VH & Associates

La pièce dans laquelle Matthew Borrough pénètre se révèle spacieuse, occupée en son centre par une large table où siègent cinq personnes. Dans le fond, un âtre impressionnant crépite de sonorités réconfortantes, sa présence peine pourtant à chauffer l’endroit. Par les grandes vitres extérieures, on aperçoit les toits des immeubles londoniens, et les innombrables cheminées qui fument à presque cacher le ciel.
- Approchez Mister, n’ayez pas peur…
Alors qu’il s’avance, Matthew ne peut s’empêcher de jeter un œil aux têtes d’animaux empaillés qui trônent des deux côtés de la pièce, des loups, lions ou autres tigres. Une chaise l’attend face aux cinq observateurs, deux plutôt âgés, deux autres solides gaillards, et un dernier à gauche au physique plus fluet, cheveux sombres comme la nuit, mais au regard acéré.
- Mister Borrough, n’est-ce pas ?
- Oui messieurs !
- Ainsi donc vous souhaitez rejoindre notre société ! VH&A tire sa fierté des hommes courageux, prêts à tout, et qui ne craignent ni dieu ni maître. Vous sentez-vous l’étoffe de ces hommes ?
- J’en suis, affirme-t-il avec force.
- Bien, bien ! ponctue son interlocuteur alors que les autres semblent déjà plongés dans d’autres pensées. Préparez-vous à passer une mauvaise heure, nous ne vous épargnerons rien !
- Vous m’y voyez préparé…
Le deuxième plus âgé, cheveux poivre et sel comme on dit, prend alors la parole et l’entretien s’engage dans une joute verbale, de haute volée. Plus tard, un des costauds se lève et vient le défier à la lutte. Les minutes défilent, et Matthew sue à grosses gouttes. Au final la cheminée joue pleinement son rôle ! Les derniers échanges s’enchaînent, avant l’ultime question, celle qui fait que tout passe, ou s’arrête ici :
- Notre ami ici présent (et le vieil homme désigne le malin au bout de la table), s’est permis de venir interroger votre famille, et votre épouse, Joan, je crois ?
À cette évocation, Matthew ne se sent plus très sûr de lui.
- Cette dernière lui a parlé d’une peur panique que vous auriez des animaux de toute sorte ?! Voilà qui serait plutôt fâcheux pour un poste parmi nous !
Après avoir tout donné, et malgré l’affirmation qui semble plus une accusation qu’autre chose, Matthew refuse d’abandonner, aussi tente-il le tout pour le tout :
- Si vous permettez, je voudrais vous conter une mésaventure ! … Un peu avant mes vingt ans, je travaillais sur les docks à Gravesend. Nous devions décharger ce matin-là, à l’aube naissante, une cargaison d’animaux vivants en provenance d’Afrique. La partie centrale du bâtiment était recouverte de grandes toiles pour protéger des embruns des cages d’un bon acabit, et on accédait par-là directement aux cales.
« Je m’étais avancé sur les cordes qui les tendaient, afin de les détacher du mat central. Les copains des docks blaguaient alentour, insouciants des fauves qui grognaient en-dessous. Nous devions apprendre ensuite que le contremaître s’était trompé de navire ! Plus je progressais, presque à atteindre mon but, plus les animaux se réveillaient, poussaient des feulements, enrageaient dans leur prison.
« Soudain une patte énorme sortit d’une des cages, et je glissai dans le vide. Je me souviens d’un grand cri de surprise de ma part, et la conscience immédiate qu’il me fallait me rattraper à quelque chose. Je basculai le long d’une cage, dont le félin bondit, m’empêchant de m’y raccrocher, je tombai encore, raclant du dos, des épaules, des jambes. Je me raccrochai enfin à un barreau. Mes doigts furent tailladés et je lâchai encore, cul par-dessus tête, voyant les cages défiler et le navire m’avaler, de plus en plus profond…
« La présence d’une bête effrayante me tira de mon évanouissement. Une forme colossale me dominait, et elle s’abattit, me faisant voir ma dernière heure arriver, ses quatre membres retenus heureusement par des chaines épaisses. Ses épaules étaient arque-boutées en arrière, comme si elles allaient se démettre, une tête mi humaine mi animale hurla face à moi, arborant deux rangées de crocs abominables. Son corps était couvert de poils, de la tête aux pieds. Je restai tétanisé, littéralement, messieurs, incapable de rien. Je n’aurais déjà plus été de ce monde si la bête, de bien trois mètres de haut, avait été libre.
« Et il se produisit quelque chose d’encore plus effrayant, tous les animaux alentour cessèrent de geindre et tous en même temps me regardèrent. Je sentis comme un appel irrésistible, une invitation à me lever et à m’avancer au milieu de ces prédateurs… pour me donner en offrande. Dans le lointain, les cris de mes camarades s’entendaient depuis le pont là-haut. Jamais je n’avais eu autant peur de ma vie, et senti autant d’attrait à l’idée d’avancer vers un tel prédateur !
« Je me frappai à la tête, me labourai les bras jusqu’au sang afin de ne pas céder. Peut-être même laissais-je la peur être la plus forte. Le face à face sembla se briser à mes gestes désespérés. Je parvins à tourner les talons et à fuir à l’opposé des cages… »
Un long silence ponctua la fin du récit. Le vieil homme se leva face à lui :
- Debout, Mister ! Bienvenue chez Van Helsing & Associates…

Ai-je bien compris que le gars s'était mis en état de panique pour rompre le magnétisme de la bête? Et que c'est cette faculté qui l'a qualifié pour le job?

Il s'agit donc vraisemblablement d'une équipe de chasseurs de vampires. Et la créature menaçant le héros était sans doute surnaturelle.