Instants 1-20
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Re: Instants 1-20
Bin, j'espère que c'est la première partie le vécu. La pluie c'est pas marrant, mais à tout prendre, c'est parfois bien mieux.
Bien rendu.
Bien rendu.
Re: Instants 1-20
La première partie j'y étais aussi quoique dans une autre ville, le texte rend parfaitement le désagrément de la pluie.
La deuxième partie a un vague relent d'AZF, au moins dans les effets.
La deuxième partie a un vague relent d'AZF, au moins dans les effets.
Perroccina- — — — — E.T à moto — — — — Disciple asimovienne
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Re: Instants 1-20
38
À l'heure où les lions vont boire, comme aurait pu dire le poète, il se décida à sortir sur la plage. La lumière y était subtilement différente, plus propice à la marche et la méditation. La journée, en pleine après-midi de canicule, le soleil y jetait toute sa lourdeur, traquant la moindre peau exposée pour la rougir, se réverbérant sur l'eau et le sable avec une brillance dure, contrastée, d'une teinte évoquant le métal. Un feu immense à l'éclat métallique, voilà qui avait peut-être inspiré la métaphore éculée du soleil de plomb.
Tandis qu'au soir, la lumière se dorait, s'adoucissait. Au loin l'océan se faisait pastel sous le ciel diffus, silencieux et prometteur d'inaccessibles, d'inconnus, les horizons et les terres.
39
Même en ces brûlants jours d'été, l'aube laissait à la fraîcheur bienfaisante de la nuit le privilège de se condenser en rosée légère, juste un rafraîchissement, une échantillon d'une pluie trop longtemps absente pour que les prairies de graminées reverdissent, que les massifs bruissants de genets et de ronces aux feuilles cliquetantes comme les élytres des cigales puissent à nouveau lancer leurs tentacules à l'assaut des sous-bois. Presque une torture, cette rosée, elle laissait l'espoir d'étancher une profonde soif avant de s'enfuir sitôt le jour levé.
Une perle de rosée, roulant le long de la nervure d'une feuille de plantain, eut la chance de survivre à l'évaporation en restant dans l'ombre. Mais la Terre poursuivant son orbite telle une toupie folle, la position du soleil se décala et quelques rayons furent réfractés par la gouttelette limpide. Le genre de conjonction d’événements tout à fait remarquable, car la goutte, agissant comme une loupe, concentra la lumière en un petit point aveuglant, et juste sous ce soleil miniature, des feuilles de chêne tuées par la sécheresse avaient été arrangées en tas par les vents. Une braise circulaire, minuscule, apparut au point focal, deux ou trois volutes de fumée bleue comme des spectres chassés par le jour, l'autan du matin se leva, ni trop fort, ni trop faible, pour attiser le tison et lui faire dévorer la feuille, avant de déborder pour consumer les voisines. Le soleil dans le bon axe. Une goutte de rosée de la bonne taille. Juste assez de temps pour calciner une feuille bien sèche posée au bon endroit, et juste assez de souffle pour l'aviver. Pris individuellement, quelques détails fort simples, mais le hasard de leur rencontre était si improbable qu'il évoquait une volonté consciente. La braise grandit, le vent y acquit une voix rauque, une voix de forge.
Deux heures plus tard, la moitié de la forêt brûlait.
À l'heure où les lions vont boire, comme aurait pu dire le poète, il se décida à sortir sur la plage. La lumière y était subtilement différente, plus propice à la marche et la méditation. La journée, en pleine après-midi de canicule, le soleil y jetait toute sa lourdeur, traquant la moindre peau exposée pour la rougir, se réverbérant sur l'eau et le sable avec une brillance dure, contrastée, d'une teinte évoquant le métal. Un feu immense à l'éclat métallique, voilà qui avait peut-être inspiré la métaphore éculée du soleil de plomb.
Tandis qu'au soir, la lumière se dorait, s'adoucissait. Au loin l'océan se faisait pastel sous le ciel diffus, silencieux et prometteur d'inaccessibles, d'inconnus, les horizons et les terres.
39
Même en ces brûlants jours d'été, l'aube laissait à la fraîcheur bienfaisante de la nuit le privilège de se condenser en rosée légère, juste un rafraîchissement, une échantillon d'une pluie trop longtemps absente pour que les prairies de graminées reverdissent, que les massifs bruissants de genets et de ronces aux feuilles cliquetantes comme les élytres des cigales puissent à nouveau lancer leurs tentacules à l'assaut des sous-bois. Presque une torture, cette rosée, elle laissait l'espoir d'étancher une profonde soif avant de s'enfuir sitôt le jour levé.
