LETTRES D'ECRIVAINS
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LETTRES D'ECRIVAINS
Je démarre par un petit cadeau pour Zaroff :
Georges Simenon, mythe absolu de la culture française du XXe siècle, inventeur du personnage du commissaire Maigret, est aussi l’auteur d’une œuvre riche et foisonnante, parfois éclipsée par ses premiers succès policiers. En 1974, trois ans après le décès de sa mère, l’écrivain, encore bouleversé, lui écrit une longue lettre où il tente par-delà la mort de comprendre celle qui lui a donné la vie.
Ma chère maman,
Voilà trois ans et demi environ que tu es morte à l'âge de quatre-vingt onze ans et c'est seulement maintenant que, peut-être, je commence à te connaître. J'ai vécu mon enfance et mon adolescence dans la même maison que toi, avec toi, et quand je t'ai quittée pour gagner Paris, vers l'âge de dix-neuf ans, tu restais encore pour moi une étrangère.
D'ailleurs, je ne t'ai jamais appelée maman mais je t'appelais mère, comme je n'appelais pas mon père papa. Pourquoi ? D'où est venu cet usage ? Je l'ignore.
Depuis, j'ai fait quelques brefs voyages à Liège mais le plus long a été le dernier pendant lequel, une semaine durant, à l'hôpital de Bavière, où je servais jadis la messe, j'ai assisté jour par jour à ton agonie.
Ce mot-là, d'ailleurs, s'applique mal aux journées qui ont précédé ta mort. Tu étais étendue dans ton lit entourée de parents ou de gens que je ne connaissais pas. Certains jours à peine je pouvais arriver jusqu'à toi. Je t'ai observée pendant des heures. Tu ne souffrais pas. Tu ne craignais pas de quitter la vie. Tu ne récitais pas non plus de chapelets du matin au soir bien qu'il y eût une religieuse en noir figée tous les jours à la même place, sur la même chaise.
Parfois, et même souvent, tu souriais. Mais le mot sourire, appliqué à toi, a un sens un peu différent de son sens habituel. Tu nous regardais, nous qui allions te survivre et te suivre jusqu'au cimetière, et une expression ironique étirait parfois tes lèvres.
On aurait dit que tu étais déjà dans un autre monde, ou plutôt que tu étais dans ton monde à toi, dans ton monde intérieur qui t'était familier.
Car ce sourire-là, où il y avait aussi de la mélancolie, de la résignation, je l'ai connu dès mon enfance. Tu subissais la vie. Tu ne la vivais pas.
On aurait dit que tu attendais le moment où tu serais enfin étendue sur ton lit d'hôpital avant le grand repos. […]
Un soir, au moment où j'allais me mettre au lit et où j'étais déjà dévêtu, j'ai reçu un coup de téléphone de l'hôpital m'annonçant que tu étais morte. Je m'attendais à ce que cela arrive d'une minute à l'autre. La réalité ne m'a pas moins été un choc violent.
Je me suis rhabillé en hâte. Je me suis précipité vers l'hôpital, vers ta petite chambre à laquelle je m'étais habitué en oubliant que c'était du provisoire.
Je t'ai trouvée le visage serein, d'une sérénité qui n'existe pas dans la vie.
Je t'ai baisée au front, comme j'avais baisé mon père, et je me suis assis à côté de toi. La bonne sœur était toujours là, aussi immobile que s'il ne s'était rien passé. Je lui ai demandé si tu avais souffert et elle m'a répondu que non.
Malgré moi j'ai continué à penser. Cette semaine que nous venions de passer ensemble, pour ainsi dire sans nous parler, me manquait. Il me semblait qu'elle ne s'était pas achevée, que le contact n'avait pas été complet.
Or, je ne voulais pas te laisser partir sans t'avoir connue, sans t'avoir comprise. Tes yeux, maintenant, n'avaient plus d'expression, mais une fixité extraterrestre. Tes lèvres avaient pris une fois pour toutes un pli mystérieux, que je n'arrivais pas à définir. Ironie, apaisement, que sais-je ? J'aurais tendance à dire apaisement.
On avait fait ta toilette. Tu étais belle. Tu étais royale, impériale, sur ton petit lit et nous n'étions autour de toi que des humains avec toutes leurs hésitations, leurs petits problèmes et leurs angoisses. Tu avais dépassé tout ça et tu nous dominais de ton immobilité figée.
J'ai continué à penser. J'ai continué à essayer de te comprendre. Et j'ai compris que, toute ta vie, tu as été bonne.
Pas nécessairement pour les autres, mais bonne pour toi, bonne au fond de toi-même. Tu avais lutté pour atteindre le but que la petite fille de cinq ans s'était fixé. Tu avais serré les dents. Mais tu avais besoin, tu as toujours eu besoin d'être bonne, de te sentir bonne. Et c'est pourquoi, mère, tu as passé ta vie à te sacrifier, tu t'es sacrifiée pour le premier malheureux qui passait, pour les ménages qui s'ébranlaient, pour les isolés, j'allais dire pour tout ce qui passait dans la rue.
Pour tous, tu avais dans ton cœur des trésors de tendresse et de patience. Rien ne te rebutait. Au contraire, plus la tâche était difficile et plus tu t'y raccrochais.
Faut-il s'étonner que tu ne te sois pas penchée, autour de toi, sur ceux que tu considérais comme les bienheureux de ce monde ?
C'était nous. Tu ne nous voyais pas ou tu nous plaçais dans la catégorie de ceux qui étaient comblés.
Tu venais de tout en bas, de ceux qui n'avaient rien reçu, pour qui chaque petite joie était une conquête qu'il fallait arracher à la force des poignets.
Tu continuais à lutter. Ta tâche n'était pas terminée. Tu avais travaillé, avec tes locataires, jusqu'à ce que nous allions au collège. Notre avenir, à tes yeux, était assuré.
Pas le tien, pas celui d'autres gens que tu rencontrais quand tu allais faire tes courses dans le quartier.
Entre nous, avec nous, ce n'était pas de la bonté, c'était de l'amour maternel.
Or, il fallait que ce soit de la bonté. Pas seulement de la bonté pour les autres. Tu n'attendais pas de remerciements ni de reconnaissance. Il fallait, c'était indispensable, que tu te sentes bonne.
Et je crois, après huit jours passés dans ta chambre d'agonie, ce que j'ai enfin découvert.
Tu étais née, comme ton père, comme la plupart de tes frères et sœurs, avec une tendance à une certaine morbidesse [sic], on dirait aujourd'hui la névrose. Vous aviez les uns comme les autres une sensibilité exacerbée. Les uns, les unes, essayaient en vain de se défendre par l'alcool.
La petite dernière, qui avait assisté à cette lutte de toute une famille, à cette déchéance progressive des uns et des autres, a décidé, toute jeune de se sauver par elle-même.
C'était la petite demoiselle aux cheveux flous et presque blancs de l'Innovation. C'était la confidente de Valérie. C'était elle qui admirait la belle marche de Désiré puis, plus tard, son beau coup de chapeau. Une fois en ménage, avec un enfant qui piaillait, tu as compris que ce n'était pas assez. Tu as loué une maison. Tu as pris des locataires. Tu t'es imposé une véritable vie d'esclave.
