Brave et serviable Pinocchio ! [ancien atelier]

D'après une question hautement philosophique de l'honorable Naëlle...

C'était le pire hiver que l'Italie eût connu depuis... oh, plus que ça même ! Au moins depuis que les ours blancs avaient abandonné la péninsule, c'est vous dire !
Cela faisait près de deux mois que le petit village de Geppetto grelottait, isolé du reste du monde par d'infranchissables congères, et le vieil homme, emmitouflé dans une demi-douzaine de couvertures, sentait le désespoir l'envahir à la vue des ultimes braises qui rougeoyaient pitoyablement dans la cheminée.
Tout y était passé : ses réserves de bois précieux, toutes les chutes jusqu'aux derniers copeaux de son atelier, puis l'établi, la table, les chaises, le lit, même le vieil escalier qui accédait à l'étage, et, enfin, tout ce qui pouvait encore être transformé en combustible : tableaux, livres, registres, vêtements, draps, matelas.
Il ne restait plus rien à brûler. Hormis les maigres couvertures qu'il avait sur le dos et dont il n'osait se défaire, et... et Pinocchio ?
Geppetto regarda avec envie la haute marionnette qui jouait non loin avec le chat Haribo Figaro, aussi indifférente au froid mordant que l'animal fourré. Une fée charitable lui avait insufflé la vie mais c'était toujours un pantin de bois. Du bois animé certes, mais du bon hêtre quand même, et bien sec avec ça !
Le vieil homme repoussa cette pensée avec horreur. Pinocchio n'était pas un objet. Il était le fils qu'il n'avait pu avoir, le compagnon, la lumière de ses vieux jours. Et puis, ça lui rapporterait quoi de brûler la marionnette ? Une petite flambée de dix minutes, peut-être quinze ?... Et après ? Dans l'air glacial qui s'ensuivrait inexorablement, la honte et le remords rendraient son agonie plus affreuse encore.
Non, il n'y avait pas d'échappatoire, ni de sursis à espér... à moins... à moins que... Non !... Si ?...
-- Pinocchio ? Pinocchio, mon petit, je viens d'inventer un nouveau jeu, ça t'intéresse ?
-- Oh oui, Geppetto ! fit le pantin qui commençait à se lasser de servir d'affûte-griffes à l'espiègle matou.
-- Tu vas voir, on va bien s'amuser. Répète après moi : "Je suis un vrai petit garçon".
-- Mais, Geppetto, tu sais bien que ce n'est pas vrai.
-- Bien sûr que je le sais, c'est le jeu ! Contente-toi de me dire que tu es un vrai petit garçon. Allez !
-- Je... je suis un vrai petit garçon ?
L'effet ne se fit guère attendre : le nez du pantin s'allongea d'une trentaine de centimètres.
-- Pas mal, reconnut le vieil homme, mais tu dois pouvoir faire mieux. Redis-le encore, et essaie d'y mettre un peu plus de conviction, veux-tu ?
-- D'accord. Je suis un vrai petit garçon !
Cette fois, le nez de Pinocchio atteignit un bon mètre de long.
-- Excellent ! s'exclama joyeusement Geppetto. Pinoc', tu es un amour. Viens vite m'embrasser ! Et, en passant, sois gentil : amène-moi la scie à bûches !...
"Et, heu... dis, ça ne t'ennuie pas si on recommence deux ou trois fois ?"

Amusante petite digression humoristique sur Pinocchio. Agréable à lire. C'est... comment dire... euh... frais peut-être.

 
Ex-ce-lent !

Tout est parfait.  

Oui super ! LOL !

vachement bien ... comme quoi... pas besoin de beaucoup de lignes pour faire une chouette histoire !

Bravo Jack !   

Vraiment très bien ta petite histoire Jack   

Merci beaucoup !
Quelque part, sous "la forme dans le noir" de l'ami Murphy, Naëlle avait posé cette ténébreuse question : Que se passe-t-il si Pinocchio dit "je sens mon nez qui pousse" ?
Ben, voilà ce qui se passe : ça provoque des parasites neuronaux et, parfois, comme ici, des courts-circuits dans les synapses.
Pourvu que ce ne soit pas contagieux !

