Sacapatates
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L'Écritoire des Ombres :: CONCOURS DE L'ÉCRITOIRE DES OMBRES :: Archives des concours :: Concours N°20 : Enfant, enfance
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Sacapatates
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- Spoiler:
- Sacapatates
C’est un terrain vague à la périphérie de la ville. Un panneau décoloré par les intempéries annonce la construction de la résidence « L’orée du bois », mais les travaux tardent à débuter. Une aubaine pour Lucas et sa petite bande du CE2, Paul, Joël, Kevin, Tom et Stéphane. C’est le terrain de jeu idéal. Ils y viennent souvent après l’école. Ils jouent aux boules, au foot, ou bien à Gilets jaunes contre CRS. Au fond le terrain s’arrête sur le bois, un monde d’ombre, de silence et de bruissements, propice aux aventures qui font battre le cœur plus fort. On peut tout imaginer, dissimulé derrière ces troncs et ces feuillages
C’est là que Lucas a vu l’homme pour la première fois. Une silhouette terne, qu’on pouvait confondre avec un vestige d’arbre mort. Il n’a pas eu le temps d’en voir grand-chose car aussitôt le quidam s’est éloigné avant de disparaître dans l’épaisseur de la végétation.
Depuis, il est apparu plusieurs fois en bordure du bois. Les commentaires de la bande ont fusé :
- T’as vu comme il est habillé bizarre ?
- Tu parles d’un costard, tout déchiré avec plein de trous et de terre.
- Comme un sac de patates
- Tiens, ça sera son nom : « Sacapatates »
- Génial !
Ils ont éclaté de rire mais ils n’étaient pas si rassurés que ça. Preuve, désormais ils évitent le bois. Sauf Lucas, qui est revenu tout seul là-bas. Non qu’il soit plus hardi que les autres, mais parce que ce personnage excite sa curiosité. Il regrette d’avoir ri avec les autres pour « Sacapatate ». Ce n’est pas de sa faute à ce type s’il n’a pas d’argent.
Lucas s’est avancé sans bruit vers le bois, après un instant d’hésitation il a risqué un œil entre les arbres. Il a aperçu l’homme d’assez près pour discerner son visage maigre, sa peau blafarde, ses yeux profondément enfoncées dans les orbites, qui lui donnent un regard halluciné. Ils se sont observés quelques instants puis chacun est parti de son côté.
Lucas l’a revu à plusieurs reprises, toujours à demi caché dans l’ombre, celle des arbres du parc, d’une ruelle en impasse, d’une porte cochère. La dernière fois, il était immobile, plaqué contre le mur d’un hangar désaffecté. Lucas a cru entendre les deux syllabes de son nom, articulées d’une râpeuse voix de crécelle, comme celle de son oncle après son opération de la thyroïde. Il a frissonné de tout son corps, hérissé d’horreur avant de se calmer et de tenter de se rassurer à la pensée qu’il a dû mal entendre, mal interpréter un bruit quelconque. Quand même, il a accéléré le pas, le cerveau en ébullition. L’inconnu le terrifie et le fascine à la fois. Il n’a pas l’air de lui vouloir du mal malgré sa mine peu engageante. A plusieurs occasions ils se sont trouvés ensemble dans des endroits déserts et il n’a pas eu de geste agressif. Peut-être souhaite-t-il seulement lui parler. Lucas brûle de percer son mystère.
Depuis quelques jours Julie, la maman de Lucas s’inquiète du comportement de son fils. A la maison il s’isole dans sa chambre, aux repas il reste muet. Elle repense à la mauvaise période l’an dernier, quand il a appris qu’elle est divorcée et qu’Éric n’est pas son père. Mais c’est du passé, Lucas s’entend très bien avec Éric, quant à Roger, l’ex, son père, il n’en a n’a aucun souvenir.
En ramenant Marion, sa cadette, de la maternelle, Julie fait un détour pour jeter un coup d’œil de loin au terrain vague. Ils sont là tous les six, mais ils ne jouent pas. Ils sont assis en rond et discutent d’un air préoccupé. C’est à ce moment que Marion demande
- Dis maman tu l’as vu toi Sac à pattes ?
- Sac à pattes ? c’est quoi, c’est dans un dessin animé ?
- Mais non, c’est un monsieur en vrai, c’est Lucie qui m’en a parlé. Son frère, Tom, l’a vu, il lui a dit que c’est un secret. Lucie m’a dit pareil.
- Et toi, tu l’as vu ce monsieur ?