Jusqu'à la mort de Désiré. Combien d'années plus tard t'es-tu remariée ? Je n'en sais rien. Tu approchais de ton but : la sécurité, la fameuse pension.
Comment pourrais-je t'en vouloir ? Je sais que, pendant la guerre, tu cachais tes pièces d'or sous un tas de charbon. On aurait pu croire que c'était pour toi, que c'était de l'avarice. Or, en même temps, tu réalisais au crochet des petits sacs pour chacun de mes enfants.
[…]
Georges Simenon, mythe absolu de la culture française du XXe siècle, inventeur du personnage du commissaire Maigret, est aussi l’auteur d’une œuvre riche et foisonnante, parfois éclipsée par ses premiers succès policiers. En 1974, trois ans après le décès de sa mère, l’écrivain, encore bouleversé, lui écrit une longue lettre où il tente par-delà la mort de comprendre celle qui lui a donné la vie.
Ma chère maman,
Voilà trois ans et demi environ que tu es morte à l'âge de quatre-vingt onze ans et c'est seulement maintenant que, peut-être, je commence à te connaître. J'ai vécu mon enfance et mon adolescence dans la même maison que toi, avec toi, et quand je t'ai quittée pour gagner Paris, vers l'âge de dix-neuf ans, tu restais encore pour moi une étrangère.
D'ailleurs, je ne t'ai jamais appelée maman mais je t'appelais mère, comme je n'appelais pas mon père papa. Pourquoi ? D'où est venu cet usage ? Je l'ignore.
Depuis, j'ai fait quelques brefs voyages à Liège mais le plus long a été le dernier pendant lequel, une semaine durant, à l'hôpital de Bavière, où je servais jadis la messe, j'ai assisté jour par jour à ton agonie.
Ce mot-là, d'ailleurs, s'applique mal aux journées qui ont précédé ta mort. Tu étais étendue dans ton lit entourée de parents ou de gens que je ne connaissais pas. Certains jours à peine je pouvais arriver jusqu'à toi. Je t'ai observée pendant des heures. Tu ne souffrais pas. Tu ne craignais pas de quitter la vie. Tu ne récitais pas non plus de chapelets du matin au soir bien qu'il y eût une religieuse en noir figée tous les jours à la même place, sur la même chaise.
Parfois, et même souvent, tu souriais. Mais le mot sourire, appliqué à toi, a un sens un peu différent de son sens habituel. Tu nous regardais, nous qui allions te survivre et te suivre jusqu'au cimetière, et une expression ironique étirait parfois tes lèvres.
On aurait dit que tu étais déjà dans un autre monde, ou plutôt que tu étais dans ton monde à toi, dans ton monde intérieur qui t'était familier.
Car ce sourire-là, où il y avait aussi de la mélancolie, de la résignation, je l'ai connu dès mon enfance. Tu subissais la vie. Tu ne la vivais pas.
On aurait dit que tu attendais le moment où tu serais enfin étendue sur ton lit d'hôpital avant le grand repos. […]
Un soir, au moment où j'allais me mettre au lit et où j'étais déjà dévêtu, j'ai reçu un coup de téléphone de l'hôpital m'annonçant que tu étais morte. Je m'attendais à ce que cela arrive d'une minute à l'autre. La réalité ne m'a pas moins été un choc violent.
Je me suis rhabillé en hâte. Je me suis précipité vers l'hôpital, vers ta petite chambre à laquelle je m'étais habitué en oubliant que c'était du provisoire.
Je t'ai trouvée le visage serein, d'une sérénité qui n'existe pas dans la vie.
Je t'ai baisée au front, comme j'avais baisé mon père, et je me suis assis à côté de toi. La bonne sœur était toujours là, aussi immobile que s'il ne s'était rien passé. Je lui ai demandé si tu avais souffert et elle m'a répondu que non.
Malgré moi j'ai continué à penser. Cette semaine que nous venions de passer ensemble, pour ainsi dire sans nous parler, me manquait. Il me semblait qu'elle ne s'était pas achevée, que le contact n'avait pas été complet.
Or, je ne voulais pas te laisser partir sans t'avoir connue, sans t'avoir comprise. Tes yeux, maintenant, n'avaient plus d'expression, mais une fixité extraterrestre. Tes lèvres avaient pris une fois pour toutes un pli mystérieux, que je n'arrivais pas à définir. Ironie, apaisement, que sais-je ? J'aurais tendance à dire apaisement.
On avait fait ta toilette. Tu étais belle. Tu étais royale, impériale, sur ton petit lit et nous n'étions autour de toi que des humains avec toutes leurs hésitations, leurs petits problèmes et leurs angoisses. Tu avais dépassé tout ça et tu nous dominais de ton immobilité figée.
J'ai continué à penser. J'ai continué à essayer de te comprendre. Et j'ai compris que, toute ta vie, tu as été bonne.
Pas nécessairement pour les autres, mais bonne pour toi, bonne au fond de toi-même. Tu avais lutté pour atteindre le but que la petite fille de cinq ans s'était fixé. Tu avais serré les dents. Mais tu avais besoin, tu as toujours eu besoin d'être bonne, de te sentir bonne. Et c'est pourquoi, mère, tu as passé ta vie à te sacrifier, tu t'es sacrifiée pour le premier malheureux qui passait, pour les ménages qui s'ébranlaient, pour les isolés, j'allais dire pour tout ce qui passait dans la rue.
Pour tous, tu avais dans ton cœur des trésors de tendresse et de patience. Rien ne te rebutait. Au contraire, plus la tâche était difficile et plus tu t'y raccrochais.
Faut-il s'étonner que tu ne te sois pas penchée, autour de toi, sur ceux que tu considérais comme les bienheureux de ce monde ?
C'était nous. Tu ne nous voyais pas ou tu nous plaçais dans la catégorie de ceux qui étaient comblés.
Tu venais de tout en bas, de ceux qui n'avaient rien reçu, pour qui chaque petite joie était une conquête qu'il fallait arracher à la force des poignets.
Tu continuais à lutter. Ta tâche n'était pas terminée. Tu avais travaillé, avec tes locataires, jusqu'à ce que nous allions au collège. Notre avenir, à tes yeux, était assuré.
Pas le tien, pas celui d'autres gens que tu rencontrais quand tu allais faire tes courses dans le quartier.
Entre nous, avec nous, ce n'était pas de la bonté, c'était de l'amour maternel.
Or, il fallait que ce soit de la bonté. Pas seulement de la bonté pour les autres. Tu n'attendais pas de remerciements ni de reconnaissance. Il fallait, c'était indispensable, que tu te sentes bonne.
Et je crois, après huit jours passés dans ta chambre d'agonie, ce que j'ai enfin découvert.
Tu étais née, comme ton père, comme la plupart de tes frères et sœurs, avec une tendance à une certaine morbidesse [sic], on dirait aujourd'hui la névrose. Vous aviez les uns comme les autres une sensibilité exacerbée. Les uns, les unes, essayaient en vain de se défendre par l'alcool.
