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Herman Melville : Le léviathan parmi les grands romanciers américains

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Herman Melville : Le léviathan parmi les grands romanciers américains Empty Herman Melville : Le léviathan parmi les grands romanciers américains

Message par Martin- Lun 2 Jan 2023 - 4:54

Je vous ai certainement rabattu les oreilles dans tous les sens avec Moby-Dick, j'en ai conscience (d'ailleurs je vais un peu continuer et je ne m'excuserai pas) mais je vous ai jamais parlé suffisamment en détail de Melville, un écrivain purement et simplement génial (propos parfaitement mesuré).

Mais avant de parler de bon vieux Herman, on va parler du courant littéraire auquel il est associé parce que c'est très important (après je vous raconte sa vie en faisant des blagues, et ensuite on survolera son œuvre).
Si vous interrogez un prof de lettres et qu'il vous dit que Melville est associé au romantisme américain, il n'a que partiellement raison. Parce qu'on a longtemps estimé qu'il était surtout le père du Grand Roman Américain. C'est (pour résumer grossièrement) un concept littéraire qui définit les fondements de la littérature américaine comme telle, comme l'édification et la propriété littéraire de ce drôle de pays.
Alors tout le monde a un peu donné son opinion sur l'origine de ce courant et pendant très longtemps on a considéré que le GRA (pratiques les acronymes) débutait en 1876 avec Les aventures de Tom Sawyer, puis  il y a un type qui s'appelle John William De Forest qui a décrété que les trois premiers textes étaient les suivants :
- Le dernier des Mohicans de Fenimore Cooper en 1826
- La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne (c'était un pote de Melville) en 1850
- Moby-Dick, en 1851 (dédié à Hawthorne)
Il y a beaucoup de personnes qui contestent un peu le fait de positionner Cooper à cette place de précurseur et qui préfèrent attribuer la genèse de ce mouvement à Melville et Hawthorne.
Dans tous les cas, il est crucial de saisir à quel point la place de Melville dans la littérature d'identité américaine est centrale.

Alors qui c'était Herman ?
Herman Melville : Le léviathan parmi les grands romanciers américains Herman10
(J'adore sa tête de hipster)

Il est d'origine écossaise et néerlandaise, naît dans une famille très nombreuse mais plutôt à l'aise financièrement. Sauf que son père décède brusquement quand il est adolescent et ils deviennent ce que certains biographes qualifient de "nouveaux pauvres". Dès qu'il est en âge de bosser, Herman il enquille des boulots plutôt pépères, il assiste des commerçants, il est sbire dans une banque et finit par tenir des comptes pour des cousins commerçants.
Donc, ça se passe pas trop mal mais Herman il s'emmerde un peu dans tous ces boulots... Il lit Walter Scott, Fenimore Cooper (encore lui !) et d'autres auteurs romantiques anglophones. Naturellement, il se met à rêver d'aventures et finit par s'enrôler, en 1839, comme mousse à bord d'un navire marchand à destination de Liverpool. Ce premier voyage maritime et initiatique sera le matériau de base pour Redburn quelques années plus tard.
L'année d'après, Melville se rend à Nantucket pour se faire baleinier (le parallèle avec Ishmaël dans Moby-Dick est absolument évident) mais au bout de deux ans, ça aussi ça l'emmerde alors il déserte. Il a la brillante idée de s'échapper avec un copain sur une île des Marquises om ils seront fait prisonniers par des indigène cannibales mais il sortira indemne de cette aventure qu'il relatera dans Taïpi. Après ça, il participe à une mutinerie sur un baleinier, finit en prison à Tahiti, s'échappe, finit dans la marine militaire américaine...

Puis en 1844 il a l'excellente idée DE SE CALMER.
Il rédige Taïpi qui devient un best-seller à Londres (personne ne voulait le publier aux Etats-Unis) au point que son éditeur britannique accepte de publier Omoo, son second roman sans même l'avoir lu (c'est pas une vanne, c'est la vérité vraie !).
Fort de ce succès retentissant, il essayer quelque chose de nouveau avec Mardi, une fiction maritime qui sert de support à des questionnements philosophiques et politiques. Cette formulation c'est vraiment l'âme du roman Melvillien ; l'océan comme décor, les marins au service de ce qui se rapproche parfois plus de l'essai philosophique que du roman.
En 1850, Melville il est célébrissime dans le monde la littérature anglophone et il devient copain avec Hawthorne. Herman l'encense dans une critique qui propulsera la carrière littéraire de ce nouveau venu et le fera accéder à la postérité.

