Derrière le paravent

Par Anouk


Ce soir, je le sens, c’est maintenant ou jamais !. Je vais rencontrer quelqu’un. Cela m’obsède depuis longtemps Une peur irraisonnée, une angoisse viscérale et tout le tremblement m’envahissent et me paralysent. Je lutte, je cherche des dérivatifs, j’oublie mon identité, je me crée un personnage, genre femme fatale qui revient de loin. Mon champ de vision s’élargit. Je croise tant de gens affairés qui ne me voient pas. La solitude est la compagne de mes jours. La nuit je rêve que je suis une autre femme, comblée, chérie, entourée de ses enfants. Mais au matin, j’ouvre les yeux sur le vide de mon existence. Rien n’a changé.
En début de soirée, je choisis une terrasse chic en vogue. Quelques couples devisent tranquillement. Peu d’hommes seuls. Certains d’entre eux me dévisagent avec un air détaché. Je connais la chanson. Mais cette fois-ci, je ne me laisserai pas piéger. C’est moi et moi seule qui choisis ma proie.

Une heure passe. Derrière mes lunettes noires, je m’attarde ici ou là sur une silhouette entrevue ou sur un visage intéressant. J’en suis là de ma contemplation oiseuse, lorsque mon sixième sens m’alerte. Un homme échappé d’un magazine de mode cherche une place libre. Il n’y a qu’une chaise vacante. Elle est à ma gauche.

Le garçon prend la commande en renouvelant ma boisson à la demande de mon vis-à-vis. Nous avons l’air de fêter un évènement. Le seau à champagne brille de tous ses feux. Les coupes tintent au moment de porter un toast. La gravure de mode s’anime. J’ai beau chercher. Aucun défaut apparent. Elocution moderne et distinguée, léger accent méditerranéen, teint mat et dents éclatantes de blancheur, regard profond bordé de cils recourbés, cheveux coupés court et barbe naissante complètent le style faussement négligé de mon invité surprise.

Après quelques échanges polis, j’accepte d’aller chez lui.  Je suis folle ! Et si c’était un psycho ou un tueur ou encore un tordu qui découpe les femmes en morceaux. Justement un grand poêle noir trône en plein milieu du séjour immense. Aucune cheminée. Seulement ce monstre dévoreur de bois frais. Et peut-être aussi brûle-t-il les dernières traces d’innocentes victimes ?

Afin de chasser ces pensées funestes, je plonge dans la piscine. Quelques éclairages indirects donnent à l’endroit un aspect féérique. La végétation est luxuriante. L’odeur des pins est grisante. Une appréhension ridicule vient ternir le sentiment de plénitude éprouvé à l’instant. Le défilé des images traumatisantes s’insinue traitreusement dans mon esprit. Je pratique la natation depuis l’enfance. Quelques allers-retours vigoureux en brasse coulée chassent les craintes insidieuses. Lorsque j’émerge, telle l’innocente naïade surgie des eaux salvatrices, mon hôte est assis sur la margelle de la piscine. Il semble détaché des contingences matérielles. Sa rêverie est perturbée par les éclaboussures de l’eau provoquées par la nage papillon que j’exécute avec force.

Alors seulement, en posant le pied sur l’échelle, je réalise que je suis sur un terrain miné et qu’il  va me falloir pratiquer des ruses de sioux pour m’en sortir entière et sans traumatismes. Avec toute mon imagination, dresser un plan de défense imparable, provoquer l’inconnu dans ce qu’il a de plus repoussant, à savoir ses vices cachés, ses éventuelles pulsions qui ne demandent qu’à se manifester.

Néanmoins, je fais profil neutre. J’attends les évènements et comme rien ne se passe, je me faufile derrière le paravent. J’imagine que mes ombres chinoises se découpent sur la toile et que le spectateur silencieux qui n’est autre que mon hôte, se laisse charmer par mes gestes alanguis. En me retournant, alors que je finis d’agrafer mon soutien-gorge, je vois les contours de la silhouette de l’inconnu se dessiner à travers la toile. Mais que fait-il ? Son bras se lève. Il tient quelque chose dans la main. Un éclair brillant me fait penser à une lame.
Peu à peu Je sens les ondes glacées de l’angoisse me parcourir alors qu’un hurlement de terreur jaillit de ma gorge. Mon ventre se change en pierre et mes jambes filent un mauvais coton. Ma dernière heure est arrivée sans aucun doute.

Le cœur battant, la terreur nouant ma gorge, je cesse enfin de crier, attendant le coup fatal qui m’ôtera la vie. Redoutant par-dessus tout le silence mortel qui s’est installé, je risque un œil discret.

Alors, sans me retenir et dans un flux libératoire, J’éclate de rire à la vue de mon hôte seulement armé d’un sèche-cheveux ébène destiné à sécher la crinière brune dont je suis  si fière. A priori, la seule crainte que je puisse avoir, c’est seulement le fait que je ne puisse m’arrêter de rire et que je finisse par verser toutes les larmes de mon corps en essayant d’en tarir la source.

Ainsi mon aventure sans lendemain fait partie de certains bons souvenirs dont j’aime, dans la clarté lunaire, évoquer le sujet.

J'aime beaucoup mieux celui-ci, plus abouti et qui donne encore plus de force au pied-de-nez final.

J'aime toujours cette nouvelle, qui traite une angoisse plus réaliste et moins dramatique que de coutume. Le développement par rapport à la première version est bien fait, il permet une meilleure compréhension sans nuire à la nature du récit d'origine.
Bravo, donc...

Cancereugène merci de la sincérité de ton appréciation.