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Crossroad Café

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Message par Sacripan Dim 4 Sep 2022 - 6:34

Une bruine dégueulasse tombait sur la ville. Le genre de pluie où on se demande si la flotte est prise d’une sorte d’hésitation quant à l’état qu’elle doit adopter : ni gazeux, ni liquide, juste une sorte de purée fine qui donne l’impression d’avancer dans des éclaboussures de pisse de chien. C’était un jour de merde. Y a pas d’autres mots. Et pas seulement à cause de ce climat pourri. Mon patron avait décidé de me sucrer mon jour de congé. Soi-disant que le restaurant en avait besoin, qu’on attendait un afflux de clients ce samedi, que c’était à cause de la Saint-Valentin. Ah je vous jure, si on organisait des concours de fils-de-puterie, ce gros rat de Donald les remporterait tous haut la main. Parce qu’en plus de ça, il voulait que j’embauche dans la demi-heure. 
J’étais encore en train de me reprocher d’avoir décroché en voyant son nom à la con s’afficher sur mon portable quand j’ai remarqué une enseigne que j’avais jamais vue, dans une ruelle que je connaissais pourtant bien. Un néon rose bonbon qui luisait dans la brume poisseuse, de deux mots qui direct me plurent : Crossroad Cafe.
Une petite bière, que je me suis dit. Ça me fera du bien. Ça m’aidera à supporter cet abruti de Donald pendant le service.
J’avais encore du temps, et puis je m’en foutais d’arriver à la bourre, après tout je lui faisais une fleur. Car j’aurais pu prétendre que j’avais un truc prévu avec ma copine, par exemple. Sauf que j’avais pas de copine et qu’il le savait très bien. Bref, j’ai poussé la porte, pas mécontent de m’extirper de cette ruelle sordide. Et là, j’arrive dans le bar rock le plus chiadé que j’ai vu depuis un bail. Les speakers jouaient Down In a Hole d’Alice in Chaine, la voix torturée de Layne Staley égrenant les paroles : 
« Down in a hole, losin' my soul
I'd like to fly but my wings have been so denied »
Putain, ça c’était un rade digne de ce nom. Je me suis tout de suite senti à l’aise, comme si j’arrivais à la maison après un long voyage dans les terres désolées d’un pays particulièrement merdique.
L’éclairage était minimal, des petits spots dans les teintes violettes placés ici et là ; on se serait cru dans la piaule d’une rock star avec cette ambiance intimiste et sensuelle. Le plus étonnant c’est que l’endroit était désert. Aucun client aux tables en bois rondes qui parsemaient la pièce. 
Pas même au bar… que je me disais en posant par inadvertance les yeux sur la plus belle nana que j’ai vue en une décennie.
La barmaid. 
Je vous jure, je me suis arrêté quand je l’ai vu. J’ai cru que mon cœur avait sauté un battement. J’ai eu un de ces petits mouvements de tête, quand on regarde un truc sans le voir puis que tout à coup, on le voit vraiment et qu’on revient dessus immédiatement et qu’on est incapable de détacher le regard, et qu’on a sans doute l’air d’un gros pervers ou alors d’un chat qui a snifé de la colle. Bref, j’ai pris une énorme claque. C’était une déesse sortie de mon rêve le plus moite. La femme avec qui j’aurais voulu passer le restant de l’éternité.
Bon, je la connaissais pas, ça aurait pu être la pire des connasses bien sûr, mais physiquement… Aucun des qualificatifs que j’ai en tête n’arriverait à la décrire, des mots comme « belle », « splendide », « magnifique » me semblent incapables d’agripper ne serait qu’un pour-cent de la sublimation esthétique que je ressentais face à cet être d’essence divine. Une déesse incarnée derrière le zinc d’un bar rock, voilà ce que je me suis dit. 
Les cheveux bruns négligemment montés en chignon, elle a levé vers moi son regard gris-vert et m’a fait un sourire qui m’a catapulté le palpitant. Se faisant, elle a poussé un peu en avant son buste, révélant sous son débardeur une paire de seins que j'imaginais avoir les proportions parfaites du nombre d’or. 
Je lui ai adressé une espèce de grimace répugnante en retour, un effort pitoyable de sourire, et après avoir fait un petit geste de la main ridicule pour parfaire mon entrée bouffonne, je me suis approché de son comptoir.
— Qu’est-ce que je te sers ? qu’elle m’a demandé.
Encore sous l’effet de son apparence stupéfiante, j’ai bafouillé comme un débile :
— Euh… Une bière.
— Ça me renseigne pas beaucoup, qu’elle m’a fait avec une moue amusée.
J’ai suivi son regard vers les cinq robinets à bières qui surplombaient le zinc. Après les avoir inspectés, je lui ai dit :