Le truc c'est que pour un fils de commerçant, Herman il est pas très fort pour gérer son pognon et en 1851, sous la pression des gens à qui il doit ce pognon, il finit à la va-vite Moby-Dick qu'il fait d'abord publier sous le titre de The Whale.
Et là, c'est terrible. Les britanniques aiment énormément ce nouveau roman mais les critiques américains sabordent le texte et les ventes sont minimales... Et c'est le naufrage pour Melville ; sa carrière tombe à l'eau.
Pierre ou les Ambiguïtés est reçu encore plus négativement que Moby-Dick et son éditeur refuse de publier Isle of the Cross, manuscrit dont on a aujourd'hui totalement perdu la trace.
Pendant les trente dernières années de sa vie, Melville écrit énormément de poésie, quelques nouvelles et surtout Billy Budd. Mais tout le monde s'en fiche, il ne parvient plus à se faire éditer et quand il finit par financer lui-même l'impression de Clarel: A Poem and Pilgrimage in the Holy Land, les ouvrages invendus sont brûlés car il n'a pas de quoi les racheter.
Il meurt à 72 ans dans l'indifférence la plus totale, c'est un auteur oublié de ses contemporains depuis plusieurs décennies qui n'écrivait plus que pour lui-même et pour ses proches.

Alors forcément la question essentielle dans cette affaire c'est "Comment est-il concevable que cet auteur à qui on attribue quand même la paternité de la littérature américaine la plus essentielle ait vu son œuvre accueillie avec autant d'hostilité par ses contemporains ?"
(je vous l'accorde, c'est pas une phrase facile, faudra peut-être la relire une ou deux fois)

Surtout que si on analyse un peu son oeuvre, on tient un palmarès impressionnant :
- D'abord Moby-Dick. On parle quand même d'un roman qui n'est ni plus ni moins que le fondement de la littérature existentialiste et qui inspirera La Peste à Albert Camus. Servi par un symbolisme et une mythologie édifiants, mais surtout par une prose exceptionnelle par sa richesse et son imaginaire grandiloquent. Je ne résiste pas au plaisir de vous glisser quelques extraits qui se passent de commentaire.

Herman ce génie a écrit:Il pouvait brûler sinistrement tandis que la vie normale qui était en lui s’enfuyait, frappée d’horreur devant cette naissance indésirable et sans père. Dès lors, l’esprit torturé qui brillait dans ses yeux et semblait être Achab tandis qu’il surgissait hors de sa cabine, n’était en fait qu’une forme vide, une apparition vague et somnambulique, un rayon de lumière vivante, sans doute, mais n’éclairant rien, et dès lors un néant en soi. Que Dieu te vienne en aide, vieil homme, car tes pensées ont engendré un étranger en toi, dont la ferveur a fait un Prométhée. Un vautour se nourrira à jamais de ce cœur, ce vautour qu’il crée lui-même.

Le plus grand écrivains de tous les temps a écrit:Mais Achab, mon capitaine, m’est toujours présent dans sa mélancolique rudesse nantuckaise, et cette parenthèse sur les Empereurs et les Rois ne me dissimule pas qu’avec lui je n’ai affaire qu’à un pauvre vieux chasseur de baleines, et que me sont refusés dès lors tous les atours et tous les palais de la Majesté. Ô Achab ! pour révéler ta grandeur il faut l’aller arracher au ciel, l’aller cueillir dans les profondeurs et la modeler d’immatériel espace.

Ou encore ce monologue du Capitaine Ahab qui est mon préféré. Je le trouve absolument vibrant.
Ce patron de Melville a écrit:– Écoute encore… une couche plus profonde… Homme ! Toutes choses visibles ne sont que des masques de carton-pâte. Mais dans chaque événement… dans l’acte vivant, le fait indubitable… quelque chose d’inconnu mais doué de raison porte, sous le masque dépourvu de raison, la forme d’un visage. Si l’homme frappe, qu’il frappe à travers ce masque ! Comment le prisonnier pourrait-il s’évader sans percer la muraille ? La baleine blanche est cette muraille dressée devant moi. Parfois je crois qu’il n’y a rien derrière. Mais il suffit. Elle me met à l’épreuve, elle m’accable. Je vois en elle une force révoltante, nourrie de vigoureuse malignité. Et c’est ce qui échappe à ma compréhension ce que je hais avant tout. Que la baleine blanche soit un agent ou qu’elle soit un principe, j’assouvirai sur elle ma haine. Ne me parle pas de blasphème, homme, je frapperais le soleil s’il m’insultait. Car si le soleil pouvait le faire, je pourrais aussi riposter, il y a une sorte d’équité dans la lutte, la jalousie a présidé à toute création.