La petite dernière, qui avait assisté à cette lutte de toute une famille, à cette déchéance progressive des uns et des autres, a décidé, toute jeune de se sauver par elle-même.
C'était la petite demoiselle aux cheveux flous et presque blancs de l'Innovation. C'était la confidente de Valérie. C'était elle qui admirait la belle marche de Désiré puis, plus tard, son beau coup de chapeau. Une fois en ménage, avec un enfant qui piaillait, tu as compris que ce n'était pas assez. Tu as loué une maison. Tu as pris des locataires. Tu t'es imposé une véritable vie d'esclave.
Jusqu'à la mort de Désiré. Combien d'années plus tard t'es-tu remariée ? Je n'en sais rien. Tu approchais de ton but : la sécurité, la fameuse pension.
Comment pourrais-je t'en vouloir ? Je sais que, pendant la guerre, tu cachais tes pièces d'or sous un tas de charbon. On aurait pu croire que c'était pour toi, que c'était de l'avarice. Or, en même temps, tu réalisais au crochet des petits sacs pour chacun de mes enfants.
[…]
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
- Messages : 1867
Date d'inscription : 28/01/2013
Age : 64
Localisation : Fréjus
Stefan Zweig
Avertissement : bien entendu, personnellement je ne cautionne aucun texte et me permets simplement de les retransmettre, quel que soit l'auteur
Stefan Zweig, immense écrivain et intellectuel autrichien (auteur de Le joueur d’échec, 24 heures de la vie d’une femme, Amok,…), dont nous fêtons aujourd’hui l’anniversaire, fut aussi un observateur aiguisé de son temps. Au sortir de la Première Guerre Mondiale, cette figure humaniste et pacifique adresse à son ami Richard Dehmel, poète enrôlé dans l’armée allemande, ce plaidoyer lyrique contre le nationalisme : un texte à méditer par les temps qui courent.
Cher Monsieur Dehmel,
Je crois cependant - je le répète - qu'il a été désastreux pour l'Allemagne que les chefs et les tentateurs de la nation ne se soient pas dénoncés eux-mêmes, que Tirpitz, au lieu de couler avec son navire comme un amiral, et d'emporter son revolver, ait fui en Suisse, que Ludendorff se soit réfugié en Suède, que ceux qui ont ordonné le démontage des usines belges et françaises (que les enfants de leurs enfants devront encore payer) se promènent tranquillement en Allemagne ; ces hommes qui ont exigé que des millions de gens soumettent d'une façon inouïe leur volonté à leurs propres folies ne devraient-ils pas expier volontairement leur faute ? Il me semble désastreux que l'Allemagne ne place pas à sa tête des hommes nouveaux, non encore usés, et choisisse Erzberger et les autres opportunistes qui lui ont fait tant de mal.
Il semble que vous ne partagiez pas cette opinion et que vous teniez l'Assemblée nationale pour la digne représentante de la véritable Allemagne. Ce sont des divergences politiques que les débats les plus éthérés ne font que sublimer. L'objectif de ma lettre était de vous exhorter à prendre la parole, à passer à l'acte : bien des passages de votre journal intime montrent que vous avez en vous la volonté et la force d'être un prophète de l'avertissement, un prophète capable de fustiger votre patrie, et que vous avez peut-être le devoir d'occuper aujourd'hui une fonction dirigeante en politique (c'est-à-dire par-delà la politique). En Allemagne, les hommes véritables ont peur de l'action, ils en ont excessivement peur : pourquoi les plus grands comme Rathenau, pourquoi les natures politiques comme Thomas Mann, comme Heinrich Mann, dont-ils restés à l'écart des élections au Reichstag, et pourquoi avez-vous fait de même ? Pourquoi, au risque de ne pas franchir la barrière des urnes ? A Bordeaux, en 1871, Victor Hugo a tenu un inoubliable discours à la nation : pourquoi n'a-t-on pas entendu un Dehmel, un Hauptmann, un Thomas Mann à l'Assemblée nationale allemande, mais un professeur, deux avocats et des politiciens professionnels ? Vous avez rempli votre devoir aux premiers jours de la guerre : je pense que le devoir vous appelle aujourd'hui plus que jamais à être un chef spirituel et à occuper une fonction officielle.
Je vous ai dit cela alors que nos positions diffèrent sur bien des points. Je tiens l'idée nationale pour dangereuse et je crois que nous atteignons aujourd'hui la limite au-delà de laquelle on ne pourra plus lui accorder une importance aussi démesurée. Nous ne comprenons plus aujourd'hui que l'Allemagne ne soit déchirée pendant trente ans à cause de la sainte Cène et de son interprétation ; dans deux siècles, le monde ne comprendra pas davantage que notre Europe (qui sera depuis longtemps unie) ait pu se meurtrir et se détruire pour des questions de langue et de frontières. Ce monde aura peut-être une nouvelle folie, différente de celle-ci, et se détruire tout aussi absurdement à cause d'elle, il fera naître dans un autre combat la même dose d'enthousiasme, de haine, de malentendus, de sacrifices et d'amour. La seule chose qui importe peut-être pour cette volonté invisible est que les forces de l'individu agissent éternellement dans les masses.
Je me suis contraint depuis des années (et souvent contre mon propre sentiment) à ne pas attribuer des valeurs morales aux communautés. Il n'y a pas de justice, de liberté, de courage dans un peuple alors qu'un autre en serait dépourvu : je connais et j'aime des hommes (par exemple Richard Dehmel, et même s'il me lance son encrier au visage, je ne cesserai jamais d'admirer sa colère), j'aime les langues et leurs esprits divers, mais je ne vois dans les Etats que des formes contingentes. Que suis-je par exemple ? Allemand, si nous sommes rattachés à l'Allemagne, autrichien-allemand si l'Entente nous contraint à l'indépendance, tchécoslovaque parce que mon père est un Allemand de Bohême et que nous seront peut-être annexés dès demain, juif, si les juifs deviennent une minorité nationale. Ce n'est pas un destin isolé : des millions de gens ne savent pas ce qu'ils sont aujourd'hui, les Voralbergeois seront demain des Suisses - je considère tout cela comme une farce, de même que le Reich allemand de Bismarck était à mes yeux un Etat puissant, certes, mais ne s'identifiait pas avec le monde allemand (qui n'existe que dans l'invisible, dans la langue et dans l'esprit).
Et si je vous invite à agir, à prendre publiquement la parole et à occuper un poste officiel, moi qui ne partage pas vos opinions à bien des égards, si je crois que l'Allemagne a davantage besoin aujourd'hui d'être conduite par un homme moral que par une douzaine de politiciens, vous devez voir là un signe. Je considère que les positions politiques d'un Thomas Mann sont tout aussi fallacieuses : mais je préférerais mille fois le voir à la tête du pays que n'importe lequel des internationalistes de papier qui prolifèrent aujourd'hui sur le fumier de notre époque. Je ne vénère pas un parti, mais un état d'esprit. Et sur ce point, il ne saurait en être autrement : l'Allemagne a voté pour des hommes de parti, elle s'est prononcée de manière partisane pour la soumission ou pour la résistance, au lieu de se confier à de grands hommes responsables. Si vous ou Thomas Mann aviez été au Reichstag, la séance serait restée dans les mémoires pour les générations à venir, elle aurait bouleversé tous les esprits européens.
