Les maléfices de Nicolas [jeunesse]

« Quiconque aime une grenouille en fera une déesse »
A vrai dire, maintenant qu’il avait l’âge de raison, il devait se comporter comme un jeune homme. La frimousse auréolée de cheveux bruns et ondulés, Nicolas était en train de se brosser les dents tout en réfléchissant aux inconvénients d’avoir sept ans révolus et remarqua une fois de plus que la glace se constellait d’étoiles blanches, formant une voute céleste sans repère précis. Inutile de chercher la grande ourse ni l’étoile du berger !

De bon matin, il attendait l’autocar poussif qui le déposerait en ville. Il y avait dans l’air quelque chose d’imperceptible évoquant l’automne. Bientôt les feuilles des arbres roussiraient  puis tomberaient au sol en un vol plané léger et gracieux.  

Nicolas ne parlait pas. Son regard brillait d’intelligence mais ses lèvres ne formulaient aucun son. Il entendait parfaitement, seule lui manquait la parole. Aussi était-il assez solitaire et contemplatif. Le nez collé à la vitre de l’autobus, il trouvait toujours un intérêt au paysage qui défilait sous ses yeux. Sa maitresse était aussi douce que sa maman avec ses grands yeux bleus plein de tendresse. Il comprenait tout au quart de tour et réalisait des prodiges en matière de dessin et de confection d’objets. Ainsi, mettait-il en ce moment la dernière main à une baguette fine et rigide qu’il ornait au pinceau de couleurs chatoyantes. Ce serait son jouet fétiche, il avait bien l’intention de le garder toujours près de lui. Il savait parfaitement qu’il ne pouvait pas se transformer en fée, étant un garçon. Mais pourquoi ne pourrait-il pas ressembler à l’enchanteur Merlin ?  Certes, il ne vivait pas en Bretagne, ni dans la forêt de Brocéliande !

En fait, sa famille habitait en Provence, en pleine campagne. Il n’y avait guère de forêt mais des maquis et des cultures. Dans leur jardin, poussaient la lavande, le romarin, le thym, les lauriers et  les oliviers.  Il avait beaucoup de chance de vivre en plein cœur de la nature. Il ne s’ennuyait jamais ! Tant de choses à observer : suivre, un jour pluvieux, le sillage baveux d’un escargot, surprendre la promenade d’un hérisson, surveiller la progression d’une armada de fourmis chargées comme des mulets, regarder  l’envol des oiseaux en formation serrée aussi régulière que celle de la patrouille de France …

Un mercredi matin, il s’aventura un peu plus loin que la haie de troènes  que son papa avait plantés en soufflant comme un phoque. Armé de sa baguette enluminée, il parcourut les quelques mètres qui le séparait du ruisseau cascadant sur de gros cailloux. Il se posta en faction, immobile, scrutant le cours d’eau.  De petits poissons sautaient et plongeaient dans le minuscule torrent, ayant l’air de s’amuser comme des fous.

Soudain, il sentit une présence et se tourna légèrement. Sur une pierre protubérante près de la rive, une grenouille le fixait en déglutissant avec un drôle de  bruit.  Nicolas s’approcha insensiblement en ne la quittant pas du regard. Il se doutait que le mystérieux batracien cachait quelque chose. Mais quoi ?

- Coa, Coa,  dit la grenouille.
- Qui es-tu ? pensa fortement Nicolas.
- Coa … Je suis …Coa  Coa…  Je suis le Comte de Provence … Coa, Coa ….
- Lequel ? répondit mentalement Nicolas  qui s’y connaissait un peu en histoire de France.
- Le seul, l’unique, celui qui emprisonnait ses ennemis dans des cages et qui fit de la France un royaume unifié !
- Tu es Louis XI ? De qui es-tu le fils ?
- De Charles VII, voyons ! coassa le batracien, indigné de tant de méfiance à son égard.
- Qu’as-tu fait pour être transformé en grenouille ?
- J’ai été un roi puissant, redouté et je paie pour tous les crimes commis sous mon règne.
- Mais il y a si longtemps, c’était en 1400 …. Nicolas laissa la date en suspens pour vérifier si son interlocuteur allait apporter la précision.
- 1461 très exactement à la mort de mon père. Coa coa…
- Et alors, que me veux-tu ?
- Je sais que tu as une baguette magique. Coa, coa !
- Oui, et alors ?
- J’aimerais que tu uses de ton pouvoir pour me sortir de mon état humiliant !
-

---

Mais j’ignore tout de la magie, je ne connais pas les formules…
- Essaie quelque chose, n’importe Coa !
- Bon.  Et que me donneras-tu en échange ?
- Je ferai de toi un homme célèbre, tu ne le regretteras pas, mais seulement .si  tu arrives à me transformer en puissant personnage, Coa,
Je n’aime pas le pouvoir, rétorqua Nicolas sans bouger les lèvres.
- Alors, que désires-tu le plus au monde, Coa, Coa ?
- Je voudrais que ma maman reste toujours jolie et en bonne santé et          et que  mon papa soit toujours aussi fort, même s’il souffle comme un         un phoque !
- Tu ne veux rien d’autre, de l’argent, la parole, Coa, Coa ?
- Non, car le silence est d’or. Je n’ai pas besoin d’argent, affirma Nicolas.
- Mais l’argent assurera ta puissance, tu pourras faire ce que tu veux. Coa, Coa.
- Non, l’important pour moi, c’est de garder ceux que j’aime toute ma vie. Il y a aussi ma grande sœur Julie. La grenouille ne broncha plus et sembla se recueillir au tréfonds d’elle-même. Nicolas respecta sa méditation et ne l’interrompit pas.  Le batracien semblait mettre à profit l’or du silence.  