Une perle de rosée, roulant le long de la nervure d'une feuille de plantain, eut la chance de survivre à l'évaporation en restant dans l'ombre. Mais la Terre poursuivant son orbite telle une toupie folle, la position du soleil se décala et quelques rayons furent réfractés par la gouttelette limpide. Le genre de conjonction d’événements tout à fait remarquable, car la goutte, agissant comme une loupe, concentra la lumière en un petit point aveuglant, et juste sous ce soleil miniature, des feuilles de chêne tuées par la sécheresse avaient été arrangées en tas par les vents. Une braise circulaire, minuscule, apparut au point focal, deux ou trois volutes de fumée bleue comme des spectres chassés par le jour, l'autan du matin se leva, ni trop fort, ni trop faible, pour attiser le tison et lui faire dévorer la feuille, avant de déborder pour consumer les voisines. Le soleil dans le bon axe. Une goutte de rosée de la bonne taille. Juste assez de temps pour calciner une feuille bien sèche posée au bon endroit, et juste assez de souffle pour l'aviver. Pris individuellement, quelques détails fort simples, mais le hasard de leur rencontre était si improbable qu'il évoquait une volonté consciente. La braise grandit, le vent y acquit une voix rauque, une voix de forge.
Deux heures plus tard, la moitié de la forêt brûlait.
Re: Instants 1-20
Je comprend bien l'intention, et je dirais que l'excellent côtoie le maladroit. Autant certains passages sont évocateurs, avec de belles images, autant d'autres (majoritaires) sont lourds et on se perd dans des tournures alambiquées, interminables. Je pense que tu gagnerais à condenser, fluidifier.
Exemples à la con (juste sur des questions de formulations) :
Deux heures plus tard, la moitié de la forêt brûlait.
> Deux heures plus tard, la forêt brûlait.
il se décida à sortir sur la plage
> il sortit sur la plage
puissent à nouveau lancer leurs tentacules à l'assaut des sous-bois
> puissent (de nouveau) se lancer à l'assaut des sous-bois
(le terme "tentacules" provoque par ailleurs une image mentale pas très heureuse, je trouve)
Peut-être que c'est moi qui ait du mal à avec ce genre de style de la profusion.
En revanche j'aime bien l'instant 37 au dessus, à mon goût plus réussi
Exemples à la con (juste sur des questions de formulations) :
Deux heures plus tard, la moitié de la forêt brûlait.
> Deux heures plus tard, la forêt brûlait.
il se décida à sortir sur la plage
> il sortit sur la plage
puissent à nouveau lancer leurs tentacules à l'assaut des sous-bois
> puissent (de nouveau) se lancer à l'assaut des sous-bois
(le terme "tentacules" provoque par ailleurs une image mentale pas très heureuse, je trouve)
Peut-être que c'est moi qui ait du mal à avec ce genre de style de la profusion.
En revanche j'aime bien l'instant 37 au dessus, à mon goût plus réussi
Max- Écritoirien émérite
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Re: Instants 1-20
40
Il suffisait de le comprendre : la défaite est l'indicateur d'un dysfonctionnement du plan ou d'un défaut de motivation et de préparation.
La défaite et son analyse devenaient donc indispensables au succès de l'opération.
41
Parce qu'un jour toi aussi tu auras le cheveu rare, aussi blanc que l'os qui cherche à traverser ta peau fripée. Tu ne pourras plus te baisser, marcher, encore moins courir, tu ne te rappelleras même plus que tu le pouvais. Tes dents pourriront, tu baveras sur tes bouillies comme un nourrisson, tu te feras dessus. Un nourrisson si laid que tu finiras seul, tant ta décrépitude fera peur, en rappelant aux plus jeunes qu'à ton exemple, eux aussi, un jour, ils auront le cheveu rare, aussi blanc que l'os...
Alors ne t'attache pas, car ce corps n'est rien, tu en sortiras comme d'une chrysalide usée, il n'est qu'un vêtement élimé, tu peux t'en débarrasser. Laisse donc derrière la notoriété et la fortune, les artefacts clinquants, ces colifichets pour les fous. Tu n'es pas ta berline ni ton pavillon, ni ton téléphone ni tes bijoux, ni tes marques ni tes liasses de billets.