Je ne vous demande donc pas de me pardonner mes idées, mais de comprendre mon sentiment, qui me porte à vous vouer un amour et un respect inaltérables, dussiez-vous me tenir pour un importun ou un homme perdu, me mépriser et me rejeter. Votre fidèle
Stefan Zweig
Stefan Zweig, immense écrivain et intellectuel autrichien (auteur de Le joueur d’échec, 24 heures de la vie d’une femme, Amok,…), dont nous fêtons aujourd’hui l’anniversaire, fut aussi un observateur aiguisé de son temps. Au sortir de la Première Guerre Mondiale, cette figure humaniste et pacifique adresse à son ami Richard Dehmel, poète enrôlé dans l’armée allemande, ce plaidoyer lyrique contre le nationalisme : un texte à méditer par les temps qui courent.
Cher Monsieur Dehmel,
Je crois cependant - je le répète - qu'il a été désastreux pour l'Allemagne que les chefs et les tentateurs de la nation ne se soient pas dénoncés eux-mêmes, que Tirpitz, au lieu de couler avec son navire comme un amiral, et d'emporter son revolver, ait fui en Suisse, que Ludendorff se soit réfugié en Suède, que ceux qui ont ordonné le démontage des usines belges et françaises (que les enfants de leurs enfants devront encore payer) se promènent tranquillement en Allemagne ; ces hommes qui ont exigé que des millions de gens soumettent d'une façon inouïe leur volonté à leurs propres folies ne devraient-ils pas expier volontairement leur faute ? Il me semble désastreux que l'Allemagne ne place pas à sa tête des hommes nouveaux, non encore usés, et choisisse Erzberger et les autres opportunistes qui lui ont fait tant de mal.
Il semble que vous ne partagiez pas cette opinion et que vous teniez l'Assemblée nationale pour la digne représentante de la véritable Allemagne. Ce sont des divergences politiques que les débats les plus éthérés ne font que sublimer. L'objectif de ma lettre était de vous exhorter à prendre la parole, à passer à l'acte : bien des passages de votre journal intime montrent que vous avez en vous la volonté et la force d'être un prophète de l'avertissement, un prophète capable de fustiger votre patrie, et que vous avez peut-être le devoir d'occuper aujourd'hui une fonction dirigeante en politique (c'est-à-dire par-delà la politique). En Allemagne, les hommes véritables ont peur de l'action, ils en ont excessivement peur : pourquoi les plus grands comme Rathenau, pourquoi les natures politiques comme Thomas Mann, comme Heinrich Mann, dont-ils restés à l'écart des élections au Reichstag, et pourquoi avez-vous fait de même ? Pourquoi, au risque de ne pas franchir la barrière des urnes ? A Bordeaux, en 1871, Victor Hugo a tenu un inoubliable discours à la nation : pourquoi n'a-t-on pas entendu un Dehmel, un Hauptmann, un Thomas Mann à l'Assemblée nationale allemande, mais un professeur, deux avocats et des politiciens professionnels ? Vous avez rempli votre devoir aux premiers jours de la guerre : je pense que le devoir vous appelle aujourd'hui plus que jamais à être un chef spirituel et à occuper une fonction officielle.
Je vous ai dit cela alors que nos positions diffèrent sur bien des points. Je tiens l'idée nationale pour dangereuse et je crois que nous atteignons aujourd'hui la limite au-delà de laquelle on ne pourra plus lui accorder une importance aussi démesurée. Nous ne comprenons plus aujourd'hui que l'Allemagne ne soit déchirée pendant trente ans à cause de la sainte Cène et de son interprétation ; dans deux siècles, le monde ne comprendra pas davantage que notre Europe (qui sera depuis longtemps unie) ait pu se meurtrir et se détruire pour des questions de langue et de frontières. Ce monde aura peut-être une nouvelle folie, différente de celle-ci, et se détruire tout aussi absurdement à cause d'elle, il fera naître dans un autre combat la même dose d'enthousiasme, de haine, de malentendus, de sacrifices et d'amour. La seule chose qui importe peut-être pour cette volonté invisible est que les forces de l'individu agissent éternellement dans les masses.
Je me suis contraint depuis des années (et souvent contre mon propre sentiment) à ne pas attribuer des valeurs morales aux communautés. Il n'y a pas de justice, de liberté, de courage dans un peuple alors qu'un autre en serait dépourvu : je connais et j'aime des hommes (par exemple Richard Dehmel, et même s'il me lance son encrier au visage, je ne cesserai jamais d'admirer sa colère), j'aime les langues et leurs esprits divers, mais je ne vois dans les Etats que des formes contingentes. Que suis-je par exemple ? Allemand, si nous sommes rattachés à l'Allemagne, autrichien-allemand si l'Entente nous contraint à l'indépendance, tchécoslovaque parce que mon père est un Allemand de Bohême et que nous seront peut-être annexés dès demain, juif, si les juifs deviennent une minorité nationale. Ce n'est pas un destin isolé : des millions de gens ne savent pas ce qu'ils sont aujourd'hui, les Voralbergeois seront demain des Suisses - je considère tout cela comme une farce, de même que le Reich allemand de Bismarck était à mes yeux un Etat puissant, certes, mais ne s'identifiait pas avec le monde allemand (qui n'existe que dans l'invisible, dans la langue et dans l'esprit).
Et si je vous invite à agir, à prendre publiquement la parole et à occuper un poste officiel, moi qui ne partage pas vos opinions à bien des égards, si je crois que l'Allemagne a davantage besoin aujourd'hui d'être conduite par un homme moral que par une douzaine de politiciens, vous devez voir là un signe. Je considère que les positions politiques d'un Thomas Mann sont tout aussi fallacieuses : mais je préférerais mille fois le voir à la tête du pays que n'importe lequel des internationalistes de papier qui prolifèrent aujourd'hui sur le fumier de notre époque. Je ne vénère pas un parti, mais un état d'esprit. Et sur ce point, il ne saurait en être autrement : l'Allemagne a voté pour des hommes de parti, elle s'est prononcée de manière partisane pour la soumission ou pour la résistance, au lieu de se confier à de grands hommes responsables. Si vous ou Thomas Mann aviez été au Reichstag, la séance serait restée dans les mémoires pour les générations à venir, elle aurait bouleversé tous les esprits européens.
Je ne vous demande donc pas de me pardonner mes idées, mais de comprendre mon sentiment, qui me porte à vous vouer un amour et un respect inaltérables, dussiez-vous me tenir pour un importun ou un homme perdu, me mépriser et me rejeter. Votre fidèle
Stefan Zweig
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Zweig fait partie de mes auteurs favoris. Aux titres que vous mentionnez, j'ajouterais "La peur", "L'ivresse de la métamorphose" et "Erasme".