Tout a été dit, c'est aussi court que génial, et aussi drôle que macabre.    J'aurais aimé avoir pensé à une telle histoire.

J'aurais pas cru que cette petite question non existentielle te titillerait à ce point et t'inspirerait. C'est le même principe que "Quelle phrase est juste parmi les ces deux-ci ? 1- La phrase suivante est un mensonge 2- La phrase précédente dit vrai". M'enfin, si je sors tous les paradoxes du genre, on en a pas fini.

Quoi que, juste une dernière petite énigme... Je me demande ce qui a fait que tu m'aie confondu avec Naëlle... :cyclops:

Tu as raison, Murphy, je me suis bel et bien mélangé les pinceaux. Cela vient des citations en cascade. Après un encadré d'encadré, j'ai zappé que ce n'était pas Naëlle qui répondait à Murphy sur ce qu'il avait dit qu'elle avait dit... et, bref, je me suis pris les pieds dans le tapis.
Je te rends donc la paternité légitime de cette remarque décalée avec mes plus plates excuses.
En fait, je pense que l'esprit est ainsi fait qu'il ne peut s'empêcher, inconsciemment, de chercher un sens même là où on sait pertinemment qu'il n'y en a aucun, ce qui entraîne des corrélations anarchiques sous-jacentes d'où, parfois, une idée exotique peut surgir à l'improviste.
Celle-ci m'est venue pendant que je planchais sur ma nouvelle pour le concours. Je n'ai pas calculé. Je me suis vite empressé de la choper au vol et de la scotcher sur le papier avant qu'elle s'évapore.
Un petit extra en forme de parenthèse intuitive... Dommage qu'on ne puisse reproduire le truc à la demande.

Ca va dans le sens des courts-circuits neuronaux dont tu parlais, remarque   Pas besoin d'excuse, ça m'a bien amusé de voir cette confusion. Mais comme j'allais commenter, je me suis dit que Naëlle passerait sûrement par là un jour et se demanderait de quelle question tu parlais. Alors autant lever la confusion tout de suite, me suis-je dit.

Je confirme, l'inspiration a ses raisons que le cerveau n'a pas. C'est souvent ce genre de petites idées qui sortent de nulle part que je préfère, d'ailleurs. Sans doute parce que l'histoire s'impose d'elle-même et qu'on galère pas pour atteindre la fin.

En espérant que ça t'ai pas trop détourné de ta nouvelle pour le concours quand même...   

Génial Jack ! J'adore .

Ah, merci d'avoir éclairé ma lanterne, Murphy. Parce que, lorsque j'ai lu le paratexte, je me suis dit: "Mais de quoi parle Jack?" Et, plus tard, après avoir lu le texte, je me suis dit: "Mais de quoi diaaable parle Jack?" Puis j'ai lu ton commentaire et j'ai compris. Je suis donc rassurée, je ne dis pas des trucs dont je n'ai aucun souvenir! (À 22 ans, ça serait quand même inquiétant...)

C'est excellent, Jack. C'est limite énervant que tu réussisses à faire un truc aussi bien comme ça, d'un claquement de doigts, parce que t'as eu une idée flash et que tu t'es dépêché de la poser sur le papier! Juste un tout petit truc:

Jack-the-rimeur a écrit:-- Excellent ! s'exclama joyeusement Geppetto. Pinoc', tu es un amour. Viens vite m'embrasser ! Et, en passant, sois gentil : amène-moi la scie à bûches !...
"Et, heu... dis, ça ne t'ennuie pas si on recommence deux ou trois fois ?"

Ce serait pas mieux de coller cette dernière phrase à la suite de l'autre? Sur le coup, j'ai cru que c'était Pinocchio qui parlait.

Hello !

Très sympathique, cette histoire. Aussi courte que percutante. C'est vrai, en y réfléchissant... on pourrait en faire, des trucs, avec un nez à rallonge infinie...  

Ce pauvre Pinocchio l'a échappée belle. Un récit amusant, à la conclusion joviale. Je t'avouerais m'être attendu à plus caustique de ta part, étant donnée la tonalité générale de tes textes. Sans doute aussi que je reste influencé par le souvenir de l'horrible, le terrifiant, l'indicible... Pinokenstein enfanté par Gotlib ^^