Purple Bar

3 h 36. Je n'arrivais pas à dormir. J'avais chaud. Saloperie de saison. Ma chambre me cuisait à l'étouffée. Des chats miaulaient dans la rue et se battaient. Je crevais de soif. Besoin d'air.
— Bon allez ! Ça me gave ! Je sors !
Je me levai, enfilai t-shirt, jeans, et chaussures. Il devait faire vingt-cinq degrés dehors. Il y avait ce bar à deux pas d'ici. J'avais déjà remarqué qu'il restait ouvert jusqu'à pas d'heure. Un ami m'avait d'ailleurs avoué avoir essayé de « se taper » la serveuse. Mais il avait dû partir en urgence pour un autre rencard. Il se ruait sur toutes les paires de seins à portée de vue. Un vrai drogué du cul. Pourtant, avec tous les râteaux qu'il avait accumulés, il aurait pu ouvrir un commerce. Mais rien ne l'arrêtait. Parfois, ça passait.
Je ramassai mon trousseau sur la table, m'assurai de la présence de ma crapette et d'un peu de monnaie dedans avant de quitter l'appart. Un détour dans la salle de bain pour me rafraîchir la face. Peigne. Brosse à dent. Chewing-gum. Parfum. Déo. Un coup de clé et en route.
La rue était relativement déserte en ce soir d'août. Je marchais tranquillement en direction du bar, en périphérie du centre-ville, sous les lampadaires en fer forgé et fleuris de géraniums lierres. En une dizaine de minutes, j'atterris devant la façade. De l'enseigne en néons émanait une lumière mauve. Le Purple Bar. La dernière lettre clignotait par intermittence. Personne à l'extérieur. Mais un mégot fumait dans le caniveau.
La porte vitrée en son centre laissait deviner le sombre intérieur de l'établissement et l'absence manifeste de clients. Parfait. Je pourrai monopoliser son attention. J'entrai. Le tintement d'une clochette retentit. Le comptoir de marbre jaspé et ses tabourets en cuir longeaient le mur de gauche. En face, flippers électroniques, baby-foots et billard occupait l'espace. Et pourtant, personne pour y jouer. Les toilettes se situaient au bout de l'axe principal du troquet, intégralement plongé dans une atmosphère presque fantasmagorique. Un camaïeu de violet, mauve et parme. Un peu surchargé à mon goût.
— Bonjour, lançai-je à la barmaid qui ne s'était même pas retournée au signal de mon arrivée. 
— Bonjour, me répondit-elle en continuant d'essuyer des verres avec son torchon.
Je progressai vers le tabouret le plus proche d'elle tout en constatant par moi-même la véracité des propos de mon ami. Une belle blonde à chignon. Son jeans moulait parfaitement bien les reliefs de son fessier de sportive et son haut s'ouvrait au carré jusqu'à la moitié de son dos pour s'arrêter au niveau des lombes. Sans parler de sa taille de guêpe. Je pris place.
— Je prendrai une Ruby, s'il vous plaît. 
— Ça marche ! 
— C'est surprenant que vous soyez encore ouvert à cette heure.
— En fait, on fait que des nuits.
— Ah, ouais ? C'est pas commun ça. 
— De temps en temps, on organise des partouzes pour les habitués ou des parties de poker pour le fun. Mais pas d'argent. On veut pas d'emmerdes.
— Quoi ? Des partouzes ? Sérieusement ? relevai-je, les yeux écarquillés.
Je contemplai la finesse de ses traits et le bleu métallique de ces yeux lorsqu'elle me servit la Leffe sans l'avoir décapsulée au préalable. Car elle l'était déjà. Peut-être ne l'avais-je pas vu faire, mon attention ayant été sans cesse détournée par son superbe cul. Il n'avait pas menti. J'en pris deux goulées.
— Qu'est-ce que ça fait du bien. Elle a un petit goût différent. Un chouia plus amer.
— C'est normal, on rajoute un petit quelque chose. C'est ce qui fait la réputation du Purple. Un aphrodisiaque.
Elle posa ses coudes sur le bar, exposant alors son décolleté très plongeant. Elle se mordillait la lèvre.
— Et ces touzes, tu y participes ? tentai-je, en adoptant la méthode directe.
— Ouais, j'adore ça. Dépêche-toi de finir ta bière et je te montre l'arrière salle.
— Sérieux ? m'étonnai-je, un sourire esquissé d'une oreille à l'autre, avant d'avaler cul-sec le reste de ma Ruby, en me foutant royalement du goût. 
Elle aurait pu me donner de la pisse, je crois que je l'aurais pu comme de l'eau. Quel crevard j'étais.
— Allez, viens. Je te montre, dit-elle en indiquant le fond du bar, voilé d'un rideau, juste à côté des toilettes.
— T'as des capotes ? 
— A ton avis. En faisant des touzes, forcément qu'on est équipé. C'est même obligatoire.
Nous nous rejoignîmes au niveau du rideau, qu'elle tira. Il cachait un coffrage en bois. Elle passa la main dans une encoche secrète et j'entendis cinq bips puis un sixième de validation. Un bruit sec confirma l'ouverture de l'accès. Elle poussa le coffrage et la porte mystérieuse. 
Elle m'attrapa le poignet et m'attira dans l'ambiance tamisée. Une grande pièce violette, munie de matériel S.M. en ces quatre coins, s'ouvrit à nous. Une seconde porte existait. Elle rabattit le coffrage et nous enferma. Un verrouillage automatique s'enclencha.
— Et celle-là, elle donne sur quoi ? m'enquéris-je, curieux et excité. 
— La salle de poker. Mais c'est pas ça qui t'intéresse hein ? dit-elle, paume sur le sein.
Elle se tourna, colla son dos à moi et se mit à se dandiner. Tandis qu'elle faisait monter la température, je commençais à me sentir bizarre, vaseux. Ses phalanges couraient sur mon sexe, par-dessus le jeans. Elle ne devait pas être déçue de l'effet qu'elle produisait sur moi. Je ne pouvais pas rater une telle occasion, aussi me mis-je à mon tour à balader mes doigts sur son corps, sur sa poitrine. Mais mon état empira rapidement. J'interrompis les préliminaires et la repoussai délicatement, pour ne pas saboter ma chance.
— Excuse-moi, mais... Je sais pas... Je me sens pas bien. Comme si j'allais tomber dans les pommes. C'était quoi dans la bière ?
— Ah ?! Ça fait ça des fois à certaines personnes. Attends, je vais appeler mon boss. Il a un autre truc pour stopper l'effet.
Sa prononciation avait changé. Un accent jusqu'alors inexistant se dégageait.
— C'était...quoi... dans...
Je ne parvins même pas à finir ma phrase. Mes jambes s'affaissèrent et je me retrouvai allongé au milieu de la salle, au bord de l'inconscience. La barmaid s'éloigna et utilisa un interphone que je n'avais pas remarqué. Elle se mit à parler en russe. Aussitôt, une armoire à glace en costume noir pénétra la pièce, prit la serveuse par les hanches et l'embrassa en lui glissant quelques mots à l'oreille. 
— Otlichnaya rabota*, Tatiana, lui dit-il en lui discernant une tape amicale sur les fesses, en guise de récompense.
Il s'approcha et pencha son visage carré et balafré sur moi. Je me sentais partir. J'étais paralysé. Une poignée de mots distincts précéda ma pâmoison. Il roulait les « R ».
— Sois fier de ton don d'organes, mon ami.