Zonard crépusculaire
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Zonard crépusculaire
(Manière de marquer le coup...)
Je ne fus pas toujours tel que vous me voyez
A mâchonner du chanvre avec les dévoyés,
A boire et me gratter la fesse,
Ou rire sottement aux jupons défraîchis
Des rombières qui vont, froides sous leurs chichis,
Louer Saint Caquet à confesse.
Ah, vous m'auriez connu du temps de ma grandeur !...
J'allais intemporel, ombrageux maraudeur
(Pour tout blason : l'Hydre de Lerne) ;
J'ai brandi l'espadon, le kryss, l'yatagan,
Quelquefois l'arc peau-rouge au bord du Michigan
Ou le tulwar pour Holopherne.
En éclaireur furtif chez Assurbanipal
Ou mercenaire errant avec l'ost d'Annibal,
Je n'ai vécu que pour les fièvres ;
J'ai servi Darius, Ramsès, Caligula,
L'imposant Salomon, Témoudjin, Attila,
Puant comme un troupeau de chèvres.
Si l'on me vit parfois maître de sommeliers
Chez la douce Lucrèce ou chez la Brinvilliers,
Je préférais la gent brigande
Et courir les trésors de Golconde à Ceylan,
Dussé-je pour cela défier Tamerlan,
L'enfant maudit de Samarcande.
Ainsi, j'ai manié l'acier de Solingen
Aux côtés du manchot Goetz von Berlinchingen,
Plus trompe-la-mort que Lazare,
Et j'ai défait l'Inca, gravi l'Altiplano
Sur les pas de Pizarre et de Paladino.
(Pizarre, aurais-je dit Pizarre ?)
J'ai vu tous les combats, les charniers, les chagrins ;
Et puis, un soir d'automne, on m'a brisé les reins,
On m'a fait mordre la poussière !
Aujourd'hui, je me traîne, ivre et le souffle court...
C'est dur de voir fermé Boulogne-Billancourt*
Pour un figurant de carrière.
Je ne fus pas toujours tel que vous me voyez
A mâchonner du chanvre avec les dévoyés,
A boire et me gratter la fesse,
Ou rire sottement aux jupons défraîchis
Des rombières qui vont, froides sous leurs chichis,
Louer Saint Caquet à confesse.
Ah, vous m'auriez connu du temps de ma grandeur !...
J'allais intemporel, ombrageux maraudeur
(Pour tout blason : l'Hydre de Lerne) ;
J'ai brandi l'espadon, le kryss, l'yatagan,
Quelquefois l'arc peau-rouge au bord du Michigan
Ou le tulwar pour Holopherne.
En éclaireur furtif chez Assurbanipal
Ou mercenaire errant avec l'ost d'Annibal,
Je n'ai vécu que pour les fièvres ;
J'ai servi Darius, Ramsès, Caligula,
L'imposant Salomon, Témoudjin, Attila,
Puant comme un troupeau de chèvres.
Si l'on me vit parfois maître de sommeliers
Chez la douce Lucrèce ou chez la Brinvilliers,
Je préférais la gent brigande
Et courir les trésors de Golconde à Ceylan,
Dussé-je pour cela défier Tamerlan,
L'enfant maudit de Samarcande.
Ainsi, j'ai manié l'acier de Solingen
Aux côtés du manchot Goetz von Berlinchingen,
Plus trompe-la-mort que Lazare,
Et j'ai défait l'Inca, gravi l'Altiplano
Sur les pas de Pizarre et de Paladino.
(Pizarre, aurais-je dit Pizarre ?)
J'ai vu tous les combats, les charniers, les chagrins ;
Et puis, un soir d'automne, on m'a brisé les reins,
On m'a fait mordre la poussière !
Aujourd'hui, je me traîne, ivre et le souffle court...
C'est dur de voir fermé Boulogne-Billancourt*
Pour un figurant de carrière.
* Boulogne-Billancourt, célèbres studios du cinéma français d'avant guerre.
Jack-the-rimeur- — — Zonard crépusculaire — — Disciple d'Ambrose Bierce
- Messages : 2415
Date d'inscription : 23/01/2013
Age : 71
Localisation : Narbonne
Re: Zonard crépusculaire
Je comprends toujours rien à la poésie, mais aujourd'hui comme lorsque je te le disais sur le Manoir, il y a dans tes poèmes ce souffle barbare, d'aventures aux vents du désert, d'un monde antique plus brut et plus riche, qui me murmure dans les oreilles. Et là, assorti de cette nostalgie comme dans la chanson d'Eddy, la dernière séance, ben c'est beau.
Re: Zonard crépusculaire
Superbe poésie ! Pleine d'images et de réferences qui nous emportent au loin. Je ne comprends pas bien le titre par rapport au contenu, mais qu'importe... C'est un plaisir à lire.
mormir- — Arpenteur des mondes — Disciple de l'arbre noir
- Messages : 2638
Date d'inscription : 11/05/2013
Age : 59
Localisation : Près de Chartres
Re: Zonard crépusculaire
Superbe, en effet. Il y a du Hugo, du parnassien du Rimbaud...
Bravo Jack, tu as vraiment ton style et ton humour à propos !
Là particulièrement :
Ainsi, j'ai manié l'acier de Solingen
Aux côtés du manchot Goetz von Berlinchingen,
Plus trompe-la-mort que Lazare,
Et j'ai défait l'Inca, gravi l'Altiplano
Sur les pas de Pizarre et de Paladino.