Garde ton corps en bonne santé comme le conducteur prudent entretient son véhicule, et tant que la ruine de la vieillesse est loin à ton horizon, apprend, procrée, transmets, parce que tu n'es que de passage...
Il suffisait de le comprendre : la défaite est l'indicateur d'un dysfonctionnement du plan ou d'un défaut de motivation et de préparation.
La défaite et son analyse devenaient donc indispensables au succès de l'opération.
41
Parce qu'un jour toi aussi tu auras le cheveu rare, aussi blanc que l'os qui cherche à traverser ta peau fripée. Tu ne pourras plus te baisser, marcher, encore moins courir, tu ne te rappelleras même plus que tu le pouvais. Tes dents pourriront, tu baveras sur tes bouillies comme un nourrisson, tu te feras dessus. Un nourrisson si laid que tu finiras seul, tant ta décrépitude fera peur, en rappelant aux plus jeunes qu'à ton exemple, eux aussi, un jour, ils auront le cheveu rare, aussi blanc que l'os...
Alors ne t'attache pas, car ce corps n'est rien, tu en sortiras comme d'une chrysalide usée, il n'est qu'un vêtement élimé, tu peux t'en débarrasser. Laisse donc derrière la notoriété et la fortune, les artefacts clinquants, ces colifichets pour les fous. Tu n'es pas ta berline ni ton pavillon, ni ton téléphone ni tes bijoux, ni tes marques ni tes liasses de billets.
Garde ton corps en bonne santé comme le conducteur prudent entretient son véhicule, et tant que la ruine de la vieillesse est loin à ton horizon, apprend, procrée, transmets, parce que tu n'es que de passage...
Re: Instants 1-20
Le dernier est terrible, si vrai malgré la touche d'espoir finale. On apprend à tous les âges, bien sûr, sauf si l'on contracte une maladie plutôt jeune (Alzheimer par exemple). Un bijou ton texte, Didier...
Re: Instants 1-20
Je plssoie Françoise. Le 41 est superbe et devrait être au cœur des pensées de chacun !
Le 40 pourrait d'ailleurs être la cause qui a amené à réfléchir pour exprimer le 41.
Le 40 pourrait d'ailleurs être la cause qui a amené à réfléchir pour exprimer le 41.
mormir- — Arpenteur des mondes — Disciple de l'arbre noir
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Re: Instants 1-20
38. vraiment un instant qui ne se suffit pas à lui-même, mais qui pourrait être intégré dans presque n'importe quoi. Très jolie description.
39. j'aime beaucoup cette conjonction de hasards qui amène à l'incendie.
40. bref, précis, impeccable.
41. superbe dans son horreur.
39. j'aime beaucoup cette conjonction de hasards qui amène à l'incendie.
40. bref, précis, impeccable.
41. superbe dans son horreur.
Re: Instants 1-20
Une grosse fournée, parce que ça faisait longtemps. Comme d'habitude, des morceaux d'un peu n'importe quoi au gré de l'inspiration du moment :
42
C'était toujours le cœur le meilleur. Comme de mordre à pleines dents au milieu d'un hamburger, là où l'on avait de bonnes chances d'attraper tous les ingrédients d'un coup, moutarde, cornichon, tomate, fromage, sauce et viande.
43
Quand j'étais môme, tout ce qui m’intéressait, c'était l'Aventure. Je me rêvais toujours au départ un matin de printemps, le ciel gris pluvieux, les arbres verts. Parfois à cheval, très souvent à pied par les chemins de traverse, avec des bottes, un sac à dos et une cape, et toujours l'épée à la ceinture.
L'Aventure et l'Exploration. Voir des choses jamais vues, explorer des lieux dont il fallait dessiner la carte au fur et à mesure, découvrir de menus trésors cachés, combattre des monstres pour des trésors plus précieux. Partir à l'aventure et explorer. Des ruines, des forêts, des villes, des palais, des grottes. C'était comme ça que je concevais la vie. Même les bouquins dans lesquels je vivais par procuration me laissaient croire que j'en étais le héros. Parce qu'ils me permettaient d'explorer ces lieux, de combattre ces dragons, ils me faisaient découvrir ces créatures étranges, me laissaient rêver à ces trésors, à ces portes closes derrière lesquelles on ne savait jamais ce qu'on allait trouver, à ces chemins qui tournaient ou plongeaient derrière le faîte d'une colline et filaient vers on ne sait trop où...
Des matins frais de printemps de cette enfance si lumineuse, où soufflait le vent de l'Aventure, et au ventre l'impatience avide de l'Exploration. C'était même pas la valeur des trésors qui comptait, je me serai contenté de ramener une brique, mais la valeur du souvenir.