La lettre que vous reproduisez a-t-elle été publiée dans "Le monde d'hier" ? Je ne me souviens pas de l'avoir lue et vous remercie de la poster ici. Je la relirai attentivement dans un moment plus calme.
T.
La lettre que vous reproduisez a-t-elle été publiée dans "Le monde d'hier" ? Je ne me souviens pas de l'avoir lue et vous remercie de la poster ici. Je la relirai attentivement dans un moment plus calme.
T.
Tipram- — — Sérénité du Levant — — Disciple du mot juste
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Tipram a écrit:Zweig fait partie de mes auteurs favoris. Aux titres que vous mentionnez, j'ajouterais "La peur", "L'ivresse de la métamorphose" et "Erasme".
La lettre que vous reproduisez a-t-elle été publiée dans "Le monde d'hier" ? Je ne me souviens pas de l'avoir lue et vous remercie de la poster ici. Je la relirai attentivement dans un moment plus calme.
T.
Non, cette lettre est issus d'un site publiant des lettre d'artistes et personnes publiques.
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
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Stéphen King
Auteur à succès par excellence, acclamé par la critique et fort de millions d’exemplaires vendus dans le monde, bien souvent adaptés au cinéma, Stephen King est une star mondiale qui dépasse largement le cadre de la littérature. Ecrivain prolifique, l’auteur de Shining ne manque de rien, bien au contraire. Mais, dans la crise actuelle, il est prêt à retrousser ses manches et réclame à corps et à cris des impôts plus élevés pour « les gens riches », dont il fait partie. Démagogie ou pas, une lettre sans langue de bois sur un sujet polémique et très actuel !
Lors d'une manifestation en Floride, j'ai souligné que je payais des impôts à hauteur d'environ 28% de mes revenus. Ma question était : « Comment se fait-il que je ne sois pas taxé à 50% ? »
Ils m'ont dit : « Fais un chèque et tais-toi ! »
Ils m'ont dit : « Si tu veux payer plus, paye plus. »
Ils m'ont dit : « Y en a marre d'entendre parler de ça. »
Et bien, c'est la merde pour vous les mecs, parce que je ne suis pas fatigué d'en parler. Je connais des gens riches et pourquoi ne pas en parler, puisque je fais partie de ces gens ? C'est vrai qu'une partie des gens riches donne une part de leurs économies d'impôts à des œuvres de charité […]. Mais ce 1% de personnes charitables ne peut pas tout assumer, il s'agit des responsabilités nationales de l'Amérique : les aides à ses pauvres et à ses malades, l'éducation de ses jeunes, la réparation des infrastructures défaillantes, le remboursement de ses ahurissantes dettes de guerre. La charité des riches ne peut pas remédier au réchauffement climatique ou baisser le prix de l'essence d'un seul petit centime.
Hé ! Si on se penchait vraiment sur le problème ? La plupart des gens riches paient des impôts à hauteur de 28% et ne donnent pas le reste de leurs revenus à des œuvres de charité. La plupart des gens riches aiment garder leur thune. Ils ne vident pas leurs comptes en banque et leurs portefeuilles d'investissement. Ils les gardent et les donnent à leurs enfants, aux enfants de leurs enfants. Et ce qu'ils donnent ailleurs ne regardent qu'eux, comme ce que moi et ma femme donnons. C'est l'archétype de la philosophie des riches : ne nous dites pas comment dépenser notre argent, on vous dira comment dépenser le vôtre.
[…] Les sénateurs et représentants américains qui refusent, ne serait-ce que d'envisager d'augmenter les impôts des riches, et gémissent comme des bébés geignards (en général sur Fox News) chaque fois que le sujet revient sur le tapis, ne sont pas, pour la plus grande majorité, immensément riches, même si beaucoup d'entre eux sont millionnaires. Simplement, ils idolâtrent les riches. Ne me demandez pas pourquoi ; je ne les comprends pas non plus, puisque la plupart des riches sont aussi ennuyeux que de la merde de vieux chien mort.
[…] J'imagine que cet amour des conservateurs pour les riches vient de l'idée qu'en Amérique, n'importe qui peut devenir riche s'il travaille dur et qu'il économise ses sous. Mitt Romney l'a dit, en fait, « Je suis riche et je ne m'excuse pas d'être riche ». Mais personne ne veut que tu t'excuses Mitt, ce que veulent certains d'entre nous, (ceux qui ne sont pas aveuglés par le persiflage de conneries qu'on vomit pour masquer l'idée que les gens riches veulent garder leur satané fric) c'est que tu reconnaisses que tu n'aurais pas pu réussir en Amérique sans l'Amérique. Que tu as eu la chance de naître dans un pays où la mobilité sociale est possible (un sujet sur lequel Barack Obama peut s'exprimer avec le poids de l'expérience), mais où les canaux permettant une telle mobilité ascendante sont de plus en plus bouchés. Il est injuste de demander à la classe moyenne d'assumer un taux d'impôt disproportionné. Pire qu'injuste ? Putain, mais c'est anti-américain ! Je ne veux pas que tu t'excuses d'être riche, je veux que tu reconnaisses qu'en Amérique, nous devrions tous payer une part d'impôts juste. Que nos cours de civisme ne nous ont jamais appris qu'être Américain signifie : désolé les enfants, tu ne peux compter que sur toi-même. Que ceux qui reçoivent beaucoup doivent être forcés de payer dans la même proportion. C'est-à-dire de l'assumer sans se plaindre : cela s'appelle le patriotisme, un mot que les conservateurs adorent utiliser à tout bout de champ tant que ça ne coûte pas un sous à leurs riches bien-aimés.
C'est ce qui doit se passer si l'Amérique veut rester forte et fidèle à ses idéaux. C'est une nécessité pratique et un impératif moral.
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Née le 1er juillet 1804, George Sand est une femme de lettres inclassable et singulière tant par sa littérature prolifique, sa correspondance volumineuse ou son parcours de femme libre, malgré son époque. Liée aux grands artistes et écrivains de son temps, dans cette lettre tendre et touchante à Gustave Flaubert, elle exhorte l’écrivain à sortir de son « spleen », manifestant sa soif de vivre et sa culture du bonheur.
Pauvre cher ami,
Je t'aime d'autant plus que tu deviens plus malheureux. Comme tu te tourmentes et comme tu t'affectes de la vie ! Car tout ce dont tu te plains, c'est la vie, elle n'a jamais été meilleure pour personne et dans aucun temps. On la sent plus ou moins, on la comprend plus ou moins, on en souffre donc plus ou moins, et plus on est en avant de l'époque où l'on vit, plus on souffre. Nous passons comme des ombres sur un fond de nuages que le soleil perce à peine et rarement, et nous crions sans cesse après ce soleil qui n'en peut mais. C'est à nous de déblayer nos nuages.
