.
Beau boulot !
Raven- — — Bouteuse de trains — — Disciple de la présente ligne
- Messages : 5782
Date d'inscription : 04/05/2015
Age : 48
Localisation : au fond à droite
Re: Nettoyage à vide
Je ne ferai pas de réflexion sur le prénom du mari...
Sinon, pas grand chose à ajouter, c'est très bien écrit et vivant. La chute est simple, mais efficace.
Sinon, pas grand chose à ajouter, c'est très bien écrit et vivant. La chute est simple, mais efficace.
Re: Nettoyage à vide
Ce prénom de Françoise, c'est une pure coïncidence, je suppose ?
Tu t'en sors haut la main ou la phalange... Il n'y a rien à jeter dans ton texte Super tour de force, bravo !
P.S. Dur dur de faire un classement maintenant !
Tu t'en sors haut la main ou la phalange... Il n'y a rien à jeter dans ton texte Super tour de force, bravo !
P.S. Dur dur de faire un classement maintenant !
Re: Nettoyage à vide
Salut Cancer,
J'ai beaucoup aimé cette histoire qui, du coup, se hisse, pour le moment sur l'une des premières marches de mon podium personnel. Le grenier est forcément, nécessairement, évidemment, une pièce intéressante encore faut-il réussir non seulement à faire tenir une histoire dans le nombre de signes maximum mais aussi faire dans l'originalité ; ce qui est le cas ici. Rien à redire donc, du bien beau boulot, propre et enlevé, en un mot un tour de force...
J'ai beaucoup aimé cette histoire qui, du coup, se hisse, pour le moment sur l'une des premières marches de mon podium personnel. Le grenier est forcément, nécessairement, évidemment, une pièce intéressante encore faut-il réussir non seulement à faire tenir une histoire dans le nombre de signes maximum mais aussi faire dans l'originalité ; ce qui est le cas ici. Rien à redire donc, du bien beau boulot, propre et enlevé, en un mot un tour de force...
SILENCE- — — — Moine copiste — — — Disciple des Lois du Silence
- Messages : 4040
Date d'inscription : 02/01/2012
Age : 50
Re: Nettoyage à vide
Merci à tous !
Et pour Françoise, euh... oui, oui, c'est une coïncidence...
Mais tu n'es pas mariée à Paladin, y'a un "i" à son prénom, contrairement à celui de l'histoire !
Et pour Françoise, euh... oui, oui, c'est une coïncidence...
Mais tu n'es pas mariée à Paladin, y'a un "i" à son prénom, contrairement à celui de l'histoire !
Re: Nettoyage à vide
Non ! Si mon nom d'auteur s'écrit avec un i, mon vrai prénom, c'est bien avec un y !
... Mais je ne suis pas marié avec Françoise, c'est un fait !
... Mais je ne suis pas marié avec Françoise, c'est un fait !
Re: Nettoyage à vide
Pas mal du tout cette histoire. J'ai apprécié. Je crois que 2 ou 3 phrases de plus auraient pu apporter une progressivité bienvenue sur les événements du grenier, mais ce n'est qu'un ressenti personnel. L'ensemble se tient bien.
Merci à toi
Merci à toi
mormir- — Arpenteur des mondes — Disciple de l'arbre noir
- Messages : 2638
Date d'inscription : 11/05/2013
Age : 60
Localisation : Près de Chartres
Re: Nettoyage à vide
Je l'avais lu ce matin sur mon téléphone. J'ai apprécié aussi. En fait, je ne trouve rien à dire sur ton texte. L'histoire se lit, s'apprécie, et puis voilà c'est fini.
Re: Nettoyage à vide
Merci Mormir, pour la progression, je ne sais que dire... peut-être, oui, d'autant qu'il me restait des signes.
Pour Catherine, je comprends, c'est pas un texte qui reste... il est plein de vide, quoi...
Pour Catherine, je comprends, c'est pas un texte qui reste... il est plein de vide, quoi...
Re: Nettoyage à vide
Un texte sympa, mais que j'ai trouvé un peu trop classique. Je n'ai pas grand chose à dire sinon. J'ai apprécié, sans non plus adorer.
Amaranth- Book'trotteuse de l'extrême — Reflet dans un œil gore —
- Messages : 2051
Date d'inscription : 07/03/2012
Age : 32
Re: Nettoyage à vide
Un texte impeccable , concis et rythmé.
Du fantastique classique, très bien maîtrisé et relevé d'un pointe d'humour.
j'ai passé un très bon moment en lisant ton texte même si j'ai normalement tendance à préférer les textes avec une charge émotionnelle forte.
Du fantastique classique, très bien maîtrisé et relevé d'un pointe d'humour.
j'ai passé un très bon moment en lisant ton texte même si j'ai normalement tendance à préférer les textes avec une charge émotionnelle forte.
Ulysse- Écritoirien émérite
- Messages : 890
Date d'inscription : 18/05/2013
Age : 48
Localisation : Berlin
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L'Écritoire des Ombres :: CONCOURS DE L'ÉCRITOIRE DES OMBRES :: Archives des concours hors-série :: Hors-série N°4 : Dans la maison
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