44
Elle ne doutait de rien, c'était une ancienne de la boite, déjà indéboulonnable avant l'arrivée du nouveau directeur. Une si grande gueule, il se doutait qu'elle ne tarderait pas à venir lui tanner le cuir, exigeant l'augmentation comme un dû. Il se frotta le menton, l'air pensif :
– Vous connaissez l'expression « on est mal payés mais qu'est ce qu'on rigole ? »
– Pour sûr, et encore heureux ! Faut bien tenir la cadence comme on peut, hein ?
– Oui... je vous entends cancaner et rigoler avec vos collègues toute la journée. Allez, disons que tout cumulé, ça fait dans les deux heures de poilade quotidienne. Et attention, hein, du rire moqueur, du sarcasme, du rire de hyène.
– Hein ? Vous me traitez de quoi, là ?
– Vous connaissez aussi l'expression disant que dix minutes de rire valent un steak ? Calculez un peu. 120 minutes de ricanements, ça vous vaut 12 steaks de... disons 150 grammes. Soit 1 kilo 800 de steak par jour. Sur 5 jours de travail, c'est 9 kilos de viande que vous économisez en passant votre temps à médire et vous moquer des autres. Allez voir votre boucher pour comparer le prix au kilo de la barbaque, et voyez l'argent que vous ne dépensez pas. Vous n'avez pas besoin d'une augmentation. Je pourrais même baisser votre salaire que vous seriez encore gagnante.
45
Un voilier noir poussé sur la mer de cendres par les vents glaciaux, sous les nuées torves d'une tempête impitoyable, les cieux obscurs d'un enfer liquide. C'était la déferlante crêtée d'écume crépitante, la lame de fond et la muraille soulevée, une montagne soudaine, une prodigieuse masse d'eau, cisaillée par son propre poids, se rompant en avalanche grondante, retombant en rugissant sur le plat de l'océan et l'esquif ridicule pour le briser encore.
Il fut fier, au port, avec ses trois mâts, sa coque profilée, sa charpente aux poutres plus larges que les épaules des marins, la toile arachnéenne des gréements et des cordages découpant la lumière du soleil. Il fut immense, admiré, jalousé, acclamé.
Il fut.
46
Lorsque les événements se déroulent en automne, leur souvenir acquiert toujours cette teinte dorée, la patine de la nostalgie.
Par l'entremise d'une connaissance commune, il avait pu l'inviter à boire un café, un samedi après-midi. Elle avait accepté, l'avait rappelé le lendemain. Encore un café, un film, une promenade. Puis, au moment de se séparer pour rentrer chacun chez soi, ce fut le premier baiser, le grand moment, le sceau d'une union qui devait prendre fin deux ans plus tard dans les cris et les larmes. Mais pouvait-il en être autrement ? S'installe-t-on en couple après seulement deux rendez-vous et un baiser ? On y croit toujours dur comme acier trempé au début. Les hormones du bonheur, c'est quelque chose.
Alors le souvenir pouvait briller, chatoyer de ce soleil d'automne toujours magnifié comme dans un conte de fées, ça restait quand même une grosse erreur de choix de compagne. Qu'elle l'ait quitté presque par surprise après l'avoir trompé valait toutes les preuves.
47
Il y a des gens bien, une grande majorité dont on n'a rien à foutre, et beaucoup qu'on préfère éviter, quitte à changer de trottoir ou se cacher derrière les rideaux tandis qu'ils sonnent à la porte. D'autres ne valent pas la chair et le sang qui les constituent. Seraient-ils leur poids en poules, en moineaux, ou même en bigorneaux, le monde ne s'en porterait pas plus mal.
Parfois, certains donnent l'impression d'avoir servi de modèle quand Dieu a créé les cons, et encore devait-il être bourré et peu soigneux ce jour-là.
Et puis il y a des spécimens... à supposer que cette fois Dieu s'était barré aux chiottes et laissé un stagiaire s'occuper des machines.
42
C'était toujours le cœur le meilleur. Comme de mordre à pleines dents au milieu d'un hamburger, là où l'on avait de bonnes chances d'attraper tous les ingrédients d'un coup, moutarde, cornichon, tomate, fromage, sauce et viande.
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Quand j'étais môme, tout ce qui m’intéressait, c'était l'Aventure. Je me rêvais toujours au départ un matin de printemps, le ciel gris pluvieux, les arbres verts. Parfois à cheval, très souvent à pied par les chemins de traverse, avec des bottes, un sac à dos et une cape, et toujours l'épée à la ceinture.
