Le chalet derrière la dune
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Le chalet derrière la dune
Je prends mon téléphone portable. La photo de Clara figure en premier plan dans mes favoris. Déjà mes doigts virevoltent sur le clavier. Pas de bip en retour. Normal. Clara ne se manifestera pas de sitôt. Plus têtue qu’elle, ça n’existe pas. Je pousse un soupir résigné.
Ces derniers temps, elle pleurait pour un rien, Clara. Ca me rendait fou. Elle me disait que c’était à cause de moi. Je lui fais peur. Pieds et poings liés, Je la veux pour moi seul, dépendante, sans amis, sans famille. En deux ans, je suis presque arrivé à mes fins. Sa meilleure amie a renoncé à venir la voir. A cette pensée, je me mets à rire silencieusement. Elle ne reviendra pas, j’en suis sûr. J’en ai gardé de bons souvenirs. Un beau petit lot, Maryline…
Quant à la famille ? Je lui ai bien fait comprendre que je suis le seul maître à bord. Clara ne jure plus que par moi. Elle sait qu’elle m’appartient corps et âme. Je n’y peux rien. A force de querelles et de mauvaise foi, j’ai réussi à me mettre tout le monde à dos. Pas d’amis, pas de parents proches. Petits boulots. Je change souvent d’employeurs. En ville, on me regarde d’un sale œil. Avec mon allure de gitan et mon air renfrogné, je n’attire pas la sympathie.
Quelques jours plus tard, j’ai une visite inattendue. Les parents de Clara se sont invités sans préambule. Je les reçois sur le pas de la porte et j’écoute ce qu’ils ont à me dire. Sans ménagement, je les envoie promener. Non Clara n’est plus avec moi. Elle est partie pour de bon. Ses vêtements ? Elle en a pris une bonne quantité. Le reste j’en ai fait de la charpie. Chagrinés et anxieux, ils sont repartis sans rien dire.
Le lendemain, on sonne puis des coups ébranlent la porte d’entrée. Il faut dire qu’elle est de guingois et la serrure est naze. J’enfile un caleçon et ouvre. Les visiteurs n’ont pas été conviés : ce sont les gendarmes. Involontairement je fredonne le vieux tube qui remonte à Mathusalem : « La tactique du gendarme ». Ils le prennent mal. Je me tais. D’une voix fluette, un gringalet, bleu comme un schtroumpf, m’informe qu’une enquête à mon encontre est en cours suite à une plainte.
Je demande à brûle-pourpoint avec un air détaché et sur un ton frisant l’insolence :
- Quelqu’un a disparu ?
Le schtroumpf répond par une autre question :
- Vous êtes au courant ?
Je laisse planer le doute avant d’asséner :
- Non et vous ?
Impassible, il me demande de passer à la brigade dans la matinée. Apparemment je n’ai pas le choix. D’autant plus que je ne suis pas en odeur de sainteté dans le coin. Bref, les choses se passent comme prévu sauf que ma présence dans les bureaux de la gendarmerie est incongrue, à mon sens. Qu’ai-je à voir avec la prétendue disparition de Clara ? Oui… Faut pas jouer les petits saints, selon l’expression favorite de ma mère, laquelle m’a élevé à la sueur de son front, c’est bien le moins que je puisse dire !
Avec une ingratitude naturelle, J’ai toujours considéré ma mère comme une empêcheuse de tourner en rond, une mêle-tout, dont l’insatisfaction permanente à mon égard était devenue insupportable. A l’adolescence, je suis parti de la maison sans un mot laissant loin derrière moi la douceur écœurante de l’amour maternel. Mon géniteur s’est volatilisé bien avant ma naissance. Aucune photo, aucun souvenir. Je dois lui ressembler par certains côtés. Qui sait ?
Dans le bureau du brigadier, cela sent le vieux papier et la moquette poussiéreuse. En apparence je suis là mais mon esprit vagabonde. La question qui revient tout le temps finit par m’impatienter.
- Savez-vous où se trouve votre femme ?
Et ma réponse, toujours la même, doit agacer fortement le schtroumpf.
- Je n’en sais rien, elle ne m’a rien dit !
On piétine. Personne ne sait rien. Personne n’a rien vu ni rien entendu. On me renvoie dans mes pénates. Faute de carburant pour ma tire, je prends le bus. Alors là, surprise ! Maryline est assise au fond et me regarde en douce. J’ai peut-être le ticket à défaut d’avoir celui du bus. J’avance en zigzagant dans l’allée centrale avec un sourire en coin. Mais la belle se lève d’un bond et descend avant que les portes ne se referment. Sur le trottoir alors que le bus démarre, la fille est immobile. De retour au chalet, il y a plusieurs messages sur le répondeur. Rien qui ressemble de près ou de loin à la voix que je voudrais entendre.