Quelques jours après, il retourna en grand secret au bord du ruisseau et attendit que son amie vienne le retrouver. Il admirait sa baguette entièrement terminée, scintillante de couleurs dans la lumière de l’après-midi. Dans ses yeux miroitait le plaisir de l’ouvrage bien fait. Elle était légère dans sa main et il

ne la quittait pas. Soudain, il entendit un léger bruissement d’herbe foulée et Louis XI fut là, royal batracien, assis non sur un trône mais sur un galet très plat.

- Bonjour, Majesté ! Comment allez-vous aujourd’hui ? émit mentalement Nicolas.
- Coa, coa, ça peut aller, mon cher garçon. Alors as-tu réfléchi ? Avez-vous testé votre morceau de bois magique ? lui demanda la grenouille.
- Cela s’appelle une baguette ! Et je ne sais pas si elle est magique.
- Alors, petit Nicolas, je serai votre cobaye. Coa, coa…
- Souhaitez-moi bonne chance,  Majesté !
- Bonne chance, mon petit Nicolas !

Cette phrase éveilla en lui un écho familier mais il ne put en trouver la source. Très concentré, alors que Louis XI avait hâte de se matérialiser, Nicolas prononça les mots ensorcelés empruntés à Merlin l’Enchanteur. Un charabia indescriptible s’ensuivit. Tout en fixant la baguette dirigée vers la grenouille, il s’aperçut que cette dernière devenait bizarrement floue. Une sorte de vapeur l’environnait.

- Majesté, vous êtes toujours là ? demanda Nicolas, troublé.

Un vagissement se fit entendre à l’endroit où trônait la grenouille.  Nicolas s’approcha.

Quelle ne fut pas sa stupeur de trouver un nouveau-né tout rose, enveloppé de linges blancs d’un autre âge, couché dans un minuscule berceau en bois posé sur le large galet près du ruisseau. L’enfant avait faim visiblement. Nicolas l’emporta chez lui. Stupéfaite, sa mère lui demanda des explications. Il prétendit avec force gestes que le petit bébé était le roi Louis XI ! Inutile de préciser que, de l’avis général, ses chimères lui avaient embrouillé les idées ! Personne ne crut à cette version des faits.

Lorsqu’une assistante sociale arriva pour emmener le bébé, celui-ci regarda Nicolas et lui dit adieu à sa façon.

- Coa, coa !

Seul Nicolas savait ce que cela signifiait : Louis XI le remerciait et lui assurait que son vœu se réaliserait.

Un sourire de bonheur illumina son visage et il se serra dans les bras de sa maman qu’il garderait toujours près de lui ainsi que son père et Julie, sa grande sœur.

En conclusion, Nicolas se dit intérieurement :


UNE GRENOUILLE VAUT BIEN UN ROI






FIN

Un petit conte original et très agréable à lire.
Louis XI en grenouille, la métempsychose a été plutôt clémente avec lui, mais il est vrai que malgré ses vilains défauts, la France sans lui s'appellerait peut-être aujourd'hui la Bourgogne.
J'ai aussi noté que Nicolas était très calé en Histoire pour son âge, mais je crois que c'est une constante dans la littérature pour la jeunesse : les enfants y sont beaucoup plus instruits que dans la réalité. Cela tient sans doute à ce qu'ils n'ont pas à gaspiller leur temps pour aller manifester à la place des enseignants.
Content de t'avoir lue.

merci tardivement. C'était passé à l'as !!!

Bonjour !

J'ai beaucoup aimé ce petit conte, néanmoins, je trouve la fin un peu naïve : comment Nicolas peut-il être sûr que son vœu sera exaucé ? Je n'ai pas eu l'impression que la grenouille possédait des pouvoirs magiques, ni qu'elle en ait fait la démonstration. Comment la baguette en bois a-t-elle pu transformé la grenouille en bébé, ça aussi c'est un peu mystérieux. Je veux bien que ce soit un récit pour enfants, mais il ne faut que ça trop incohérent non plus.

À part ça, c'est très mignon.   

La magie de l'écriture, ma foi, et sa liberté, peut enfreindre les lois physiques mais gageons que Nicolas, bardé d'une nouvelle confiance en lui-même et empli d'optimisme, saura vaincre tous les obstacles de la vie.
Je reconnais que j'ai déliré sur les pouvoirs maléfiques des fées et de la baguette magique, mais pourquoi pas ? Rêvons d'un monde où tout est possible !
lol
Merci pour ta lecture constructive.
  

Tu as raison, tout est possible Je faisais juste la remarque parce que le début de l'histoire est très réaliste, et qu'on ne sait même pas si Nicolas croit en la magie. La magie est amenée de manière assez brutale, soudaine, et c'est ça qui me gêne plus que le fait qu'elle existe. Tu vois ?

gageons que Nicolas, bardé d'une nouvelle confiance en lui-même et empli d'optimisme, saura vaincre tous les obstacles de la vie.

Oui, pourquoi pas ! ^^ C'est peut-être une autre forme de magie !