Je n'insisterai jamais assez sur la majesté absolue de ce bouquin.

- Mais il ne faut pas oublier l'exceptionnel Bartleby qui initie avant Kafka, avant Camus, avant Beckett la littérature de l'absurde. Cette nouvelle raconte l'histoire de la résistance passive de Bartleby, scribe chez un homme de loi à Wall Street qui ne refuse pas exactement de faire son travail ou de quitter les lieux quand il est renvoyé, c'est simplement qu'il "ne préfèrerait pas". Alors on peut revenir sur la notion de comique comme je l'avais expliquée chez Kafka mais Bartelby, ça va bien plus loin puisqu'il s'agit aussi d'une réflexion sur le pouvoir, le langage et le pouvoir du langage.

- J'ai mentionné plus haut les trente années de poésies que Melville n'a jamais réussit à faire publier et on y trouve un lyrisme désabusé qui n'est pas sans rappeler l'œuvre saisissante de Walt Whitman. Ces textes ont été traduits récemment en français et c'était un sacré évènement pour les spécialistes de cet auteur parce que maintenant on va pouvoir les étudier et les enseigner !

- Entre autres éléments notables, on trouve dans la littérature de Melville des descriptions quasi-anthropologiques de différentes couches de la population américaine (comme les Quakers) ou des indigènes qu'il a pu rencontrer.
Il y a aussi cette dimension documentaire très poussée sur le monde de la navigation mais aussi sur les animaux marins (les cachalots et les baleines, surtout) ou bien cette façon de croquer la société américaine comme dans Le bonheur dans l'échec ou L'homme de confiance.

Il aura fallu attendre les années 20 pour qu'on se souvienne de l'œuvre de Herman et surtout qu'on commence à en exhumer les qualités. Et je trouve ça fou de se dire que ça fait tout pile 100 ans qu'on s'est rappelé du monument littéraire que ce léviathan littéraire a légué.
En tout cas ce post me paraît suffisamment fourni et exhaustif pour vous avoir transmis les raisons qui font de Melville mon auteur préféré ; une vision du monde humain et invisible pleine de symboles, un panache inégalé dans l'écriture et surtout un tas d'histoires avec des bateaux !
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Message par Tak Ven 13 Jan 2023 - 10:29

Voilà un thread des plus intéressants et enrichissants, Martin !

Je dois l'avouer, en inculte que je suis, que je n'ai jamais lu Moby Dick, même s'il figure sur mes listes "à lire" depuis un bon paquet d'années. J'y viendrais sûrement un jour (quand ma PAL aura fini par reprendre des dimensions à peu près "humaines", c'est à dire sûrement d'ici une ou deux décennies, avec un peu de chance lol), mais en attendant, ce petit passage en revue biographique m'aura appris des choses intéressantes sur l'homme et son parcours, tout en me donnant envie d'y tremper les orteils (oui, surtout que c'est froid l'Atlantique, pute ! ).
Pendant une période, j'ai eu l'envie de me plonger un peu plus dans cette grande littérature américaine dont tu parles (un peu plus récent, certes, mais je suis tombé amoureux de Steinbeck après avoir lu et relu Des Souris et des Hommes ou son déchirant Les Raisins de la Colère), mais encore une fois mon appétit littéraire, m'a au fil du temps fait dévier vers d'autres choses. Mais cette petite piqûre de rappel n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd et je vais sûrement rajouter une ou deux références sur mes listes à n'en plus finir Wink
Et au passage, tu m'auras appris quelque chose concernant l'amitié Melville-Hawthorne (auteur qui me fait de l'œil depuis des années également et dont La Lettre Ecarlate attend son tour dans ma PAL depuis quelques années). Joli travail, en tous cas !

Allez et maintenant je vais aller jeter un coup d'œil à ton sujet sur Moby Dick, histoire de poursuivre sur ma lancée !
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Message par Martin- Ven 20 Jan 2023 - 1:15

Honnêtement, il y a mille et une raisons de se moquer des américains mais clairement pas de leur exceptionnel patrimoine littéraire. Tu évoques Steinbeck (qui est un auteur exceptionnel) et il y en a des dizaines d'autres ; Dos Passos, Fante, Tesich (je vais vous parler de lui très bientôt parce que j'ai relu Karoo)... Honnêtement j'ai l'impression que c'est sans fin. Et tant mieux d'ailleurs !
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