Après cet intermède, j’étudie le tiercé. C’est comme ça que j’arrondis mes fins de mois. On a beau être en bas de l’échelle, l’espoir de monter quelques barreaux fait vivre. C’est drôle. Je revois Clara faisant de l’équitation. Elle a du style. Et les images dérapent soudain. J’entends ses cris et je subis son regard.. Arrêt sur image. Le trou noir. Je ne sais pas, je ne sais plus.
Elle me manque. Je l’aime à pleurer. En mon for intérieur, je sais que je l’ai faite souffrir. Mais voilà, j’ai horreur du bonheur, de la joie de vivre, de l’amour tranquille. Il faut que je gâche tout. C’est plus fort que moi. Seulement là, je suis allé si loin que je ne m’en souviens plus. Ai-je commis l’irréparable ? Je ne le crois pas. Les convocations se multiplient. Je suis bien près d’avouer un crime que je n’ai peut-être pas commis. Ils s’acharnent sur moi sous prétexte que je suis psycho pervers. Mais quel est celui qui tuerait sa raison de vivre ?
En fin de compte, ils l’ont retrouvée morte dans le bois de l’autre côté de la dune. Les arbres sont centenaires. On s’y promène les jours de printemps. Le chalet se situe juste derrière la dune. Peu de gens s’aventurent jusque-là. Rien n’est prévu pour grimper, ni escalier de fortune ni balustrade. C’est l’idéal pour vivre tranquillement à l’abri des regards indiscrets. Clara aimait faire son jogging dans le bois. Elle partait courir seule malgré mes mises en garde. J’ai horreur du sport. Je préfère contempler la mer et le liseré argent des vagues sur le sable brillant. Pendant les tempêtes, je suis aux premières loges. Pas de ticket d’entrée pour le spectacle. Dans le fracas des vagues, je crie ma souffrance. Il n’y a pas de réponse. Le doute me ronge. Après maints et maints interrogatoires, je suis enfin innocenté. Le crime est imputé à un vagabond, coupable tout désigné, Je m’en tire à bon compte !
Malgré la tournure inattendue’ de l’enquête, une question me hante : qui a tué Clara ?
Ces derniers temps, elle pleurait pour un rien, Clara. Ca me rendait fou. Elle me disait que c’était à cause de moi. Je lui fais peur. Pieds et poings liés, Je la veux pour moi seul, dépendante, sans amis, sans famille. En deux ans, je suis presque arrivé à mes fins. Sa meilleure amie a renoncé à venir la voir. A cette pensée, je me mets à rire silencieusement. Elle ne reviendra pas, j’en suis sûr. J’en ai gardé de bons souvenirs. Un beau petit lot, Maryline…
Quant à la famille ? Je lui ai bien fait comprendre que je suis le seul maître à bord. Clara ne jure plus que par moi. Elle sait qu’elle m’appartient corps et âme. Je n’y peux rien. A force de querelles et de mauvaise foi, j’ai réussi à me mettre tout le monde à dos. Pas d’amis, pas de parents proches. Petits boulots. Je change souvent d’employeurs. En ville, on me regarde d’un sale œil. Avec mon allure de gitan et mon air renfrogné, je n’attire pas la sympathie.
Quelques jours plus tard, j’ai une visite inattendue. Les parents de Clara se sont invités sans préambule. Je les reçois sur le pas de la porte et j’écoute ce qu’ils ont à me dire. Sans ménagement, je les envoie promener. Non Clara n’est plus avec moi. Elle est partie pour de bon. Ses vêtements ? Elle en a pris une bonne quantité. Le reste j’en ai fait de la charpie. Chagrinés et anxieux, ils sont repartis sans rien dire.
Le lendemain, on sonne puis des coups ébranlent la porte d’entrée. Il faut dire qu’elle est de guingois et la serrure est naze. J’enfile un caleçon et ouvre. Les visiteurs n’ont pas été conviés : ce sont les gendarmes. Involontairement je fredonne le vieux tube qui remonte à Mathusalem : « La tactique du gendarme ». Ils le prennent mal. Je me tais. D’une voix fluette, un gringalet, bleu comme un schtroumpf, m’informe qu’une enquête à mon encontre est en cours suite à une plainte.
