Juge et partie
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Juge et partie
En partant pour Bruxelles, j’étais loin de me douter que j’allais vivre une expérience insensée. Et pourtant cela m’’est vraiment arrivé. Je n’ai pas l’habitude de tourner autour du pot. Sans faire d’effets de manche, ni marcher sur la lune, je dois avouer que j’ai eu moi-même la sensation que je me racontais des histoires à dormir debout. Pourtant je suis pragmatique et non sujette aux rêves, quels qu’ils soient.
Je fus emmenée dès mon appel d’urgence par les policiers belges qui ont constaté que je disais vrai. Impressionnés par ma fonction de juge d’instruction, ils ont pris des gants au début de mon interrogatoire. Je me trouvais, par la force des choses, sur la chaise occupée habituellement par le suspect. Or, la victime c’était moi à n’en pas douter. J’essayai avec toutes les précautions d’usage de leur faire admettre la vérité. Mais était-ce une vérité ou un canular miteux et grossier ?
Lorsque le brigadier me pria de raconter les évènements, j’en fus tout d’abord incapable. La gorge sèche, le cœur battant, je récapitulai mentalement le déroulement de cette sale journée. Puis je répondis aussi bien que je pus aux questions habituelles. Je remarquai néanmoins, malgré la déférence polie et glacée utilisée à mon égard, que la nature des questions devenait pernicieuse. J’étais sur mes gardes. Je n’avais jamais ressenti un tel malaise ni une telle angoisse.
Le policier revenait sans arrêt sur le fait que Gabriel, mon mari d’origine libanaise, avait bel et bien disparu. Aucune trace de lui ni dans les avions en partance de Bruxelles, ni dans les hôtels de la ville. Ses effets s’étaient également volatilisés. Que penser sinon que je m’étais débrouillée pour qu’il sorte du territoire avec de faux papiers. Mais protestai-je, pourquoi aurait-il eu besoin de s’enfuir et qui plus est au Liban ? Je fus consternée à cet instant précis par le rire désabusé de mon vis-à-vis. L’actualité, il est vrai, nous harcelait tout le temps avec ces histoires de prises d’otages et d’embrigadement dans les rangs des islamistes. Je ne pouvais tout simplement pas adhérer à cette éventualité présentée comme une réelle possibilité.
La journée s’écoula de la sorte. Dialogues de sourds, impatience de l’enquêteur, refus de ma part d’accepter de signer quoi que ce soit. Un avocat ? Non je n’étais pas accusée. Mais qu’était-il arrivé à Gabriel ? Où se cachait-il ? Des questions sans réponse. Délire kafkaïen. Je me perdais dans un dédale d’hypothèses toutes plus saugrenues les unes que les autres.
Je fis remarquer que notre venue à Bruxelles ne signifiait pas une fuite vers le Liban. Nous serions partis de Roissy. Cet argument donna du fil à retordre aux policiers. Quel intérêt aurions-nous eu de décoller de Bruxelles ? Pour la énième fois, je répondis par la négative lorsque la même question revenait sur les lèvres du brigadier. J’ajoutai que j’ignorais tout du sort de mon mari. Je ne l’avais pas tué. Je me perdis en conjectures toutes plus insensées les unes que les autres. Eu égard à ma qualité de magistrat, on me libéra en fin d’après-midi, avec la recommandation de ne pas quitter l’hôtel. Je dinai dans ma chambre en picorant les mets insipides du plateau repas. Je m’endormis pesamment assommée par un somnifère puissant que je m’administrai.
Vers minuit, j’ouvris les yeux. La migraine enserrait mon front. Je demeurai immobile dans l’obscurité en tâchant de chasser mes sombres pensées. Peine perdue : impossible de trouver le sommeil. Je tentai d’allumer la petite lampe posée sur un meuble d’angle. Elle ne marchait pas. Je me souvins alors de l’avoir faite choir sur le sol quand j’avais trébuché sur le tapis. Je mis en marche le plafonnier de l’entrée de la chambre.
Lorsque la lumière éclaira la pièce, je faillis tomber à la renverse ! La valise de Gabriel était à la même place que la veille, ouverte des deux côtés. Je m’avançai jusqu’à son lit. Je ne le réveillais pas. J’ouvris mon ordinateur. La date d’hier s’affichait sur l’écran. Après mûre réflexion, j’en arrivai à considérer que cette incursion dans une dimension parallèle avait eu vraiment lieu et que je n’avais pas rêvé. Au petit matin, Gabriel me demanda si j’avais bien dormi. Je l’embrassai en éludant sa question.
Lorsque nous nous arrêtâmes à Bruges, Gabriel murmura :
_ C’est magnifique ! Mais pour moi le Liban est encore plus beau. Quand ira-t-on ?
_ Attendons encore, si tu veux bien, répondis-je en souriant.
Nous étions des amoureux ordinaires se promenant la main dans la main dans les rues de la Venise du nord.
Rien de plus l
Dernière édition par anouk le Sam 21 Mar 2015 - 17:58, édité 1 fois
Re: Juge et partie
L'idée est intéressante ; le rendu aussi. J'ai apprécié cette narration sobre, sans éclats apparents, mais qui sonne juste.
Je pense que la chute aurait être plus explicitée : elle aperçoit la valise mais pas son mari, ce qui oblige le lecteur à une déduction pas évidente. C'est seulement à la phrase suivante que l'on comprend.
Par ailleurs, qu'en est-il de ses habits du jour fictif ? Ne peut-elle vérifier dans quel état ils sont ? Il y a surement une idée à développer là aussi.
En tous cas, j'ai bien aimé. Merci
Je pense que la chute aurait être plus explicitée : elle aperçoit la valise mais pas son mari, ce qui oblige le lecteur à une déduction pas évidente. C'est seulement à la phrase suivante que l'on comprend.
Par ailleurs, qu'en est-il de ses habits du jour fictif ? Ne peut-elle vérifier dans quel état ils sont ? Il y a surement une idée à développer là aussi.
En tous cas, j'ai bien aimé. Merci
mormir- — Arpenteur des mondes — Disciple de l'arbre noir
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Date d'inscription : 11/05/2013
Age : 60
Localisation : Près de Chartres
Re: Juge et partie
J'ai beaucoup aimé l'idée, on ne voit pas la chute venir et même si on a finalement aucune explication, ça me semble pas vraiment problématique.
Je trouve juste un peu dommage que presque tout soit raconté en narration. C'est très bien écrit, pas de doute. Mais vu l'histoire, écrire en détails et en dialogues les scènes d'interrogatoire nous aurait plongé encore plus dans l'histoire et nous aurait trainé d'une fausse piste à une autre en faisant monter la pression au fur et à mesure.
Je trouve juste un peu dommage que presque tout soit raconté en narration. C'est très bien écrit, pas de doute. Mais vu l'histoire, écrire en détails et en dialogues les scènes d'interrogatoire nous aurait plongé encore plus dans l'histoire et nous aurait trainé d'une fausse piste à une autre en faisant monter la pression au fur et à mesure.
Re: Juge et partie
Merci
Ce texte au fantastique suggéré sera intégré dans mon prochain recueil de nouvelles en cours d'édition
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