- Pas vu, il est pas beau. Il fait peur. La maman de Lucie lui dit que si elle n’est pas sage elle va appeler Sac à pattes. Pas cap, elle aurait trop peur.
Avec Lucas, Julie fait mine de savoir
- La maman de Lucie m’a parlé de ce Sac à pattes…
Lucas fronce les sourcils, et s’exclame
- Sac à pattes, n’importe quoi !
Julie comprend qu’il est à la fois contrarié que le secret soit éventé et soulagé de se confier à sa mère car il poursuit
- C’est Sacapatate qu’il l’appelle, Tom.
Et, devançant la question :
- Parce qu’il a des habits moches avec pleins de trous et de terre.
-Tu l’as vu souvent ?
- Plusieurs fois. C’est toujours dans des coins où il n’y a personne, comme dans le bois ou à côté. Il nous regarde avec des yeux bizarres et il s’en va.
- Et pourquoi tu ne nous en as pas parlé ?
- J’avais peur que vous vous moquiez, que vous me traitiez de froussard.
Il se garde bien de tout raconter. Il ne dit pas qu’en dehors du bois et de ses alentours, il est le seul de la bande à avoir trouvé l’homme sur son chemin.
Le soir, Julie raconte la conversation à Éric, qui s’efforce de la rassurer en disant qu’il s’agit sans doute juste un SDF inoffensif ou de l’un de ces doux dingues dont les gens ont trop facilement tendance à faire des croquemitaines.
C’est le lendemain que Lucas disparait, entre l’école et la maison. Une fois vérifié qu’il ne se trouve pas chez un copain, ni chez des proches, Eric saisit la police. Le Lieutenant qui prend sa déposition ne cache pas son scepticisme. Etrange que les gamins de la bande de Lucas aient été les seuls à voir cet homme.
Malgré tout, la police réalise un portrait-robot à partir des témoignages des enfants. Eric le reçoit par mail. Il appelle Julie. Celle-ci fixe le visage apparu sur l’écran. Elle pâlit, elle balbutie
- Mais…mais c’est…c’est Roger, mon ex mari !
Le couple se précipite au commissariat. Julie raconte comment les choses s’étaient passées avec Roger. Il avait été condamné pour comportement violent avec interdiction de s’approcher de la maison et port d’un bracelet électronique. Il l’avait harcelée au téléphone et par courrier. Il disait qu’il voulait voir son fils, qu’un jour il viendrait le chercher. Mais voilà des années qu’il reste tranquille.
- Un instant Madame, dit le policier penché sur son écran, je regarde dans la base de données… Voilà je l’ai trouvé. En effet il ressemble au portrait-robot. Mais madame il ne vous importunera plus. Il est mort il y a six mois. Suicide.
Julie s’effondre anéantie par un chaos de visions de sépultures béantes, de cadavres pourrissants qui errent dans les rues, et au milieu de ces horreurs, son fils, son Lucas, à la merci d’un prédateur d’outre-tombe…
Mort… Même mort il est venu le chercher.*****
C’était un salaud mais fallait-il qu’il l’aime, son fils, pour imaginer cette solution ultime, se tuer afin de pouvoir l’approcher.
Les morts ne portent pas de bracelet électronique.
Tobermory- Écritoirien émasculé
- Messages : 397
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Age : 72
Localisation : Montpellier
Re: Sacapatates
Tobermory, j'ai cru un instant que tu nous faisais faux-bond ! Merci de ta participation !
Re: Sacapatates
C'est un texte simple mais surprenant ! Il est super bien écrit, bien mené et la conclusion est géniale !
Je me suis demandé tout du long où tu nous emmenais comme ça et j'ai franchement rien vu venir. Bravo !
Je me suis demandé tout du long où tu nous emmenais comme ça et j'ai franchement rien vu venir. Bravo !
Nao76- Écritoirien émérite stagiaire
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Date d'inscription : 26/08/2017
Age : 36
Localisation : Quelque part dans le disque monde
Re: Sacapatates
Merci beaucoup, Nao, pour ce commentaire !
Je commence juste à lire vos textes à toutes et à tous. De belles heures en perspective.
Je commence juste à lire vos textes à toutes et à tous. De belles heures en perspective.
Tobermory- Écritoirien émasculé
- Messages : 397
Date d'inscription : 08/07/2015
Age : 72
Localisation : Montpellier
Re: Sacapatates
Tobermory, bravo pour ce texte, il est court certes, et aurait mérité quelques "complément" dans le sens où certaines parties saurent de l'une à l'autre un peu sommairement, mais il a tout ce qu'il faut pour atteindre son but.