L'Aventure et l'Exploration. Voir des choses jamais vues, explorer des lieux dont il fallait dessiner la carte au fur et à mesure, découvrir de menus trésors cachés, combattre des monstres pour des trésors plus précieux. Partir à l'aventure et explorer. Des ruines, des forêts, des villes, des palais, des grottes. C'était comme ça que je concevais la vie. Même les bouquins dans lesquels je vivais par procuration me laissaient croire que j'en étais le héros. Parce qu'ils me permettaient d'explorer ces lieux, de combattre ces dragons, ils me faisaient découvrir ces créatures étranges, me laissaient rêver à ces trésors, à ces portes closes derrière lesquelles on ne savait jamais ce qu'on allait trouver, à ces chemins qui tournaient ou plongeaient derrière le faîte d'une colline et filaient vers on ne sait trop où...
Des matins frais de printemps de cette enfance si lumineuse, où soufflait le vent de l'Aventure, et au ventre l'impatience avide de l'Exploration. C'était même pas la valeur des trésors qui comptait, je me serai contenté de ramener une brique, mais la valeur du souvenir.
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Elle ne doutait de rien, c'était une ancienne de la boite, déjà indéboulonnable avant l'arrivée du nouveau directeur. Une si grande gueule, il se doutait qu'elle ne tarderait pas à venir lui tanner le cuir, exigeant l'augmentation comme un dû. Il se frotta le menton, l'air pensif :
– Vous connaissez l'expression « on est mal payés mais qu'est ce qu'on rigole ? »
– Pour sûr, et encore heureux ! Faut bien tenir la cadence comme on peut, hein ?
– Oui... je vous entends cancaner et rigoler avec vos collègues toute la journée. Allez, disons que tout cumulé, ça fait dans les deux heures de poilade quotidienne. Et attention, hein, du rire moqueur, du sarcasme, du rire de hyène.
– Hein ? Vous me traitez de quoi, là ?
– Vous connaissez aussi l'expression disant que dix minutes de rire valent un steak ? Calculez un peu. 120 minutes de ricanements, ça vous vaut 12 steaks de... disons 150 grammes. Soit 1 kilo 800 de steak par jour. Sur 5 jours de travail, c'est 9 kilos de viande que vous économisez en passant votre temps à médire et vous moquer des autres. Allez voir votre boucher pour comparer le prix au kilo de la barbaque, et voyez l'argent que vous ne dépensez pas. Vous n'avez pas besoin d'une augmentation. Je pourrais même baisser votre salaire que vous seriez encore gagnante.
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Un voilier noir poussé sur la mer de cendres par les vents glaciaux, sous les nuées torves d'une tempête impitoyable, les cieux obscurs d'un enfer liquide. C'était la déferlante crêtée d'écume crépitante, la lame de fond et la muraille soulevée, une montagne soudaine, une prodigieuse masse d'eau, cisaillée par son propre poids, se rompant en avalanche grondante, retombant en rugissant sur le plat de l'océan et l'esquif ridicule pour le briser encore.
Il fut fier, au port, avec ses trois mâts, sa coque profilée, sa charpente aux poutres plus larges que les épaules des marins, la toile arachnéenne des gréements et des cordages découpant la lumière du soleil. Il fut immense, admiré, jalousé, acclamé.
Il fut.
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Lorsque les événements se déroulent en automne, leur souvenir acquiert toujours cette teinte dorée, la patine de la nostalgie.
Par l'entremise d'une connaissance commune, il avait pu l'inviter à boire un café, un samedi après-midi. Elle avait accepté, l'avait rappelé le lendemain. Encore un café, un film, une promenade. Puis, au moment de se séparer pour rentrer chacun chez soi, ce fut le premier baiser, le grand moment, le sceau d'une union qui devait prendre fin deux ans plus tard dans les cris et les larmes. Mais pouvait-il en être autrement ? S'installe-t-on en couple après seulement deux rendez-vous et un baiser ? On y croit toujours dur comme acier trempé au début. Les hormones du bonheur, c'est quelque chose.
Alors le souvenir pouvait briller, chatoyer de ce soleil d'automne toujours magnifié comme dans un conte de fées, ça restait quand même une grosse erreur de choix de compagne. Qu'elle l'ait quitté presque par surprise après l'avoir trompé valait toutes les preuves.
