La légende de Tonklar'Kash /7
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La légende de Tonklar'Kash /7
Tonklar'Kash se mourait !
La nouvelle fut un coup de poignard dans le coeur des petits êtres. La stupeur et le désarroi le plus complet s'abattirent sur eux.
Tonklar'Kash, leur enfant, leur frère ! Celui à qui tous ici devaient la vie ! Cette montagne d'assurance placide et bienveillante au seuil de la mort ? Impossible !
De sa voix brisée, Tokhat'Myhal poursuivit :
-- Depuis la conjonction, il ne répond plus à mes appels. Et, pendant trois jours, je n'ai pas compris... (Un rictus amer déforma sa bouche.) Je n'ai pas voulu comprendre qu'en dépit de sa prodigieuse puissance mentale, il ne parvenait pas à vaincre cette engeance putride qu'il retient en lui et qui le dévore. (Un sanglot lui noua le gorge.) Il se laisse mourir avec eux pour nous sauver ! Il se sacrifie pour nous ! Mes amis, je vous en supplie ! Nous devons le secourir !
Il n'y eut qu'un cri dans la foule :
-- Parle, Tokhat'Myhal ! Que lui faut-il ? Que pouvons-nous faire ?
Un soupçon de vie parut revenir dans l'attitude voûtée du vieillard.
-- Comme vous le savez tous, Tonklar'Kash vient d'un autre monde, au-delà du temps et de l'espace. Or les univers sont des organismes vivants et, en tant que tels, ils tendent à rejeter les éléments étrangers qui viennent à s'introduire en eux. La résistance de Tonklar'Kash est immense mais certaines forces cosmiques dans lesquelles il pourrait puiser à son avantage dans son univers lui demeurent chez nous à jamais hostiles ou inaccessibles. Et aujourd'hui, mes frères, il a besoin de ces forces... un besoin désespéré !...
-- Veux-tu dire, intervint Hacof'Rhibas, que, pour qu'il ait une chance de survivre, il nous faut à tout prix le renvoyer chez lui et, peut-être... nous résoudre à ne jamais le revoir ?
Incapable d'articuler sa réponse, le vieil ermite acquiesça lourdement de la tête.
Un long silence s'installa.
-- Par la chevelure sacrée de Sygma'Hel la Sombre ! lança quelqu'un. Si nous laissions mourir Tonklar'Kash, nous serions pires que des wangs !
Un grondement parcourut la foule.
-- Ordonne, Tokhat'Myhal ! Ordonne, nous t'écoutons !
Et le vieil ermite parla.
Oh, ses ordres étaient simples : "Que le plus grand nombre de gnomes se rassemblent le plus tôt possible et par n'importe quel moyen sur les flancs du grand lac rouge !"
Mais leur exécution déchaîna le plus ahurissant remue-ménage qu'ait connu le continent des petits êtres.
Les grands maîtres de Jorydann, pour alerter leurs homologues des autres cités, recoururent aux méthodes occultes et instantanées réservées aux urgences. Meeswit'Shnaël et ses soeurs de l'école de sorcellerie dévalisèrent les fabriques de balais et organisèrent des navettes volantes. Les magiciens contactèrent les ombrageux chamans des tribus nomades qui savaient parler aux esprits des animaux et d'invraisemblables moyens de transport virent le jour.
D'Alliaghic et de Khoaren arrivèrent des attelages de lézards cerviers, de poules sauteuses, d'escargots rouleurs ou de cochons baveux. On suspendit des nacelles au condors annelés ou sous des filets emplis de méduses migratoires. On vit des gnomes débarquer à dos de sextimanes bien sûr, mais aussi de bichons-garous, de grues girafes ou de limaces à poil long. Des anguilles câlines, des dauphins mantas, des manchots goulus remorquèrent des radeaux surchargés de gnomes depuis Siantraël.
Cette frénésie d'exode ne prit fin que dix jours plus tard, lorsque, sur la rive du lac rouge, Tokhat'Myhal, contemplant les dizaines de milliers de petits êtres agglutinés sur les flancs translucides de l'énorme cratère, estima l'heure venue et leva un bras impérieux.
Tous se turent aussitôt et se levèrent en silence.
Il était midi juste.
Les dents serrées, le vieil ermite entama alors, avec une énergie farouche, l'hallucinante cérémonie qui permettait de déchirer le rideau tu temps et de l'espace.
Je ne reviendrai pas sur le caractère atroce et démoniaque de ce rituel car, par-delà l'aspect maléfique, c'est la douleur et la tristesse qui constituaient la note dominante.