Etonnant d'ailleurs à quel point ta dernière phrase fait toute la différence, car elle colore soudain tout ton récit d'une autre lecture, d'un drâme tout autre. Ca reste simple mais bien trouvé. Il reste quelques erreurs, mots oubliés, etc... donc il faudra surement le bosser un poil plus. Mais ça reste très bon !
Etonnant d'ailleurs à quel point ta dernière phrase fait toute la différence, car elle colore soudain tout ton récit d'une autre lecture, d'un drâme tout autre. Ca reste simple mais bien trouvé. Il reste quelques erreurs, mots oubliés, etc... donc il faudra surement le bosser un poil plus. Mais ça reste très bon !
Re: Sacapatates
Salut Tobermory,
Je rejoins Paulux sur son avis. D'ordinaire, je trouve souvent que les textes gagneraient à être élagués de parties inutiles. Ici, au contraire, il m'a manqué un peu de matière.
Cela dit, tout était là pour comprendre l'histoire, et sa progression. L'idée est bonne et la chute l'est encore plus. On ne s'ennuie pas, un bon moment de lecture.
Je rejoins Paulux sur son avis. D'ordinaire, je trouve souvent que les textes gagneraient à être élagués de parties inutiles. Ici, au contraire, il m'a manqué un peu de matière.
Cela dit, tout était là pour comprendre l'histoire, et sa progression. L'idée est bonne et la chute l'est encore plus. On ne s'ennuie pas, un bon moment de lecture.
Re: Sacapatates
Je rejoindrais Paulux et Trantor sur le fait qu'il manque une certaine fluidité dans la narration, peut-être (et ça y est, je vais ressortir ma vieille obsession ) un peu plus de show que de tell (je dis souvent ça aux autres, mais je sais que 'est pas toujours facile et moi-même souvent j'ai un peu trop de tell dans mes textes). Mais en dehors de ça, c'est une bonne histoire avec une chute surprenante :
- Spoiler:
- que Sacapatates soit le père de Lucas, je l'avais vu venir, mais qu'il soit mort (et la dernière phrase est excellente !), ça a été une surprise !
Dernière édition par Paladin le Sam 7 Mai 2022 - 18:30, édité 1 fois
Re: Sacapatates
Tobermory : j'ai toujours apprécié tes trop rares participations.
J'ai relevé une coquille : "juste un SDF".
"Sacapatates" constitue une belle plongée dans l'univers enfantin, au point que cela m'a remis en mémoire certains souvenirs de gamin. Ici, l'atmosphère est fondamentale et j'y ai été plus sensible qu'au retournement final, peut-être un peu trop explicite à mon goût.
Une excellente participation.
J'ai relevé une coquille : "juste un SDF".
"Sacapatates" constitue une belle plongée dans l'univers enfantin, au point que cela m'a remis en mémoire certains souvenirs de gamin. Ici, l'atmosphère est fondamentale et j'y ai été plus sensible qu'au retournement final, peut-être un peu trop explicite à mon goût.
Une excellente participation.
Blahom- —Adorateur du (mauvais) genre— Chuchoteur dans les ténèbres
- Messages : 2383
Date d'inscription : 02/10/2013
Age : 56
Localisation : Sud-Est
Re: Sacapatates
Une histoire classique mais rondement menée et bien mise en scène. Le côté enfantin du surnom Sacapatates associé au visuel glauque du personnage est excellent et n'a rien à envier aux légendes urbaines et creepy pasta que j'adore comme Bloody Mary ou Slenderman.
Comme seul bémol, je rejoins les commentaires précédents sur quelques passages peut-être moins fluides que d'autres. Peut-être que développer un peu plus certaines scènes aurait éviter cet aspect et permis, en prime, à l'ambiance glauque de s'instaurer encore plus. Mais en l'état, la lecture reste très plaisante et son antagoniste excellent !
Comme seul bémol, je rejoins les commentaires précédents sur quelques passages peut-être moins fluides que d'autres. Peut-être que développer un peu plus certaines scènes aurait éviter cet aspect et permis, en prime, à l'ambiance glauque de s'instaurer encore plus. Mais en l'état, la lecture reste très plaisante et son antagoniste excellent !
Re: Sacapatates
paulux a écrit:Tobermory, bravo pour ce texte, il est court certes, et aurait mérité quelques "complément" dans le sens où certaines parties saurent de l'une à l'autre un peu sommairement, mais il a tout ce qu'il faut pour atteindre son but.