Je demande à brûle-pourpoint avec un air détaché et sur un ton frisant l’insolence :
- Quelqu’un a disparu ?
Le schtroumpf répond par une autre question :
- Vous êtes au courant ?
Je laisse planer le doute avant d’asséner :
- Non et vous ?
Impassible, il me demande de passer à la brigade dans la matinée. Apparemment je n’ai pas le choix. D’autant plus que je ne suis pas en odeur de sainteté dans le coin. Bref, les choses se passent comme prévu sauf que ma présence dans les bureaux de la gendarmerie est incongrue, à mon sens. Qu’ai-je à voir avec la prétendue disparition de Clara ? Oui… Faut pas jouer les petits saints, selon l’expression favorite de ma mère, laquelle m’a élevé à la sueur de son front, c’est bien le moins que je puisse dire !
Avec une ingratitude naturelle, J’ai toujours considéré ma mère comme une empêcheuse de tourner en rond, une mêle-tout, dont l’insatisfaction permanente à mon égard était devenue insupportable. A l’adolescence, je suis parti de la maison sans un mot laissant loin derrière moi la douceur écœurante de l’amour maternel. Mon géniteur s’est volatilisé bien avant ma naissance. Aucune photo, aucun souvenir. Je dois lui ressembler par certains côtés. Qui sait ?
Dans le bureau du brigadier, cela sent le vieux papier et la moquette poussiéreuse. En apparence je suis là mais mon esprit vagabonde. La question qui revient tout le temps finit par m’impatienter.
- Savez-vous où se trouve votre femme ?
Et ma réponse, toujours la même, doit agacer fortement le schtroumpf.
- Je n’en sais rien, elle ne m’a rien dit !
On piétine. Personne ne sait rien. Personne n’a rien vu ni rien entendu. On me renvoie dans mes pénates. Faute de carburant pour ma tire, je prends le bus. Alors là, surprise ! Maryline est assise au fond et me regarde en douce. J’ai peut-être le ticket à défaut d’avoir celui du bus. J’avance en zigzagant dans l’allée centrale avec un sourire en coin. Mais la belle se lève d’un bond et descend avant que les portes ne se referment. Sur le trottoir alors que le bus démarre, la fille est immobile. De retour au chalet, il y a plusieurs messages sur le répondeur. Rien qui ressemble de près ou de loin à la voix que je voudrais entendre.
Après cet intermède, j’étudie le tiercé. C’est comme ça que j’arrondis mes fins de mois. On a beau être en bas de l’échelle, l’espoir de monter quelques barreaux fait vivre. C’est drôle. Je revois Clara faisant de l’équitation. Elle a du style. Et les images dérapent soudain. J’entends ses cris et je subis son regard.. Arrêt sur image. Le trou noir. Je ne sais pas, je ne sais plus.
Elle me manque. Je l’aime à pleurer. En mon for intérieur, je sais que je l’ai faite souffrir. Mais voilà, j’ai horreur du bonheur, de la joie de vivre, de l’amour tranquille. Il faut que je gâche tout. C’est plus fort que moi. Seulement là, je suis allé si loin que je ne m’en souviens plus. Ai-je commis l’irréparable ? Je ne le crois pas. Les convocations se multiplient. Je suis bien près d’avouer un crime que je n’ai peut-être pas commis. Ils s’acharnent sur moi sous prétexte que je suis psycho pervers. Mais quel est celui qui tuerait sa raison de vivre ?
En fin de compte, ils l’ont retrouvée morte dans le bois de l’autre côté de la dune. Les arbres sont centenaires. On s’y promène les jours de printemps. Le chalet se situe juste derrière la dune. Peu de gens s’aventurent jusque-là. Rien n’est prévu pour grimper, ni escalier de fortune ni balustrade. C’est l’idéal pour vivre tranquillement à l’abri des regards indiscrets. Clara aimait faire son jogging dans le bois. Elle partait courir seule malgré mes mises en garde. J’ai horreur du sport. Je préfère contempler la mer et le liseré argent des vagues sur le sable brillant. Pendant les tempêtes, je suis aux premières loges. Pas de ticket d’entrée pour le spectacle. Dans le fracas des vagues, je crie ma souffrance. Il n’y a pas de réponse. Le doute me ronge. Après maints et maints interrogatoires, je suis enfin innocenté. Le crime est imputé à un vagabond, coupable tout désigné, Je m’en tire à bon compte !
Malgré la tournure inattendue’ de l’enquête, une question me hante : qui a tué Clara ?
Re: Le chalet derrière la dune
Un texte que j'ai apprécié. L'utilisation de la première personne du singulier s'avère judicieuse. Certains points auraient peut-être gagné à être développés davantage.