Tu aimes trop la littérature, elle te tuera et tu ne tueras pas la bêtise humaine. Pauvre chère bêtise, que je ne hais pas, moi, et que je regarde avec des yeux maternels, car c'est une enfance, et toute enfance est sacrée. Quelle haine tu lui as vouée, quelle guerre tu lui fais ! Tu as trop de savoir et d'intelligence, mon Cruchard, tu oublies qu'il y a quelque chose au-dessus de l'art, à savoir la sagesse, dont l'art à son apogée, n'est jamais que l'expression. La sagesse comprend tout, le beau, le vrai, le bien, l'enthousiasme par conséquent. Elle nous apprend à voir hors de nous quelque chose de plus élevé que ce qui est en nous, et à nous de l'assimiler peu à peu par la contemplation et l'admiration.
Mais je ne réussirais pas à te changer, je ne réussirais même pas à te faire comprendre comment j'envisage et saisis le bonheur, c'est-à-dire l'acceptation de la vie, quelle qu'elle soit ! Il y a une personne qui pourrait te modifier et te sauver, c'est le père Hugo, car il a un côté par lequel il est grand philosophe, tout en étant le grand artiste qu'il te faut et que je ne suis pas. Il faut le voir souvent. Je crois qu'il te calmera : moi, je n'ai plus assez d'orage en moi pour que tu me comprennes. Lui je crois qu'il a gardé son foudre et qu'il a tout de même acquis la douceur et la mansuétude de la vieillesse.
Vois-le, vois-le souvent et conte lui tes peines, qui sont grosses, je le vois bien, et qui tournent trop au spleen. Tu penses trop aux morts, tu les crois trop arrivés au repos. Ils n'en ont point. Il sont comme nous, ils cherchent. Ils travaillent à chercher.
Tout mon monde va bien et t'embrasse. Moi, je ne guéris pas, mais j'espère, guerre ou non, marcher encore pour élever mes petites-filles, et pour t'aimer, tant qu'il me restera un souffle.
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Lettre de Louis-Ferdinand Céline à Gaston Gallimard :
"Mon cher Éditeur et ami,
Je crois qu'il va être temps de nous lier par un autre contrat, pour mon prochain roman RIGODON… dans les termes du précédent sauf la somme – 1 500 NF au lieu de 1 000 – sinon je loue, moi aussi, un tracteur et vais défoncer la NRF, et pars saboter tous les bachots ! Qu'on se le dise ! Bien amicalement votre, Destouches."
Re: LETTRES D'ECRIVAINS
"On nous élève comme des saintes, et on nous fourgue comme des juments."
Georges Sand (citée par Sacha Guitry).
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Le fameux auteur du Seigneur des Anneaux, J.R.R. Tolkien, décédé le 2 septembre 1973, disparaît bien souvent derrière son œuvre. Ce professeur à Oxford au début du siècle, travailleur acharné, linguiste de génie, passionné par les mythes et légendes nordiques, est parvenu à créer un monde dont l’ampleur défie l’imagination. Dans cette lettre à un éditeur, il revient sur les origines de son œuvre, à mi-chemin entre son goût pour l’imaginaire et sa rigueur de linguiste.
Mon cher Milton,
Vous m'avez demandé un bref exposé de ce que j'ai écrit en rapport avec mon monde imaginaire. Il est difficile d'en dire quelque chose sans en dire trop : essayer d'en dire quelques mots, c'est laisser libre cours à un enthousiasme débordant, car l'égoïste et artiste éprouve le désir immédiat d'expliquer comment tout s'est développé, ce que c'est, et ce que lui (pense-t-il) veut dire ou tente de représenter dans tout cela. Vous allez devoir subir un peu de ce récit, mais je joindrai un simple résumé (du contenu du livre) - ce qui est (peut-être) seulement ce que vous voulez, ce dont vous avez besoin ou ce que vous aurez le temps de lire. Pour ce qui est des circonstances, du développement et de la composition, tout a commencé en même temps que moi - mais j'imagine que cela n'a pas grand intérêt pour quiconque à part moi. Je veux dire par là qu'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours porté cela en gestation. Beaucoup d'enfants inventent, ou commencent à inventer des langues imaginaires. Cela a été mon cas dès que j'ai su écrire. Sauf que je n'ai jamais cessé, quoique, bien entendu, en tant que philologue de métier (particulièrement intéressé par l'esthétique linguistique), mes goûts aient évolué, mes connaissances théoriques se soient améliorées, de même (probablement) que mon savoir-faire. Il y maintenant à l'arrière-plan de mes histoires un réseau de langues (dont seule la structure est ébauchée pour la plupart d'entre elles). Mais à ces créatures que j'appelle en anglais, de façon trompeuse, des Elfes, sont associées deux langues apparentées qui sont plus achevées, dont l'Histoire est écrite, et dont les formes (qui représentent deux aspects différents de mon propre goût linguistique) sont déduites scientifiquement d'une origine commune.
Mais j'ai nourri ab initio une passion tout aussi fondamentale pour les mythes (non l'allégorie !), pour les contes de fées, et surtout pour les légendes héroïques à la lisière du conte de fées et de l'Histoire - qui sont bien trop peu nombreuses dans le monde (à m'être accessibles) à mon goût. Je n'avais pas encore achevé mes études quand la réflexion et l'expérience me révélèrent que les pôles opposés de la science et du roman ne relevaient pas de goûts divergents mais étaient totalement apparentés. Je suis cependant loin d'être « érudit » en matière de mythe et de conte de fées, car sur ces sujets, j'ai toujours été à la recherche (pour ce que j'en savais) de matériaux, d'éléments d'un certain registre et d'une certaine qualité, et non de simples connaissances. Par ailleurs, et j'espère ici ne pas paraître absurde, j'ai très tôt été attristé par la pauvreté de mon propre pays bien-aimé : il n'avait aucune histoire propre (étroitement liée à sa langue et à son sol), en tous cas pas de la nature que je recherchais et trouvais (comme ingrédient) dans les légendes d'autres contrées. Il y avait les grecques, les celtes, et les romanes, les germaniques, les scandinaves et les finnoises (qui m'ont fortement marqué), mais rien d'anglais, excepté le maigre matériau des chap-books [sortes d'almanachs]. Bien sûr, il y avait, il y a, tout le monde arthurien mais, malgré sa force, il est imparfaitement naturalisé, étant associé avec le sol britannique et non anglais, et il ne venait pas combler le manque que je ressentais. Premièrement, son côté « féérique » est trop extravagant, fantastique, incohérent, répétitif. Ensuite et surtout, il fait partie intégrante de la religion chrétienne et la contient explicitement.
Pour des raisons que je ne développerais pas, cela me semble être rédhibitoire. Le mythe et le conte de fées doivent, comme tout art, refléter et contenir en solution des éléments de vérité (ou d'erreur) d'ordre moral et religieux, mais pas explicitement, pas sous la forme connue du monde « réel », primaire.