Dans le fracas surhumain du sol martelé dont l'écho sourd se propageait jusqu'aux marches orientales, les plus infâmes incantations prenaient l'apparence de supplications. Les invocations n'étaient plus que larmes, prières et déchirements. Est-ce pour cela que, si le ciel s'ouvrit, ce ne fut pas comme une plaie de souffrance ? Je ne saurais dire, n'étant guère versé en ces arts.
Au zénith, le clair orangé de l'atmosphère frissonna, se troubla comme la surface d'un étang sous la brise, et un cercle de nuit apparut. Un disque noir piqueté d'étoiles inconnues, un trou d'espace obscur dont le diamètre s'accrut rapidement, repoussant et dévorant le jour lumineux de Mtuglaë.
Comme une monstrueuse éclipse, les ténèbres de l'autre cosmos envahirent jusqu'à la moitié du ciel des gnomes avant de se stabiliser.
Et dans le silence angoissé qui était tombé s'éleva la voix frêle de Tokhat'Myhal.
-- Va-t-en ! hurla-t-il à l'adresse du cerveau géant. Va-t-en, mon petit ! Vite !
La montagne vivante frémit sur sa base... mais ne s'éleva pas d'un centimètre.
Tokhat'Myhal se tordait les poignets.
-- Allez, gamin ! Mais bouge-toi donc ! implora-t-il. Fais un effort !
Là-haut, la tache d'obscurité commençait déjà sa lente régression.
-- Mais dépêche-toi, Tonklar'Kash ! Va, petit ! Va ! Va !
Alors, l'anxiété fébrile du vieil ermite se mit à gagner les gnomes.
-- Va ! Va ! commencèrent à scander certains.
Et une fièvre frénétique s'empara de la foule.
-- Va ! Va ! Va ! s'époumona le petit peuple en serrant les poings.
Chaque encouragement déferlait comme un raz-de-marée, tandis que l'immense cercle de nuit continuait de se rétrécir.
-- Va ! Va ! Va ! rythmaient les milliers de gosiers réunis en une seule et fantastique voix qui roulait, grondait et hurlait comme un ouragan entre les envoûtantes parois de cristal. Va ! Va ! Va !
Tonklar'Kash était agité de tremblements spasmodiques. Toute sa formidable masse vibrait comme un nerf hypertendu.
-- Va ! Va ! Va ! Va!
De longues flammèches bleu pâle fulgurèrent soudain et de prodigieux arcs électriques sillonnèrent ses gigantesques lobes...
Et le titan s'arracha du lac, pesamment, irrésistiblement.
Et plus il prenait de la hauteur, plus le rythme du choeur tonitruant s'accélérait :
-- Va ! Va ! Va !...
Juste avant d'aborder cette zone frontière indéfinissable où l'espace n'était plus celui de Mtuglaë mais pas encore celui de l'autre univers, le cerveau géant sembla hésiter, oscillant dangereusement.
-- Mais qu'attends-tu ? glapit Tokhat'Myhal. File, imbécile ! Mais file donc !
Le dieu vivant se stabilisa. Un souffle chaleureux mêlé de tristesse passa fugitivement dans l'esprit de tous les petits êtres puis, reprenant de l'altitude, l'hyper encéphale franchit l'impondérable passage et l'on put suivre des yeux son ascension de longues minutes encore avant que la faille inter-spatiale ne se referme.
Définitivement.
Hlacof'Rhibas ôta sa cape de conseiller et en enveloppa délicatement les épaules du vieil ermite qui restait prostré à genoux, la tête dans ses mains.
-- Tokhat'Myhal, tu es notre ami, dit-il. Je sais que notre peine, si grande soit-elle, n'est rien en regard du chagrin qui déchire ton coeur, mais garde confiance... Il reviendra.
Le Chenu s'ébroua et leva un oeil désabusé.
-- Comment as-tu pu devenir conseiller en mentant aussi mal ? marmonna-t-il en redressant péniblement sa maigre carcasse.
Puis il ajouta :
-- Halcof', s'il ne revient pas, j'irai le chercher.
Le conseiller lui passa le bras autour des épaules.
-- En ce cas, nous irons ensemble, affirma-t-il doctement en entraînant son ami vers le long chemin du retour.
-- Et tu t'imagines que ta femme sera d'accord ?...
La suite se perdit dans un éclat de rire.
La nouvelle fut un coup de poignard dans le coeur des petits êtres. La stupeur et le désarroi le plus complet s'abattirent sur eux.
Tonklar'Kash, leur enfant, leur frère ! Celui à qui tous ici devaient la vie ! Cette montagne d'assurance placide et bienveillante au seuil de la mort ? Impossible !