— Une Mort Subite, s’il te plaît.
— Bon choix, qu’elle m’a répondu avec un clin d’œil.
Évidemment, comme la plupart des mecs, je suis un crevard. J’aurais quitté mon job sur l’instant et même sacrifié Donald sur l’autel d’un culte vaudou si ça m’avait permis de coucher avec cette bombe thermonucléaire. Mais je me faisais pas trop d’illusions, je suis pas totalement con non plus. Je voyais déjà pas ce qu’une nana pareille faisait derrière le comptoir d’un bar – elle aurait plutôt eu sa place sur les couvertures des magazines –, alors j’imaginais pas un instant avoir la moindre chance de l’emmener faire un tour dans mon plumard crasseux.
M’enfin, qui ne tente rien n’a rien. Alors j’ai descendu une longue rasade de ma Mort Subite et je lui ai dit : 
— Elle est bonne. 
En esprit, j’ai pensé à ajouter : « Comme toi ». Mais je vous l’ai dit, je suis pas totalement con non plus. J’ai préféré lancer une petite conversation anodine :
— Et ça fait longtemps que t’as ouvert ici ? Enfin, si c’est toi la patronne.
— C’est moi, ouais. Et oui, ça fait un bail. 
— Ah bon, j’avais jamais remarqué. Pourtant je passe pratiquement tous les jours par ici.
— J’ai rajouté l’enseigne il y a deux jours. C’est pour ça, peut-être.
Et c’est vrai que de l’extérieur, son bar se distinguait peu du reste des habitations de la rue. 
— Ouais, je pense aussi.
Bon, à ce stade de la conversation, je me suis dit que c’était vraiment une interaction tout ce qu’il y avait de plus banale et même chiante, alors j’ai voulu parler un peu d’elle.
— Et comment ça se fait qu’une nana comme toi soit pas genre mannequin ou actrice ? T’as du potentiel.
Elle a alors tiré une tronche que je risque pas d’oublier. Une espèce de grimace incrédule qui voulait dire : « Mec, mais t’es vraiment naze ». Puis aussi vite qu’elle était apparue, son expression a disparu. Elle a versé un truc dans l’évier, puis elle a relevé les yeux vers moi :
— Et quel genre d’actrice ? 
En disant ça, elle s’est penchée derrière son bar, comme pour m’offrir une meilleure vue sur son décolleté.
— Bah… N’importe quel type d’actrice, du genre qu’on voit au cinéma, que j’ai dit en tâchant de pas trop m’attarder sur l’étude de son sternum.
— Ouais, qu’elle a fait en se relevant. Une actrice porno, non ? C’est pas ça que t’imaginais ?
J’ai recraché un peu de ma bière en l’entendant dire ça.
— Hein ?
— Non, mais qu’est-ce t’en penses, qu’elle a continué. On m’a déjà fait des propositions, tu sais. « De l’argent facile », soi-disant.
Je savais pas trop comment réagir. Qu’elle se lance sur ce genre de thématiques bien branchées cul n’était pas pour me déplaire, mais je trouvais ça plutôt surprenant.
— Écoute, y a pas de sot métier…
— Ah ah ! Tout ce qui me manque, c’est un acteur bien monté.
Puis elle s’est penchée à nouveau sur le bar, mais comme pour m’inspecter cette fois-ci.
— Peut-être toi ? qu’elle a ajouté.
Encore une fois, j’ai manqué de m’étrangler avec ma bière. Elle avait un arrière-goût un peu bizarre d’ailleurs.
— Dis donc, tu prends pas de détours, que je lui ai répondu. Mais pour sûr, tu peux compter sur moi.
— Ah ouais ? 
— Carrément. T’es tellement belle, monter au septième ciel avec toi, j’aurais l’impression d’être mort et arrivé au paradis.
— Ça tombe bien que tu dises ça, qu’elle a répondu avec un air amusé.
— Ah bon ? 
— Ouais. Ça tombe bien car, ta Mort Subite, c’est ma bière préférée. Et pour lui donner un peu de piquant, je fais en sorte que son nom tienne sa promesse. Tu comprends ?
J’ai secoué la tête.
— Euh, non… Pas vraiment.
— Ta bière, mec. Elle contient du cyanure.
J’ai reposé mon verre immédiatement.
— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
— J’te l’ai dit : ta Mort Subite contient du poison, c’est plus fun. Comme ça le nom correspond bien à la boisson, tu comprends ?
— Mais t’es complètement tarée ma parole, que j’ai fait en me levant.
J’allais me précipiter vers la sortie, essayer de faire quelque chose quand elle m’a retenu, en posant une main sur mon bras. Et même si c’était la meuf qui s’apprêtait à me tuer, j’ai trouvé que son contact était franchement agréable.
— Maintenant t’as le choix, qu’elle m’a dit.
— Quel choix ?
Elle a indiqué du menton un coin du bar, où j’ai vu la porte des toilettes.
— Y a Momo qui est dedans, et il s’est enduit la bite de thiocyanate.
— Quoi ? Mais de quoi tu parles, et c’est qui Momo ?
— Momo, c’est mon meilleur pote. Et la thiocyanate c’est l’antidote au cyanure. T’as encore trois bonnes minutes avant que le poison fasse effet.