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Il y a des gens bien, une grande majorité dont on n'a rien à foutre, et beaucoup qu'on préfère éviter, quitte à changer de trottoir ou se cacher derrière les rideaux tandis qu'ils sonnent à la porte. D'autres ne valent pas la chair et le sang qui les constituent. Seraient-ils leur poids en poules, en moineaux, ou même en bigorneaux, le monde ne s'en porterait pas plus mal.
Parfois, certains donnent l'impression d'avoir servi de modèle quand Dieu a créé les cons, et encore devait-il être bourré et peu soigneux ce jour-là.
Et puis il y a des spécimens... à supposer que cette fois Dieu s'était barré aux chiottes et laissé un stagiaire s'occuper des machines.
Re: Instants 1-20
Merci pour ce partage J'aime bien le 44, bien trouvé et d'un cynisme inquiétant quand même (à ne pas divulguer aux patrons...)
Re: Instants 1-20
(faites pas gaffe, ces deux-là, c'est surtout des inspirations, parce que ces trucs me titillent depuis un moment et que je veux en garder une trace)
48
C'est un peu le cirque des fous, un peu la cité obscure, la ville au bord du monde, ou le purgatoire des âmes perdues. Ciel d'un vert acide, dégradé vers le sombre, un vent incessant, pas d'astres. La nuit, dans ces rues pavées, la lueur jaunâtre de l'éclairage au gaz. Les corbeaux croassent, le gros bonhomme de la lune et son haut de forme qui fume comme la locomotive à vapeur. Surréalisme, Noël et Halloween, l'ère de la vapeur et de l'engrenage, le steampunk et l'horrifique mêlés, les cabinets de curiosité et les robots en acier galvanisé dont les ordinateurs utilisent des bandes perforées. Il faut les huiler à la burette, leurs batteries se rechargent à la dynamo ou la bobine Tesla. Les troupes du Reich marchent toujours vers la nouvelle Moscou. L’Académie Internationale des Sciences prépare des expéditions aux pôles, vers le rift océanique, la jungle d'Afrique Noire ou l'orbite basse de la planète. Leurs découvertes et leurs machines seront ensuite exposées à la Foire Universelle de Paris, grisée par les fumées du chauffage au charbon. C'est le début du vingtième, les trente glorieuses, la grande guerre, réunies en une seule époque alternative, dans un reflet un peu différent de notre original, la science balbutie encore, la magie existe toujours.
Et encore et encore ce crépuscule verdâtre et ce vent incessant.
49
Et si les âges anciens de la Terre, lorsqu'elle était si différente, demeuraient en souvenirs dans nos gênes ? Pas dans nos mémoires, mais bien dans nos gênes, impalpables, dissimulés, avant de parfois remonter au cerveau et s'y exprimer en faisait naître des images qu'on croirait alors imaginations ?
Les dragons, le déluge, le ragnarok, Lucifer, seraient peut-être bien les souvenirs génétiques de quand la vie prenait la forme de dinosaures, de la fonte des immenses banquises à la fin des ères glaciaires, de la chute des météorites responsables de l'extinction Crétacé-Tertiaire, ou de la découverte du feu, lorsque le premier, le protégeant du vent et soufflant dessus pour attiser la première braise, le fit naître entre ses mains, de la chaleur et de la lumière.
48
C'est un peu le cirque des fous, un peu la cité obscure, la ville au bord du monde, ou le purgatoire des âmes perdues. Ciel d'un vert acide, dégradé vers le sombre, un vent incessant, pas d'astres. La nuit, dans ces rues pavées, la lueur jaunâtre de l'éclairage au gaz. Les corbeaux croassent, le gros bonhomme de la lune et son haut de forme qui fume comme la locomotive à vapeur. Surréalisme, Noël et Halloween, l'ère de la vapeur et de l'engrenage, le steampunk et l'horrifique mêlés, les cabinets de curiosité et les robots en acier galvanisé dont les ordinateurs utilisent des bandes perforées. Il faut les huiler à la burette, leurs batteries se rechargent à la dynamo ou la bobine Tesla. Les troupes du Reich marchent toujours vers la nouvelle Moscou. L’Académie Internationale des Sciences prépare des expéditions aux pôles, vers le rift océanique, la jungle d'Afrique Noire ou l'orbite basse de la planète. Leurs découvertes et leurs machines seront ensuite exposées à la Foire Universelle de Paris, grisée par les fumées du chauffage au charbon. C'est le début du vingtième, les trente glorieuses, la grande guerre, réunies en une seule époque alternative, dans un reflet un peu différent de notre original, la science balbutie encore, la magie existe toujours.
