La césure buissonnière (pour Catherine)

Un peu de technique : Le décasyllabe se coupe en 4/6 ou 5/5, mais l'alexandrin (ou dodécasyllabe - pardon, c'est juste que ce mot va me resservir) ne se coupe qu'en 6/6. Occasionnellement, on tolère le ternaire (4/4/4) : "Je fais souvent / ce rêve étrange / et pénétrant...", mais même là, il faut respecter une séparation de mots à l'hémistiche (entre "rêve" et "étrange" dans l'exemple). O.K. ?
Et puis, un jour où j'avais dû boire un coup de trop, je me suis dis : "Qu'est-ce que ça donnerait si on coupait ce foutu alexandrin en 5/7 ?" Le seul moyen de le savoir était de s'y coller... et ça a donné ce bizarroïde :

La césure buissonnière

Un impair commis en dodécasyllabique,
Et déjà les Purs de sourire avec douceur :
"Quand on n'a, pour art, qu'un modèle de minceur,
On comprend, le pauvre, il faut bien qu'il alambique."

Hors des rails coincés du "fossile" ou du "cubique",
S'ouvre mon sentier sans boussole ni traceur,
M'égarant parfois vers un spleen grave et farceur
Au vernis bleuté d'un fond de gomme arabique.

Il m'emmène voir, aux confins du pays troll
Des sources frémir sur un air de rock and roll,
Des drakkars glisser, noirs sous la lune cerise...

Ami, continue à soigner au minium
Tes émois rouilleux* ou ta rose vert-de-grise,
Et me laisse en paix boire à mon capharnaüm.

* "Rouilleux" n'existe pas. C'est un barbarisme mais comme il dit bien ce qu'il veut dire...
(J'ai eu l'occasion de lire une fois ce bidule en public, dans un de ces "Dîners de Poètes" où je me barbais vraiment trop... Je me suis rassis dans un silence assourdissant. Ah, ce pied, les enfants !...)

Moi la technique en poésie, ça m'intéresse pas du tout.
Je lis et je juge sur ce que cette lecture me procure d'images ou d'émotions et là, ben même si le rythme est un peu biscornu, j'ai eu du plaisir à lire - ça me rappelle cette période où moi aussi j'expérimentais un peu avec la poésie, en me laissant porter par le délire et l'inspiration du moment.

Ami, continue à soigner au minium
Tes émois rouilleux* ou ta rose vert-de-grise,
Et me laisse en paix boire à mon capharnaüm. : ça, c'est du grand art !

Jack, il a la forme, le fond et le style. Jack il est capable de réconcilier avec la poésie ceux qui ont horreur de ça. Et encore une fois, ça marche.

Pour la césure buissonnière, c'est sympa. Les règles classiques, c'est bien, mais nul n'est obligé de s'y enfermer à chaque fois. Les prendre pour les détourner est une autre forme d'exercice, pas spécialement plus facile. Moi j'adhère.

Les Menées de l'extase existent
Ne les sens-tu pas œuvrer
à travers toi
Changeant la nuit en jour
Mêlant le soleil avec la mer

Jim Morrisson
wilderness

Catherine avait tout dit déjà à l'époque, un poème vraiment bien fait et sympathique à lire. Je suis pas spécialiste des règles de la poésie, donc j'aurais jamais remarqué une césure inhabituelle par moi-même, mais j'ai bien aimé le message de ce poème et j'adhère toujours aux mots inventés.

C'est toujours d'un très grand niveau ! Je le sens même si je n'y connais rien... Et des images surgissent ! C'est très fort...