L'essai de Paladin

Il ne manquait plus qu'une averse ! Tout énervait Michel : le bruit de la pluie s'écrasant sur le pare-brise, pluie que les balais de l'essuie-glace chassait avec son clic-clac régulier, mais qui revenait aussitôt brouiller une seconde la vue de la route, avant d'être chassée à nouveau. Le chauffage de la voiture, mal réglé, qui lui cuisait les pieds tout en laissant le haut de son corps au froid, et tous ces cons qui l'éblouissaient en roulant plein phare, dans l'autre sens. En réalité, il avait encore en tête la scène de rupture de Lisa.

-- Ne nie pas ! Tu as des cheveux blonds sur ton col ! criait-elle

Tout en roulant, Michel l’insultait. Ses doigts serraient le plastique du volant, s'y imprimaient. Il rêvait qu'il tenait le cou si gracieux de Lisa, qu'il  s'enfonçait dans sa peau si douce, qu'il sentait craquer ses vertèbres cervicales, entendait un dernier borborygme échapper de sa gorge.

L'absence de visibilité aurait dû l'inciter à la prudence, mais le colère l'aveuglait. Il ne vit la silhouette surgir devant lui qu'en même temps que le choc secouait son véhicule. Il enfonça la pédale de frein, et stoppa dans un crissement strident. Sans doute un animal, essaya-t-il de se persuader. Mais quand il sortit, il subit deux douches froides : d'abord une rafale de pluie en plein visage, puis (Son cerveau mit quelques secondes à l'admettre), la vue d'un corps, bien humain, allongé face contre terre. Un homme, visiblement. La pluie faisait des rigoles sombres sur son dos vêtu d'un blouson gris à capuche.

Aucun témoin en vue. Dans le cerveau de Michel, un signal rouge s'alluma en chassant toute capacité de réfléchir. Personne ne l'avait vu. Fuir tout de suite. Il se remit au volant et, dans un vrombissement, fila sans demander son reste. Il avait oublié Lisa et tout ce qui s'y rapportait. Seule demeurait dans sa tête l'image du cadavre sur le bitume, couché sur le ventre, avec la pluie en rigoles sur son blouson.