Et encore et encore ce crépuscule verdâtre et ce vent incessant.
49
Et si les âges anciens de la Terre, lorsqu'elle était si différente, demeuraient en souvenirs dans nos gênes ? Pas dans nos mémoires, mais bien dans nos gênes, impalpables, dissimulés, avant de parfois remonter au cerveau et s'y exprimer en faisait naître des images qu'on croirait alors imaginations ?
Les dragons, le déluge, le ragnarok, Lucifer, seraient peut-être bien les souvenirs génétiques de quand la vie prenait la forme de dinosaures, de la fonte des immenses banquises à la fin des ères glaciaires, de la chute des météorites responsables de l'extinction Crétacé-Tertiaire, ou de la découverte du feu, lorsque le premier, le protégeant du vent et soufflant dessus pour attiser la première braise, le fit naître entre ses mains, de la chaleur et de la lumière.
Re: Instants 1-20
Ah ouais, quand même. C'est vrai que le 48 fleure bon la prise de notes améliorée et un peu brute, mais malgré tout j'ai l'impression que tu nous as pitché un roman, là. Mine de rien. Et un roman sacrément prometteur, encore. Plus qu'à te retrousser les manches et à renouveler ton stock de bics, maintenant. En tout cas, à mon avis, une chose est certaine : tu tiens du gros.
Quant au 49, je l'aime bien, malgré quelques défauts mineurs (la répet' de "souvenirs" et celle de "gênes"-"génétiques"). De plus, je trouve la dernière phrase trop longue et l'expression "de quand la vie" pas très jolie. Je te propose donc quelques menues modifs, parce que même si tu souhaites développer ce texte, je pense qu'il a assez de qualités pour tenir debout tout seul. Alors bien sûr, tu es seul juge : libre à toi de prendre ou de jeter ce que bon te semblera.
Et maintenant, questions : quand penses-tu changer le titre de ce topic ? Parce qu'avec presque 50 textes, ça fait un bout de temps que ce "Instants 1-20" n'est plus d'actualité... Autre chose (et là tu as le droit de dire que je suis un putain de maniaque obsessionnel) : cet éventuel recueil de micro-nouvelles dont je t'avais parlé, c'est oui, non ou peut-être plus tard ? Et si oui, que penses-tu du titre que je t'avais proposé (pour rappel, c'était "Fragments") ?
Quant au 49, je l'aime bien, malgré quelques défauts mineurs (la répet' de "souvenirs" et celle de "gênes"-"génétiques"). De plus, je trouve la dernière phrase trop longue et l'expression "de quand la vie" pas très jolie. Je te propose donc quelques menues modifs, parce que même si tu souhaites développer ce texte, je pense qu'il a assez de qualités pour tenir debout tout seul. Alors bien sûr, tu es seul juge : libre à toi de prendre ou de jeter ce que bon te semblera.
- Spoiler:
- 49
Et si les âges anciens de la Terre, lorsqu'elle était si différente, demeuraient inscrits quelque part en nous ? Pas dans nos mémoires, mais bien dans nos gênes, impalpables, dissimulés, avant de parfois remonter au cerveau et s'y exprimer en faisait naître des images qu'on croyait alors imaginations ?
Et si les dragons, le déluge, le ragnarok, Lucifer correspondaient à des souvenirs ? Comme un tatouage mythique réalisé à l'encre invisible quand la vie prenait la forme de dinosaures, à l'époque de la fonte des immenses banquises à la fin des ères glaciaires, de la chute des météorites responsables de l'extinction Crétacé-Tertiaire ?
Et si cette mémoire enfouie remontait à la découverte du feu, lorsque celui qui le fit naître entre ses mains de la chaleur et de la lumière le protégea du vent en soufflant dessus pour attiser la première braise ?
Et maintenant, questions : quand penses-tu changer le titre de ce topic ? Parce qu'avec presque 50 textes, ça fait un bout de temps que ce "Instants 1-20" n'est plus d'actualité... Autre chose (et là tu as le droit de dire que je suis un putain de maniaque obsessionnel) : cet éventuel recueil de micro-nouvelles dont je t'avais parlé, c'est oui, non ou peut-être plus tard ? Et si oui, que penses-tu du titre que je t'avais proposé (pour rappel, c'était "Fragments") ?
Re: Instants 1-20
Salut Léo.