Bien entendu, un projet d'une telle démesure ne s'est pas développé tout d'un coup. Les seules histoires étaient fondamentales. Elles jaillissaient dans mon esprit comme si elles m'avaient été « données », et à mesure qu'elles apparaissaient, séparément, les liens se développaient également. Tâche absorbante, bien que continuellement interrompue (d'autant que, sans même parler des nécessités du quotidien, mon esprit avait tendance à s'envoler vers l'autre pôle pour se consacrer à la linguistique) ; et pourtant j'ai toujours eu le sentiment de rapporter ce qui était déjà « là », quelque part - non d'« inventer. »
J'ai bien sûr imaginé et même écrit bien d'autres choses (pour mes enfants en particulier). Certaines ont échappé à l'emprise de ce thème qui ramenait tout à lui et se ramifiait […]. Bilbo le Hobbit, qui possède une existence bien plus essentielle, a été conçu tout à fait indépendamment : je ne savais pas en le commençant qu'il y avait sa place. Mais il s'est avéré être la révélation de la complétude du tout, le mode de sa descente sur terre et de sa fusion dans « l'Histoire. » De même que les nobles Légendes du début sont supposées regarder les choses à travers les yeux des Elfes, le récit intermédiaire de Bilbo le Hobbit adopte un point de vue quasiment humain, et le dernier récit les mêle.
Je me demande si (même dans le cas où ce serait lisible) vous lirez jamais cela ??
J.R.R. Tolkien
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
John Steinbeck, l’un des monstres sacrés et populaires de la littérature américaine du XXème siècle, Prix Nobel de Littérature en 1961, qui a écrit Les raisins de la Colère, Des Souris et des Hommes ou A l’Est d’Eden, était, visiblement, un père exemplaire. Quelques années plus tôt, Steinbeck et son épouse recevaient une lettre de leur fils aîné Thom qui, adolescent à l’époque, leur racontait ses premières amours. Le célèbre écrivain américain livre une vision très personnelle de l’amour et prodigue des conseils d’une sagesse intemporelle.
Cher Thom,
Nous avons reçu ta lettre ce matin.
Je te réponds de mon côté et bien sûr, Elaine te répondra du sien.
D'abord, si tu es amoureux, c’est une bonne chose : c’est sûrement la meilleure chose qui puisse arriver à quelqu’un. Ne laisse personne déprécier ou atténuer tes sentiments.
Ensuite, il y a différents types d’amour. Le premier est égoïste, méchant, possessif, narcissique et n’est qu’un faire-valoir pour l’ego. C’est un amour laid et paralysant. L’autre est une libération de tout ce qu’il y a de bon en toi : gentillesse, considération et respect. Je ne parle pas seulement du respect social des bonnes manières mais du profond respect, c'est-à-dire la reconnaissance d’une personne en tant qu’être unique et précieux. Le premier type d’amour peut te rendre malade, petit et faible tandis que le second peut révéler ta force, ton courage, ta bonté et même une sagesse que tu ignorais posséder.
Tu dis qu’il ne s’agit pas d’un amour adolescent. Si tu le ressens si profondément, c'est sûr : ce n'est pas d’un amour de ce genre là.
Mais je ne pense pas que tu m'interroges sur ce que tu ressens : tu le sais mieux que personne. Non. Tu voulais mon aide pour savoir quoi faire de ces sentiments. Et cela, je peux te le dire.
Savoure cet amour, sois heureux et reconnaissant de le vivre.
L’objet de l'amour est la meilleure des choses. Essaye d’être à la hauteur.
Si tu aimes quelqu’un, il n’y a aucun mal à le dire, tu dois juste te souvenir que certaines personnes sont timides et parfois tu dois prendre en compte cette timidité avant d’exprimer tes sentiments.
Les jeunes femmes ont leurs secrets pour savoir ou sentir ce que tu ressens, mais elles aiment aussi l’entendre. Il arrive parfois que tes sentiments ne soient pas réciproques pour une raison ou pour une autre, mais cela ne change rien à la valeur de ces sentiments.
Enfin, je connais ce sentiment car je le ressens et je suis heureux que tu le connaisses toi aussi.
Nous serions ravis de rencontrer Susan. Elle sera très bien accueillie. Elaine se chargera de tous les détails car c’est son domaine : elle sera ravie de s’en occuper. Elle sait elle aussi ce qu’est l’amour et pourra peut-être t’aider mieux que moi.
Et ne t’inquiète pas de la perdre. Si cela doit arriver, cela arrivera : le plus important, c’est de ne pas se presser. Les bonnes choses ne disparaissent pas comme ça.
Avec toute mon affection,
Fa
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Fêtant son soixante-quatorzième anniversaire (qui devait être le dernier), René Barjavel écrivit un texte de quatre pages manuscrites où il résumait ses croyances, sa manière d'être au monde et un bel hommage à l'écriture. Je me fais plaisir en le retranscrivant pour vous. Lisez-le.
"24 janvier 1985 : je suis entré ce matin dans ma soixante-quatorzième année. Ça commence à faire beaucoup. J'aime la vie, chaque seconde de ma vie. Je n'ai jamais été indifférent, j'ai regardé, écouté, goûté, touché, respiré, aimé. Aimé toute chose et toutes choses, belles et laides, émerveillé par les miracles qui m'entourent et dont je suis fait. Je suis un univers de miracles. Je le sais. Bonheur de sentir le stylo entre mes doigts, et la fraîcheur du papier sous ma main, et de voir le petit serpent noir de l'écriture dessiner son chemin comme je l'ai voulu et comme il le veut. Bonheur de me savoir vivant et de savoir autour de moi l'univers en marche, en rond puisque j'en suis le centre comme chaque vivant et chaque parcelle non vivante. Essayer de comprendre ? Impossible. Démesure. Mais s'émerveiller de la grandeur infinie, si bien finie en chaque poussière de poussière. Et de l'ingéniosité de chaque détail, la main, l'œil, l'oreille, le monde organisé de chaque cellule, les tourbillons vides de l'atome, le vide infranchissable du bois de mon bureau.Vide, tout est vide, disait l'Ecclésiaste. Et ce vide est si méticuleusement et grandiosement ordonné qu'il remplit et construit et anime le vivant et la brique, la brique est vivante, la brique grouille et tourbillonne, la brique est vide, je suis vide, je contiens l'univers.
À quoi bon écrire tout cela, à quoi bon écrire, puisque cela est et que rien ne peut empêcher d'être ce qui est, et de voir ceux qui regardent, et d'entendre ceux qui écoutent. Je n'ai pas envie de mourir, mais je crois que j'ai assez vécu. Chaque instant est l'éternité. Je sais que ceux qui m'attendent ne m'apporteront rien de plus, je sais peu de choses, je ne saurai rien de plus, j'ai atteint mes limites, je les ai bien emplies, je me suis bien nourri d'être autant que je pouvais, à ma dimension, et de petit savoir,et de grande, grande joie émerveillée. Et maintenant je voudrais faire comme mon chat après son repas : m'endormir. Si je continue, si je dure encore, je ferai mon métier aussi longtemps que je pourrai, avec application comme je l'ai toujours fait. Bien faire ce qu'on fait, quel que soit le métier."
Barjavel mourra dix mois après.