Etonnant d'ailleurs à quel point ta dernière phrase fait toute la différence, car elle colore soudain tout ton récit d'une autre lecture, d'un drâme tout autre. Ca reste simple mais bien trouvé. Il reste quelques erreurs, mots oubliés, etc... donc il faudra surement le bosser un poil plus. Mais ça reste très bon !
Merci Paulux pour ce commentaire et pour ces pistes d'amélioration!
Tobermory- Écritoirien émasculé
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Localisation : Montpellier
Re: Sacapatates
Trantor a écrit:Salut Tobermory,
Je rejoins Paulux sur son avis. D'ordinaire, je trouve souvent que les textes gagneraient à être élagués de parties inutiles. Ici, au contraire, il m'a manqué un peu de matière.
Cela dit, tout était là pour comprendre l'histoire, et sa progression. L'idée est bonne et la chute l'est encore plus. On ne s'ennuie pas, un bon moment de lecture.
Merci Trantor ! Il y a au moins une palme que je récolterai, celle de la brièveté. Les concours de LDO sont pour moi une occasion d'étoffer davantage mes textes que sur des forum où le format imposé est nettement moins généreux. Mais je suis bien conscient que j'ai encore des progrès à faire sur ce point.
Tobermory- Écritoirien émasculé
- Messages : 397
Date d'inscription : 08/07/2015
Age : 72
Localisation : Montpellier
Re: Sacapatates
Paladin a écrit:Je rejoindrais Paulux et Trantor sur le fait qu'il manque une certaine fluidité dans la narration, peut-être (et ça y est, je vais ressortir ma vieille obsession ) un peu plus de show que de tell (je dis souvent ça aux autres, mais je sais que 'est pas toujours facile et moi-même souvent j'ai un peu trop de tell dans mes textes). Mais en dehors de ça, c'est une bonne histoire avec une chute surprenante :
- Spoiler:
que Sacapatates soit le père de Lucas, je l'avais vu venir, mais qu'il soit mort (et la dernière phrase est excellente !), ça a été une surprise !
Merci Paladin ! Pour le Tell, je m'attendais à la remarque parce qu'elle m'a souvent été faite sur LDO, ce qui m'a déjà été très profitable m^me s'il me reste des progrès à faire.
- Spoiler:
- J'avais en effet pensé qu'on devinerait assez facilement que l'inconnu est le père parce qu'il est évoqué et en raison de la fascination qu'il exerce sur le gamin - les liens du sang...
Tobermory- Écritoirien émasculé
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Date d'inscription : 08/07/2015
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Localisation : Montpellier
Re: Sacapatates
Blahom a écrit:Tobermory : j'ai toujours apprécié tes trop rares participations.
J'ai relevé une coquille : "juste un SDF".
"Sacapatates" constitue une belle plongée dans l'univers enfantin, au point que cela m'a remis en mémoire certains souvenirs de gamin. Ici, l'atmosphère est fondamentale et j'y ai été plus sensible qu'au retournement final, peut-être un peu trop explicite à mon goût.
Une excellente participation.
Merci Blahom ! Ravi que tu aies apprécié l'atmosphère de ce texte et son évocation de l'univers enfantin.
Tobermory- Écritoirien émasculé
- Messages : 397
Date d'inscription : 08/07/2015
Age : 72
Localisation : Montpellier
Re: Sacapatates
Murphy Myers a écrit:Une histoire classique mais rondement menée et bien mise en scène. Le côté enfantin du surnom Sacapatates associé au visuel glauque du personnage est excellent et n'a rien à envier aux légendes urbaines et creepy pasta que j'adore comme Bloody Mary ou Slenderman.
Comme seul bémol, je rejoins les commentaires précédents sur quelques passages peut-être moins fluides que d'autres. Peut-être que développer un peu plus certaines scènes aurait éviter cet aspect et permis, en prime, à l'ambiance glauque de s'instaurer encore plus. Mais en l'état, la lecture reste très plaisante et son antagoniste excellent !
Merci Murphy pour tes commentaires et conseils. J'aime bien les légendes urbaines mais je ne connaissais pas celles que tu évoques (je me suis renseigné depuis.)
Tobermory- Écritoirien émasculé
- Messages : 397
Date d'inscription : 08/07/2015
Age : 72
Localisation : Montpellier
Re: Sacapatates
Texte surprenant à l'ambiance réussie. Ton idée originale est bien menée car je n'ai pas deviné cette fin. Bravo !
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L'Écritoire des Ombres :: CONCOURS DE L'ÉCRITOIRE DES OMBRES :: Archives des concours :: Concours N°20 : Enfant, enfance
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