Effectivement, le n°48 n'est pas innocent. Il y a bien un vague projet, mais si diffus et lointain que je n'en suis pour le moment qu'à collectionner les éléments d'un certain esthétisme. Je fais du background. ***
Et pour le recueil, allez, tu m'as convaincu. C'est malin, comme si j'avais pas assez à faire entre le boulot, les gosses, Madame Conan et tout le reste ! Encore un et je m'y mets ! Fragments sera un bon titre.
*** Edit : rendons à César ce qui lui appartient, et à Murphy, si tu me lis, l'inspiration que tu me fournis jadis avec tes créations Photoshop : https://ecritoiredesombres.forumgratuit.org/t2457-montages
Effectivement, le n°48 n'est pas innocent. Il y a bien un vague projet, mais si diffus et lointain que je n'en suis pour le moment qu'à collectionner les éléments d'un certain esthétisme. Je fais du background. ***
Et pour le recueil, allez, tu m'as convaincu. C'est malin, comme si j'avais pas assez à faire entre le boulot, les gosses, Madame Conan et tout le reste ! Encore un et je m'y mets ! Fragments sera un bon titre.
*** Edit : rendons à César ce qui lui appartient, et à Murphy, si tu me lis, l'inspiration que tu me fournis jadis avec tes créations Photoshop : https://ecritoiredesombres.forumgratuit.org/t2457-montages
Re: Instants 1-20
J'ai lu dans la journée mais ai pas pu commenter tout de suite, boulot oblige.
Je rejoins ce qu'en dit Léonox, et pour la 48e et pour le recueil, ça serait super.
Ce que j'aime bien, c'est qu'on sent qu'il s'agit pour toi de poser un contexte pour un projet à venir, mais en même temps, ça passe malgré tout très bien en tant que fragment qui présente, ou plutôt évoque un monde plein de possibilités. Ca a bien marché sur moi en tout cas comme ambiance.
Hâte de voir ce que t'en feras comme projet à présent. Même si ça doit prendre du temps, avec tous ceux que t'as déjà. Surtout qu'un tel univers me parait complexe à créer, ça doit se faire sur du long terme je pense.
J'aime aussi beaucoup le 49e dans l'idée. Mais un peu moins dans la forme. Je veux dire que j'adore le concept de la mémoire génétique comme explication aux mythes et croyances anciens comme modernes. Mais sous forme de fragment, ça m'a moins attiré. Contrairement au 48e, on imagine facilement que tu poses là aussi le contexte pour un projet à venir, mais ça n'a pas libéré mon imagination autant que tes précédents fragments.
Edit : Content de t'avoir inspiré, même si c'est très indirectement et que ces montages doivent même pas représenter 0.05% de ton inspiration.
Je rejoins ce qu'en dit Léonox, et pour la 48e et pour le recueil, ça serait super.
Ce que j'aime bien, c'est qu'on sent qu'il s'agit pour toi de poser un contexte pour un projet à venir, mais en même temps, ça passe malgré tout très bien en tant que fragment qui présente, ou plutôt évoque un monde plein de possibilités. Ca a bien marché sur moi en tout cas comme ambiance.
Hâte de voir ce que t'en feras comme projet à présent. Même si ça doit prendre du temps, avec tous ceux que t'as déjà. Surtout qu'un tel univers me parait complexe à créer, ça doit se faire sur du long terme je pense.
J'aime aussi beaucoup le 49e dans l'idée. Mais un peu moins dans la forme. Je veux dire que j'adore le concept de la mémoire génétique comme explication aux mythes et croyances anciens comme modernes. Mais sous forme de fragment, ça m'a moins attiré. Contrairement au 48e, on imagine facilement que tu poses là aussi le contexte pour un projet à venir, mais ça n'a pas libéré mon imagination autant que tes précédents fragments.
Edit : Content de t'avoir inspiré, même si c'est très indirectement et que ces montages doivent même pas représenter 0.05% de ton inspiration.
Re: Instants 1-20
Ayant pondu... non pas un œuf, malins que vous êtes, un fragment. Je me suis dit que j'allais venir faire un petit tour sur ceux, bien mieux troussés, de Didier.
J'aime bien la 43, je m'y retrouve en enfance. La 44 m'a bien fait marrer. La 48, comme Léo, c'est un bon pitch, un bon univers, à développer.
J'aime bien la 43, je m'y retrouve en enfance. La 44 m'a bien fait marrer. La 48, comme Léo, c'est un bon pitch, un bon univers, à développer.
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