(Pizarre, aurais-je dit Pizarre ?)
Bravo Jack, tu as vraiment ton style et ton humour à propos !
Là particulièrement :
Ainsi, j'ai manié l'acier de Solingen
Aux côtés du manchot Goetz von Berlinchingen,
Plus trompe-la-mort que Lazare,
Et j'ai défait l'Inca, gravi l'Altiplano
Sur les pas de Pizarre et de Paladino.
(Pizarre, aurais-je dit Pizarre ?)
Doumé- — Mystagogue des Ombres — Disciple du Très Haut
- Messages : 1867
Date d'inscription : 28/01/2013
Age : 63
Localisation : Fréjus
Re: Zonard crépusculaire
Un grand merci à tous.
- à Didier qui ne comprend rien à la poésie mais qui parle si bien de la mienne,
- à Doumé, pour sa constance et sa patience positivement angéliques,
- à Mormir, qui a l'oeil et qui a bien vu que le titre réajusté pour l'occasion coinçait un peu ("Fin de route", à l'origine),
- et à tous ceux que mes lignes éparses ont eu l'heur de faire sortir de leur tête ne serait-ce qu'une seconde.
- enfin, pour Zaroff, en guise de clin d'oeil, ce sonnet de Jean Ray (et si !) :
London News
C'était à Camberwell, chez Spratt, sur la minuit.
Un cop ouvrait la porte en criant : Time ! Time !
Une voix achevait : It was a famous crime...
On bouchait les cruchons de gin et de whisky.
Peterkin, rond et gros comme une roue à aube,
disait : Nous irons tous à Paternoster-Row ;
ça vaudra, en moins cher, un quart d'heure de show,
car à Newgate on pend un gentleman à l'aube.
Et l'homme fut pendu, ainsi que l'attestait,
englué de guingois sur la muraille morne,
un avis blasonné de royales licornes.
Pendu ? Vraiment ? L'instant d'après le mort venait
s'asseoir à nos côtés au bar du Big Savage,
et jouait avec nous les whiskies au cribbage.
Jean RAY.
- à Didier qui ne comprend rien à la poésie mais qui parle si bien de la mienne,
- à Doumé, pour sa constance et sa patience positivement angéliques,
- à Mormir, qui a l'oeil et qui a bien vu que le titre réajusté pour l'occasion coinçait un peu ("Fin de route", à l'origine),
- et à tous ceux que mes lignes éparses ont eu l'heur de faire sortir de leur tête ne serait-ce qu'une seconde.
- enfin, pour Zaroff, en guise de clin d'oeil, ce sonnet de Jean Ray (et si !) :
London News
C'était à Camberwell, chez Spratt, sur la minuit.
Un cop ouvrait la porte en criant : Time ! Time !
Une voix achevait : It was a famous crime...
On bouchait les cruchons de gin et de whisky.
Peterkin, rond et gros comme une roue à aube,
disait : Nous irons tous à Paternoster-Row ;
ça vaudra, en moins cher, un quart d'heure de show,
car à Newgate on pend un gentleman à l'aube.
Et l'homme fut pendu, ainsi que l'attestait,
englué de guingois sur la muraille morne,
un avis blasonné de royales licornes.
Pendu ? Vraiment ? L'instant d'après le mort venait
s'asseoir à nos côtés au bar du Big Savage,
et jouait avec nous les whiskies au cribbage.
Jean RAY.
Jack-the-rimeur- — — Zonard crépusculaire — — Disciple d'Ambrose Bierce
- Messages : 2415
Date d'inscription : 23/01/2013
Age : 71
Localisation : Narbonne
Re: Zonard crépusculaire
Documentaire rare et précieux sur ce gigantesque bonhomme qui, comme Léo Malet ou Jean-Louis Bouquet, a dû attendre d'être à l'article de la mort (ou peu s'en faut) pour commencer à recevoir un peu de la reconnaissance qu'il méritait.
Tu connais l'histoire de John Kennedy O'Toole ? C'est un type qui a écrit un bouquin génial qui a fait un tabac d'enfer : "La Conjuration des imbéciles". Sauf que c'est sa mère qui a réussi à le faire publier. Lui s'était suicidé à 31 ans parce qu'aucun éditeur ne voulait de son livre.
Alors quand j'entends dire qu'un génie méconnu, ça ne peut pas exister de nos jours, je suis content de ne pas avoir de flingue sur moi.
Tu connais l'histoire de John Kennedy O'Toole ? C'est un type qui a écrit un bouquin génial qui a fait un tabac d'enfer : "La Conjuration des imbéciles". Sauf que c'est sa mère qui a réussi à le faire publier. Lui s'était suicidé à 31 ans parce qu'aucun éditeur ne voulait de son livre.
Alors quand j'entends dire qu'un génie méconnu, ça ne peut pas exister de nos jours, je suis content de ne pas avoir de flingue sur moi.
Jack-the-rimeur- — — Zonard crépusculaire — — Disciple d'Ambrose Bierce
- Messages : 2415
Date d'inscription : 23/01/2013
Age : 71
Localisation : Narbonne
Re: Zonard crépusculaire
Jack-the-rimeur a écrit:
Tu connais l'histoire de John Kennedy O'Toole ? C'est un type qui a écrit un bouquin génial qui a fait un tabac d'enfer : "La Conjuration des imbéciles". Sauf que c'est sa mère qui a réussi à le faire publier. Lui s'était suicidé à 31 ans parce qu'aucun éditeur ne voulait de son
Je connais mais pas encore lu.
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