— Attends, t’es en train de me dire que… qu’il faut j’aille… que j’aille…
J’arrivais pas à le dire. Alors elle l’a fait pour moi, cette garce : 
— Faut que t’ailles lui sucer la bite. Voilà. C’est comme ça que t’auras l’antidote.
Puis elle a ajouté :
— T’as encore deux-trois minutes. 
— Oh putain ! que j’ai gueulé. Mais qu’est-ce que je t’ai fait, bordel ?
— Écoute, c’est un petit jeu qu’on a avec Momo. J’ai toujours un shooter avec la thiocyanate sous le bar. Et si tu t’étais abstenu de faire des commentaires sur mon physique, je te l’aurais offert. On se serait bu ça tous les deux, et t’aurais jamais su que ta bière était empoisonnée. Mais tu vois, il a fallu que tu me balances tes remarques de relous, même pas deux minutes après être entré, et ça, ça me gave. Grave.
— Mais t’es tarée, que j’ai dit. 
Et c’était clair qu’elle était tarée.
— Alors quand tu m’as sorti ton truc d’actrice porno…
— Mais j’ai pas dit porno, soit toi qui a dit « porno » !
— Quand tu m’as parlé de ça, j’ai vidé le shooter avec ton antidote dans l’évier. Maintenant c’est Momo qui a la bouteille, et il s’est enduit la bite de thiocyanate.
Vu que j’écarquillais les yeux, elle a continué :
— Et c’est le seul endroit où tu trouveras ça. C’est Momo qui a la bouteille. Même si tu me torturais, je pourrais pas te dire où elle est.
— Oh putain ! que j’ai lâché. Oh putain de pute de sa race !
— Eh, reste poli, qu’elle m’a dit en souriant. 
Puis elle a ajouté :
— Dépêche-toi, quand même… T’as plus beaucoup de temps.
Je commençais à ressentir une drôle d’irritation dans la gorge, comme une sorte de démangeaison. Et ce goût que j’avais relevé dans la bière, un peu comme de l’amande. J’ai serré les poings, et j’ai gueulé : « Merde ! » Puis je me suis précipité vers les toilettes.
Y avait Momo qui était là. Il m’attendait comme elle l’avait dit. Et j’ai fait ce que j’avais à faire… Saloperie, c’est vraiment pas un truc que j’ai envie de raconter, donc je vous donnerai pas les détails. Sachez juste que j’ai essayé d’être rapide, le plus rapide possible, mais ce salopard de Momo, il m’a maintenu la tête au pire moment. Bref, je raconterai pas. Je vous en ai déjà trop dit de cette anecdote de merde, pendant cette journée de merde dans ce bar de merde !
Je suis ressorti des toilettes, et là cette garce, cette traînée, elle était morte de rire. Pliée en deux.
— Oh putain, il l’a fait ! qu’elle rigolait. Il l’a fait !
J’étais fou de rage, qu’elle se moque de moi comme ça, alors que tout était sa faute.
— Et tu préférais quoi ? que je lui ai balancé. Tu préférais que je crève ? Tu sais quoi, je vais aller voir les flics. Ton rade, tu vas pouvoir te le mettre où je pense ! Vous êtes des tarés, des psychopathes, des assassins, des…
— Eh, mais calme-toi ! qu’elle a dit en reprenant son sérieux. Tu crois vraiment que j’ai empoisonné ta bière ?
Alors, je me suis calmé. Et j’ai secoué la tête parce que je savais pas quoi dire.
— J’ai versé un peu de liqueur d’amande dedans, c’est tout.
Puis elle m’a montré une mignonnette d’amaretto.
— Y a jamais eu de poison dans ton verre, qu’elle a continué. C’était une blague.
Une blague ? 
Pour elle, toute cette histoire de merde, c’était une blague. 
Elle m’avait convaincu de sucer la bite de son pote, et pour elle c’était une blague.
— Maintenant, si t’as envie d’aller aux flics, explique-leur ton histoire. Je suis sûre que ça va les faire marrer, eux aussi. Et puis ensuite, on se verra au tribunal. J’ai hâte de lire tes interviews dans la presse. Ça fera marrer encore plus de monde, tu crois pas ?
J’étais dégoûté. Dégoûté. Humilié, le cerveau retourné, abusé sexuellement et dans l’impuissance de faire quoi que ce soit. Non, je n’avais pas envie que Donald, mes collègues, mes potes, ma famille apprennent cette histoire de merde. Bien sûr que non. J’avais juste envie de pleurer.
Puis Momo, cette ordure, est sorti des chiottes avec son mètre quatre-vingt-quinze, et il a dit :
— Reviens quand tu veux.
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Message par FRançoise GRDR Ven 9 Sep 2022 - 22:38

Bonsoir Sacripan,
C'est vraiment bien écrit et bien trouvé ! À partir de la trame de base, tu as réussi à amener de l'originalité. De plus, le niveau de langage va parfaitement avec le contexte. Super !


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Message par Sacripan Sam 10 Sep 2022 - 0:46

Merci beaucoup Françoise, je suis content que ça t’ait plu ! Smile
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