"24 janvier 1985 : je suis entré ce matin dans ma soixante-quatorzième année. Ça commence à faire beaucoup. J'aime la vie, chaque seconde de ma vie. Je n'ai jamais été indifférent, j'ai regardé, écouté, goûté, touché, respiré, aimé. Aimé toute chose et toutes choses, belles et laides, émerveillé par les miracles qui m'entourent et dont je suis fait. Je suis un univers de miracles. Je le sais. Bonheur de sentir le stylo entre mes doigts, et la fraîcheur du papier sous ma main, et de voir le petit serpent noir de l'écriture dessiner son chemin comme je l'ai voulu et comme il le veut. Bonheur de me savoir vivant et de savoir autour de moi l'univers en marche, en rond puisque j'en suis le centre comme chaque vivant et chaque parcelle non vivante. Essayer de comprendre ? Impossible. Démesure. Mais s'émerveiller de la grandeur infinie, si bien finie en chaque poussière de poussière. Et de l'ingéniosité de chaque détail, la main, l'œil, l'oreille, le monde organisé de chaque cellule, les tourbillons vides de l'atome, le vide infranchissable du bois de mon bureau.Vide, tout est vide, disait l'Ecclésiaste. Et ce vide est si méticuleusement et grandiosement ordonné qu'il remplit et construit et anime le vivant et la brique, la brique est vivante, la brique grouille et tourbillonne, la brique est vide, je suis vide, je contiens l'univers.
À quoi bon écrire tout cela, à quoi bon écrire, puisque cela est et que rien ne peut empêcher d'être ce qui est, et de voir ceux qui regardent, et d'entendre ceux qui écoutent. Je n'ai pas envie de mourir, mais je crois que j'ai assez vécu. Chaque instant est l'éternité. Je sais que ceux qui m'attendent ne m'apporteront rien de plus, je sais peu de choses, je ne saurai rien de plus, j'ai atteint mes limites, je les ai bien emplies, je me suis bien nourri d'être autant que je pouvais, à ma dimension, et de petit savoir,et de grande, grande joie émerveillée. Et maintenant je voudrais faire comme mon chat après son repas : m'endormir. Si je continue, si je dure encore, je ferai mon métier aussi longtemps que je pourrai, avec application comme je l'ai toujours fait. Bien faire ce qu'on fait, quel que soit le métier."
Barjavel mourra dix mois après.
Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Barjavel mourra dix mois après.
On aurait dit qu'il le pressentait...
On aurait dit qu'il le pressentait...
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Doumé a écrit:Barjavel mourra dix mois après.
On aurait dit qu'il le pressentait...
Peut-être. Va savoir. Barjavel était au-dessus des autres. Un visionnaire sous des airs innocents.
Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Albert Camus, dont la France s’apprête à fêter en grande pompe le centenaire de la naissance, est, au-delà de son œuvre romanesque, dramatique et théorique, un écrivain dont la stature, la noblesse et la grandeur transparaissent dans sa correspondance. Dans cette lettre, écrite à Paris en pleine guerre, Camus, exténué et insatisfait, annonce à Francine, sa future épouse, la grande nouvelle : il a fini L’étranger ! Un immense écrivain vient de naître.
Je t'écris dans la nuit. Je viens de terminer mon roman et je suis trop énervé pour songer à dormir. Sans doute, mon travail n'est pas fini. J'ai des choses à reprendre, d'autres à ajouter, d'autres à réécrire. Mais le fait est que j'ai fini et que j'ai tracé la dernière phrase. […] J'ai ce manuscrit devant moi et je pense à ce qu'il m'a coûté d'effort et de volonté - combien il a fallu lui être présent, sacrifier d'autres pensées, d'autres désirs pour rester dans son climat. Je ne sais pas ce qu'il vaut. À certains moments, ces temps-ci, certaines de ses phrases, son ton, ses vérités me traversaient comme des éclairs. Et j'en étais terriblement orgueilleux. Mais à d'autres moments, je n'y vois que des cendres et des maladresses. Je suis trop imbibé de cette histoire. Je vais mettre ces papiers dans mon tiroir et commencer à travailler mon essai. Dans quinze jours, je ressortirai tout cela, je retravaillerai ce roman. Je le ferai lire ensuite. Je ne veux pas trop m'attarder dessus parce qu'en réalité je le porte depuis deux ans et j'ai bien vu à la façon dont je l'écrivais qu'il était tout tracé en moi. Cela va faire deux mois que j'y travaille tous les jours et une partie de mes nuits. Chose curieuse, je sortais pour aller au journal, j'abandonnais une page à demi écrite et à mon retour, sans un effort, parfaitement lucide, je reprenais ma phrase et je continuais. Je n'ai jamais rien écrit avec cette continuité et cette facilité. Je dors mal en ce moment et j'ai des insomnies. Aux moments où je me réveille, il m'arrive de voir clairement toute une suite d'œuvres que j'écrirai comme celle-ci, sous la dictée, et comme si maintenant tout était clair dans mes projets et dans l'univers que je voudrais illustrer.
Ce soir, je suis crevé. Ces temps-ci je me demandais si le travail de Paris ne me fatiguait pas trop. Mais en réalité, ce roman est aussi bien responsable parce qu'il ma demandé cet effort continu qui m'apparaissait facile et qui m'épuisait en réalité.
Le plus drôle est que je ne sais même pas si je suis content. Pourtant c'est la seule chose qui puisse me mettre au-dessus de moi et je crois que je pardonnerai tout à Paris pour m'avoir permis de vivre ainsi enfermé tout entier dans ce que je faisais. Même si cela n'avait pas de valeur, la joie même du travail en a une que personne ne peut détruire et c'est celle-là qui m'a fatigué. J'imagine cependant que le lecteur de ce manuscrit sera au moins aussi fatigué que moi et je ne sais pas si la continuelle tension qu'on y sent ne découragera pas beaucoup d'esprits. Mais la question n'est pas là. J'ai voulu cette tension et je me suis employé à la rendre. Je sais qu'elle y est. Je ne sais pas si cela t'est beau. […]
Pour le reste, rien n'est changé. […] Les soirs de printemps sont ici visqueux et pluvieux. Je pense à une phrase de mon roman : « Là-bas, là-bas aussi, le soir était comme une trêve mélancolique. » Si tu savais comment j'ai envie des soirs d'Alger ou d'Oran - et comme j'ai envie de cette trêve devant la mer. Mais il a encore tout un été et tout un hiver ici avant de pouvoir partir quelques semaines et retrouver un ciel vert. Tout cela est bien loin et je n'arrive pas à croire que je pourrai y arriver. Peut-être est-ce pour cela que je n'ai pas sauté de joie aussitôt cette chose finie. […]
Albert Camus.
Mercredi. Cette lettre est infecte et illisible. Je te l'envoie quand même. J'étais trop énervé hier pour l'écrire correctement.
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
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Re: LETTRES D'ECRIVAINS
Doumé,
Merci d'avoir reproduit ici cette lettre où, je crois, tous ceux qui écrivent reconnaîtront leurs affres et leurs doutes.
T.
Merci d'avoir reproduit ici cette lettre où, je crois, tous ceux qui écrivent reconnaîtront leurs affres et leurs doutes.
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Tipram- — — Sérénité du Levant — — Disciple du mot juste
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