Un petit détail cependant : "je l’ai faite souffrir". Le participe passé "fait" suivi de l'infinitif est toujours invariable.
Un petit détail cependant : "je l’ai faite souffrir". Le participe passé "fait" suivi de l'infinitif est toujours invariable.
Blahom- —Adorateur du (mauvais) genre— Chuchoteur dans les ténèbres
- Messages : 2383
Date d'inscription : 02/10/2013
Age : 57
Localisation : Sud-Est
Re: Le chalet derrière la dune
C'est un très bon texte, Anouk. La forme est impeccable, comme toujours, et dans le fond, j'ai ressenti une certaine émotion, sans savoir si elle était déviante ou sincère, de la part du narrateur.
Le format me paraît cependant un peu trop court, pour ce type de récit - sans pour autant être totalement hors de propos. Il peut plaire en l'état. Personnellement, j'en voulais plus !
Le format me paraît cependant un peu trop court, pour ce type de récit - sans pour autant être totalement hors de propos. Il peut plaire en l'état. Personnellement, j'en voulais plus !
Le chalet derrière la dune
merci Blahom. Contente que cela t'ait plus. J'ai rectifié la faute !!
merci Cancereugène pour ta lecture et ton com. J'avais écrit un texte plus long rajoutant l'idée d'un divorce. Mais ça ne collait pas. J'ai préféré la ligne droite même si cette voie plus rectiligne ne donne pas la clé de l'énigme. La question de l'innocence et de la culpabilité reste entière tant parfois le fil du rasoir est fin. Le vagabond arrive à point nommé. Le doute subsiste.
merci Cancereugène pour ta lecture et ton com. J'avais écrit un texte plus long rajoutant l'idée d'un divorce. Mais ça ne collait pas. J'ai préféré la ligne droite même si cette voie plus rectiligne ne donne pas la clé de l'énigme. La question de l'innocence et de la culpabilité reste entière tant parfois le fil du rasoir est fin. Le vagabond arrive à point nommé. Le doute subsiste.
Re: Le chalet derrière la dune
Tu nous gâtes en ce moment. Justement j'aime ce doute qui subsiste est-ce lui, n'est-ce pas lui ? Le type est parfaitement immonde mais je doute fort que quelqu'un dans son cas soit conscient des ressorts qu'il utilise pour isoler sa dulcinée de toutes ses connaissances (mais c'est un détail). L'utilisation du "je", en tout cas donne de la force au texte et permet une vision totalement subjective. Un beau travail, là encore.
Perroccina- — — — — E.T à moto — — — — Disciple asimovienne
- Messages : 4109
Date d'inscription : 26/12/2012
Age : 59
Localisation : Béarn
Re: Le chalet derrière la dune
Bien sympa ce petit texte ! Il y a juste ce passage que je ne trouve pas naturel :
anouk a écrit:
Je demande à brûle-pourpoint avec un air détaché et sur un ton frisant l’insolence :
- Quelqu’un a disparu ?
Le schtroumpf répond par une autre question :
- Vous êtes au courant ?
Je laisse planer le doute avant d’asséner :
- Non et vous ?
A'Tuin- Écritoirien émérite stagiaire
- Messages : 508
Date d'inscription : 18/09/2013
Age : 36
Re: Le chalet derrière la dune
merci Perro. En fait mon personnage n'est pas tout le temps excessif, possessif et tyrannique. Certes il est cynique mais il a conscience de ses défauts et finalement le fait que Carla soit partie, c'est la version à laquelle il s'accroche, ne l'étonne pas plus que ça. Maintenant j'ai fait en sorte que sa culpabilité reste en filigrane malgré l'arrestation du vagabond. Et mon personnage principal doute : qui a tué clara ? Lui ou le vagabond, il est dans un trou noir. Celui de l'enfer de vivre avec cette question.
ok je revois cela Atwin
merci pour ta lecture
ok je revois cela Atwin
merci pour ta lecture
Re: Le chalet derrière la dune
Oh que j'ai aimé! J'aime beaucoup qu'on soit du côté du mari violent et comment les différentes sortes de violences conjugales sont abordées. Un personnage qu'on aime mépriser pour être surpris à la fin de voir qu'il n'est peut-être pas que méchant, mais le doute demeure. Bravo
Invité- Invité
Re: Le chalet derrière la dune
Merci Noirceurose, j'aime aussi les ambiguités dans le texte de façon à perdre le lecteur dans un rébus passionnel.
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