De sa voix brisée, Tokhat'Myhal poursuivit :
-- Depuis la conjonction, il ne répond plus à mes appels. Et, pendant trois jours, je n'ai pas compris... (Un rictus amer déforma sa bouche.) Je n'ai pas voulu comprendre qu'en dépit de sa prodigieuse puissance mentale, il ne parvenait pas à vaincre cette engeance putride qu'il retient en lui et qui le dévore. (Un sanglot lui noua le gorge.) Il se laisse mourir avec eux pour nous sauver ! Il se sacrifie pour nous ! Mes amis, je vous en supplie ! Nous devons le secourir !
Il n'y eut qu'un cri dans la foule :
-- Parle, Tokhat'Myhal ! Que lui faut-il ? Que pouvons-nous faire ?
Un soupçon de vie parut revenir dans l'attitude voûtée du vieillard.
-- Comme vous le savez tous, Tonklar'Kash vient d'un autre monde, au-delà du temps et de l'espace. Or les univers sont des organismes vivants et, en tant que tels, ils tendent à rejeter les éléments étrangers qui viennent à s'introduire en eux. La résistance de Tonklar'Kash est immense mais certaines forces cosmiques dans lesquelles il pourrait puiser à son avantage dans son univers lui demeurent chez nous à jamais hostiles ou inaccessibles. Et aujourd'hui, mes frères, il a besoin de ces forces... un besoin désespéré !...
-- Veux-tu dire, intervint Hacof'Rhibas, que, pour qu'il ait une chance de survivre, il nous faut à tout prix le renvoyer chez lui et, peut-être... nous résoudre à ne jamais le revoir ?
Incapable d'articuler sa réponse, le vieil ermite acquiesça lourdement de la tête.
Un long silence s'installa.
-- Par la chevelure sacrée de Sygma'Hel la Sombre ! lança quelqu'un. Si nous laissions mourir Tonklar'Kash, nous serions pires que des wangs !
Un grondement parcourut la foule.
-- Ordonne, Tokhat'Myhal ! Ordonne, nous t'écoutons !
Et le vieil ermite parla.
Oh, ses ordres étaient simples : "Que le plus grand nombre de gnomes se rassemblent le plus tôt possible et par n'importe quel moyen sur les flancs du grand lac rouge !"
Mais leur exécution déchaîna le plus ahurissant remue-ménage qu'ait connu le continent des petits êtres.
Les grands maîtres de Jorydann, pour alerter leurs homologues des autres cités, recoururent aux méthodes occultes et instantanées réservées aux urgences. Meeswit'Shnaël et ses soeurs de l'école de sorcellerie dévalisèrent les fabriques de balais et organisèrent des navettes volantes. Les magiciens contactèrent les ombrageux chamans des tribus nomades qui savaient parler aux esprits des animaux et d'invraisemblables moyens de transport virent le jour.
D'Alliaghic et de Khoaren arrivèrent des attelages de lézards cerviers, de poules sauteuses, d'escargots rouleurs ou de cochons baveux. On suspendit des nacelles au condors annelés ou sous des filets emplis de méduses migratoires. On vit des gnomes débarquer à dos de sextimanes bien sûr, mais aussi de bichons-garous, de grues girafes ou de limaces à poil long. Des anguilles câlines, des dauphins mantas, des manchots goulus remorquèrent des radeaux surchargés de gnomes depuis Siantraël.
Cette frénésie d'exode ne prit fin que dix jours plus tard, lorsque, sur la rive du lac rouge, Tokhat'Myhal, contemplant les dizaines de milliers de petits êtres agglutinés sur les flancs translucides de l'énorme cratère, estima l'heure venue et leva un bras impérieux.
Tous se turent aussitôt et se levèrent en silence.
Il était midi juste.
Les dents serrées, le vieil ermite entama alors, avec une énergie farouche, l'hallucinante cérémonie qui permettait de déchirer le rideau tu temps et de l'espace.
Je ne reviendrai pas sur le caractère atroce et démoniaque de ce rituel car, par-delà l'aspect maléfique, c'est la douleur et la tristesse qui constituaient la note dominante.
Dans le fracas surhumain du sol martelé dont l'écho sourd se propageait jusqu'aux marches orientales, les plus infâmes incantations prenaient l'apparence de supplications. Les invocations n'étaient plus que larmes, prières et déchirements. Est-ce pour cela que, si le ciel s'ouvrit, ce ne fut pas comme une plaie de souffrance ? Je ne saurais dire, n'étant guère versé en ces arts.
