HELL(O)

« Toi, trouduc Jean Leblanc Demonfion, tu bois ta pisse, tu manges ton caca et en plus tu te manges toi-même ! Enfoiré ! »
Jaune sur fond noir, chaque mot m’assassine. Je sens qu’on veut ma peau, qu’ils ont la haine. Dans cet endroit puant, c’est la règle générale : se défouler sur les autres. On ne risque rien à envoyer ce genre de conneries anonymes ou des photos cochonnes : c’est même recommandé. Ça suinte le vice.
On m’insulte via des écrans géants, visibles par tout le monde.
Depuis ce matin... Je suis la cible. Je m’enfuis bêtement au centre-ville, les battements de mon cœur amplifiés. L’issue, je la connais trop bien car j’ai déjà vu de quoi ils sont capables. Pour eux, c’est une chasse à l’homme.
La panique m’empêche de me concentrer. Je dégringole en bas d’un escalier. Je m’affale sur des pointes qui dépassent du sol. Il y en a beaucoup. Foutu trou du cul du monde. Je me vide.
Ils vont rappliquer...
***
J’ai rien fait, je ne sais pas pourquoi on m’en veut à ce point. Je ne me souviens pas comment je suis arrivé là – peut-être après mon accident ? – pourtant ma famille est menacée. Mes p’tits gars se font traiter de tarlouze. Ça me rend dingue ! Le pire viendra ! Ils vont défoncer notre porte, mettre à exécution un plan infernal : les violer de la pire manière ! Quant à Bella, ma chérie, soi-disant une sorcière, elle risque gros. Je ne veux pas assister au châtiment atroce, entendre leurs cris.
Je déteste l’ambiance pourrie qui règne par ici !  Les sadiques, ils se délectent des saloperies balancées, affamés qu’ils sont de vengeance gratuite. Personne n’est à l’abri. Aujourd’hui, moi. Demain, ce sera vous ? Si jamais vous vous perdez chez ces tarés !
Je déteste le ciel sanguinolent au-dessus. Comme un immense tampon usagé, il déverse ses menstrues sur nos têtes. Putain de matière rouge dégueu ! Elle me bouffe la peau, me rend poisseux.
***
Impossible de se cacher. Jamais je n’aurai choisi un endroit pareil !  J’ai été obligé. La bulle de verre où nous créchons est un piège. Les allers et venues de chacun n’échappent pas à la vigilance de ces malades qui nous surveillent en permanence.
Impossible de s’enfuir. Mon quartier, construit sur une base circulaire est entouré de murs translucides d’une hauteur vertigineuse, lisses et infranchissables. Un matériau semblable façonne nos bâtiments publics et privés.
Tous les logements ont des parois transparentes : les toilettes, les chambres aussi. On s’observe jour et nuit.
Mes abrutis de voisins me guettent sans cesse. Ils en bavent de me voir à poil.
***
J’en peux plus. À bout de force, je ralentis la cadence infernale. Planté au milieu de vers grouillants, je consulte mon phone 9. Il est rempli de mots haineux. Je les supprime. Ils reviennent toutes les dix secondes. Où sont mes enfants, ont-ils pris la fuite ? Ma femme ? Je ne parviens pas à stopper mes tremblements désordonnés.
Ils me suivent, me transpercent de leur mépris. Derrière chaque fenêtre, on me surveille. Je rampe devant le centre commercial. Un photomontage apparait partout : ma gueule de con sur un tronc nu, obèse, le sexe dressé.
Impossible de se noyer. Tous les cours d’eau ont gelé sur décision de je ne sais qui.

Ils m’entourent. L’un d’eux me plante une seringue dans le cou. Je sombre.
Maintenant, on me jette par terre. Je reconnais l’édifice : Le Cirque. Là où ont lieu les Jeux. Tout va très vite. Les gradins se remplissent, les projectiles pleuvent. Un couteau me déchire la joue droite. Mes fils attendent nus. Je les vois au loin. Les yeux baissés, ils se tordent les mains. Puis, ils se jettent l’un contre l’autre, se griffent, se mordent comme devenus fous ! Le liquide qu’on m’a injecté, qu’est-ce que c’est ? Une drogue ? Vais-je les démolir, la chair de ma chair ?
Je sursaute : une femme arrive, il lui manque la moitié du visage. Son unique œil n’a aucune expression. Elle ressemble à Bella, si douce.
Brandissant une hache, elle fonce vers moi. De l’écume blanche coule au bord de sa bouche fendue. Elle me saute dessus. Je bascule. Elle frappe plusieurs fois, tranche mes mains. Je suffoque, manque d’air. La douleur saccage ma raison. La furie continue.
Des spectateurs sans visage viennent se mêler à cette fête du sang. Ils me tabassent copieusement. Les poings, les pieds cognent mon visage. Je deviens une plaie vivante. Je hurle sous la violence des coups. Mes os craquent. Bella sectionne mes bras et mes genoux.

Ils enfoncent des morceaux de mon corps au fond du gosier. Je les vomis. Ils recommencent avec un entonnoir à gaver les oies. Mon estomac se dilate. Il éclate. Je m’évanouis.
Je dois mourir mais réalise que c’est impossible. Le produit de la seringue m’en empêche : il me donne la sensation de renaître. Dans une souffrance inouïe. Ma mémoire jaillit : j’ai tabassé Bella et lui ai balancé de l’acide. J’ai massacré ma famille et tant d’autres. J’ai oublié le reste. Ce sera la prochaine fois.
Ils peuvent me torturer à nouveau. Je suis déjà mort !