Charmeuse Fontaine

Dommage que pas grand monde n'aie tenté cet atelier jusque-là, parce qu'il y a tout de même de quoi faire avec toutes ces jolies (et inspirantes) images !
Du coup, j'ai essayé de tenter le coup, en voyant ce que je pourrais tirer de cette très belle matière. Bon, ça n'a pas d'autre vocation que celle d'accompagner l'une de ces images, mais si ça peut occuper (plus ou moins) agréablement cinq minutes de votre journée, c'est déjà ça.
Avant de commencer, voici donc l'image en question :



Charmeuse Fontaine


Tristan De-Beau Segur était l'un des alchimistes les plus renommés de la contrée.
Cloîtré dans sa demeure familiale séculaire, il gardait la plèbe à distance pour mener à bien ses expériences – que certains lui prêtaient d'augures funestes. À dire vrai, peu lui importait : soit il réussissait, soit il échouait, rien ne l'empêcherait de poursuivre ses expériences ad vitam jusqu'à ce qu'il ne trouve la solution parfaite.

Depuis plusieurs semaines, il cherchait la vérité dans les équations du mercure.
Le liquide à vif, sa pureté et tout ce qui pouvait en découler. Dans cette visée, il avait donné congé à son personnel, qui occupait habituellement les ailes ouest de la vaste demeure  – un manoir du xve siècle aux ramifications aussi complexes que labyrinthiques. Néanmoins, la solitude ne l'effrayait pas, au contraire. Ce vide hermétique lui permettait de se concentrer au final sur ce qui lui tenait vraiment à cœur.  
Aussi, ce soir-là, versa-t-il dans le bassin de la cour principale – ancienne fontaine néo-gothique dont les enluminures lui déplaisaient au plus haut point – une nuée de micro-planctons chargée des vecteurs ésotériques qu'il y avait implanté.
Il désirait transmuer cette eau dormante en flots mercuriaux qui porteraient aux nues sa science de l'entropie. Il se mit ainsi à pied d’œuvre et attendit fébrilement les résultats. Mais de toute la nuit, rien ne se passa et c'est d'un pas lourd qu'il gagna son lit en jetant un dernier regard dépité en direction du bassin. Peut-être les premiers rayons de l'aube seraient-ils plus favorables à son expérience ?

Ce fut une note harmonieuse qui le tira du sommeil, au petit matin.
Au début, il ne réussit à en localiser ni la nature ni la provenance, mais tandis qu'il émergeait peu à peu, il perçut plus nettement les délicieuses modulations d'un chant féminin, qui semblait s'échapper des jardins. Qui était donc venu lui jouer ce drôle de tour ? L'alchimiste se vêtit en hâte et courut presque dans les marches pour s'extirper de la bâtisse. Après quelques pas dans la cour, le chant, plus séduisant que jamais, l'attira vers l'ancienne fontaine aux décorations mystiques. Tristan manqua alors un battement de cœur : dans les eaux clapotantes s'ébattait une femme à la beauté capiteuse. Mais le plus incroyable résidait dans cette queue massive aux écailles d'argent reflétant les premières lueurs du jour. Une sirène ? N'était-ce pas le signe qu'il rêvait encore ?
À plusieurs reprises, l'homme se frotta vigoureusement les yeux, mais rien n'y fit : la créature était toujours devant lui, resplendissante, cherchant à l'ensorceler par sa seule voix. Perplexe, il ne s'en avança pas moins, repassant dans sa tête tous ses calculs – ne s'était-il pas trompé quelque part ?
Bientôt, il se retrouva à quelques pas de la nymphe aquatique, le charmant aussi bien par son physique que par les notes languides de son timbre. Oui, il connaissait le mythe de la sirène, aussi bien que ses théorèmes d'algèbre, mais il ne put s'empêcher de continuer à avancer malgré lui, enivré par ce chant où paraissaient se mêler les trésors les plus inaccessibles des domaines marins. En fermant les yeux, il s'imagina flotter dans les fonds cristallins, en compagnie de cette splendeur à mi-chemin entre la femme et le poisson, lui faisant découvrir des merveilles que nul autre ne pourrait contempler.
Sans même le réaliser, il s'était presque suffisamment approché pour sentir le souffle de la belle sur son visage. Elle lui chantait les poèmes oubliés des courants, les litanies ensorcelantes des palais sous-marins, la plénitude muette et enchanteresse des abîmes. Elle lui promettait la caresse soyeuse d'un lit nuptial fait d'algues et de richesses opalines dont il ne pourrait jamais que rêver. Ainsi, il se laissa faire quand il sentit les mains voluptueuses courir sur son torse, emporté par ces délicates et ondoyantes visions. Pas plus qu'il ne résista quand il sentit les lèvres suaves venir goûter aux siennes, dans un extatique délice des sens...
Mais lorsqu'il rouvrit ses paupières, il sursauta face à la chose qui l’étreignait dorénavant avec une avidité menaçante. La séduisante créature qui l'avait attiré jusqu'ici prenait peu à peu l'apparence d'une monstruosité aquatique, aux cornes recourbées et aux crocs vénéneux, dont la poitrine s'ornait à présent de mamelles ornées de pics. Autour d'elle, l'eau du bassin bouillonnait en changeant peu à peu d'aspect. Terrifié, Tristan se débattit en tous sens, mais trop tard : les bras musculeux aux arrêtes coupantes le tractaient en arrière, plantant vigoureusement ses griffes dans son dos pour lui empêcher toute retraite.
Très vite, il fut à la merci de la chose et ses pieds quittèrent le sol. Malgré son peu d'attrait pour les questions charnelles, le charme maléfique avait opéré et l'emporterait sans nul doute dans la tombe.