Au zénith, le clair orangé de l'atmosphère frissonna, se troubla comme la surface d'un étang sous la brise, et un cercle de nuit apparut. Un disque noir piqueté d'étoiles inconnues, un trou d'espace obscur dont le diamètre s'accrut rapidement, repoussant et dévorant le jour lumineux de Mtuglaë.
Comme une monstrueuse éclipse, les ténèbres de l'autre cosmos envahirent jusqu'à la moitié du ciel des gnomes avant de se stabiliser.
Et dans le silence angoissé qui était tombé s'éleva la voix frêle de Tokhat'Myhal.
-- Va-t-en ! hurla-t-il à l'adresse du cerveau géant. Va-t-en, mon petit ! Vite !
La montagne vivante frémit sur sa base... mais ne s'éleva pas d'un centimètre.
Tokhat'Myhal se tordait les poignets.
-- Allez, gamin ! Mais bouge-toi donc ! implora-t-il. Fais un effort !
Là-haut, la tache d'obscurité commençait déjà sa lente régression.
-- Mais dépêche-toi, Tonklar'Kash ! Va, petit ! Va ! Va !
Alors, l'anxiété fébrile du vieil ermite se mit à gagner les gnomes.
-- Va ! Va ! commencèrent à scander certains.
Et une fièvre frénétique s'empara de la foule.
-- Va ! Va ! Va ! s'époumona le petit peuple en serrant les poings.
Chaque encouragement déferlait comme un raz-de-marée, tandis que l'immense cercle de nuit continuait de se rétrécir.
-- Va ! Va ! Va ! rythmaient les milliers de gosiers réunis en une seule et fantastique voix qui roulait, grondait et hurlait comme un ouragan entre les envoûtantes parois de cristal. Va ! Va ! Va !
Tonklar'Kash était agité de tremblements spasmodiques. Toute sa formidable masse vibrait comme un nerf hypertendu.
-- Va ! Va ! Va ! Va!
De longues flammèches bleu pâle fulgurèrent soudain et de prodigieux arcs électriques sillonnèrent ses gigantesques lobes...
Et le titan s'arracha du lac, pesamment, irrésistiblement.
Et plus il prenait de la hauteur, plus le rythme du choeur tonitruant s'accélérait :
-- Va ! Va ! Va !...
Juste avant d'aborder cette zone frontière indéfinissable où l'espace n'était plus celui de Mtuglaë mais pas encore celui de l'autre univers, le cerveau géant sembla hésiter, oscillant dangereusement.
-- Mais qu'attends-tu ? glapit Tokhat'Myhal. File, imbécile ! Mais file donc !
Le dieu vivant se stabilisa. Un souffle chaleureux mêlé de tristesse passa fugitivement dans l'esprit de tous les petits êtres puis, reprenant de l'altitude, l'hyper encéphale franchit l'impondérable passage et l'on put suivre des yeux son ascension de longues minutes encore avant que la faille inter-spatiale ne se referme.
Définitivement.
Hlacof'Rhibas ôta sa cape de conseiller et en enveloppa délicatement les épaules du vieil ermite qui restait prostré à genoux, la tête dans ses mains.
-- Tokhat'Myhal, tu es notre ami, dit-il. Je sais que notre peine, si grande soit-elle, n'est rien en regard du chagrin qui déchire ton coeur, mais garde confiance... Il reviendra.
Le Chenu s'ébroua et leva un oeil désabusé.
-- Comment as-tu pu devenir conseiller en mentant aussi mal ? marmonna-t-il en redressant péniblement sa maigre carcasse.
Puis il ajouta :
-- Halcof', s'il ne revient pas, j'irai le chercher.
Le conseiller lui passa le bras autour des épaules.
-- En ce cas, nous irons ensemble, affirma-t-il doctement en entraînant son ami vers le long chemin du retour.
-- Et tu t'imagines que ta femme sera d'accord ?...
La suite se perdit dans un éclat de rire.
(épilogue à suivre...)
Jack-the-rimeur- — — Zonard crépusculaire — — Disciple d'Ambrose Bierce
- Messages : 2415
Date d'inscription : 23/01/2013
Age : 72
Localisation : Narbonne
Re: La légende de Tonklar'Kash /7
Plus l'histoire avance, plus on est captivé, et s'il reste des défauts dans le texte, je ne les vois plus. Ceci dit, après toutes ces élucubrations dantesques, l'humour de la fin paraît un peu décalé, presque trop humain, heu gnomesque
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
- Messages : 1867
Date d'inscription : 28/01/2013
Age : 64
Localisation : Fréjus
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