Sa dernière vision avant de succomber à la créature lui apporta cependant un peu de baume au cœur : le liquide dans lequel il finirait ses jours n'était plus de l'eau mais bel et bien du mercure ! Au moins son ultime expérience n'aurait pas été totalement vaine.

J’adore ! Outre le fait que ton texte colle parfaitement à l’image, je suis enchantée du ton que tu as adopté, tu as su sortir de ta zone de confort avec brio ! Un texte court, bien campé niveau ambiance, de superbes descriptions immersives, poétiques et propices à une rêverie mystique. Il se tient de bout en bout et s’offre même la coquetterie de conclure sur une chute du plus bel effet ! La transition de la rêverie enchanteresse vers le glauque se fait naturellement, là on y reconnaît plus facilement ta patte.

On pourrait encore peaufiner quelques tournures (par exemple, je verrais plutôt « aussi, ce soir-là, versa-t-il...), quelques répétitions (ainsi) etc., j’ai repéré un présent et une coquille çà ou là, mais en l’état tu nous proposes déjà un travail bien léché !

Une mention spéciale à ce délicieux passage : «  Elle lui chantait les poèmes oubliés des courants, les litanies ensorcelantes des palais sous-marins, la plénitude muette et enchanteresse des abîmes. », c’est à la fois désuet et enchanteur, typiquement ce que j’attends de ce type de texte.

Merci pour cette charmante et charmeuse lecture !

Ahah, Corbac, ton enthousiasme fait toujours plaisir à voir !

Heureux que t'aies passé un bon moment.
Pour les tournures désuètes et le ton choisi, effectivement c'est ce que je cherchais et je pensais que ça collait assez bien avec l'idée d'un alchimiste des temps passés (et le cadre qui allait avec, bien sûr). Sortir de ma zone de confort, peut-être, c'est aussi ce que j'aime dans les ateliers : on va toujours chercher les idées là où on les trouveraient pas en temps normal et c'est ce que j'aime dans l'exercice.
Et d'ailleurs, je viens de m'en rendre compte, mais avec celui-ci, j'aurais donc écrit sur chaque atelier proposé dans cette section (dont quelques uns en plusieurs exemplaires lol). Je sais, il m'en faut peu pour être heureux

Grand merci à toi en tous cas, ton commentaire me fait réellement plaisir.
Et les autres : lâchez vous sur cet atelier, il y a vraiment de quoi faire !

Je suis désolé Tak, je viens tout juste de voir que tu avais un écrit un texte sur un de mes montages, je suis à la bourre d'un mois... o_O

Ça fait tout bizarre de lire quelque chose écrit à partir d'une de nos créa.
C'est à la fois embarrassant et très interessant, l'un dans l'autre ça fait un équilibre... x)

Mr.K : Oui c'est ce que je n'arrête pas de te dire ! 8D

Aah, c'est donc ça ce blabla inintelligible que m'assaille en continu... x)

J'ai bien aimé ton texte, il est parfaitement en adéquation avec l'image, c'est même plutôt bluffant, très réussi.

"La séduisante créature qui l'avait attiré jusqu'ici prenait peu à peu l'apparence d'une monstruosité aquatique, aux cornes recourbées et aux crocs vénéneux"

Voilà, c'est exactement pour cette raison que je ne m'approche pas de ces machins-là, au pire crois-moi bien que pour ma part je m'attache au mat... x)

Maya : Kirlian a peur des femmes #scoopdel'année ! : D

Mais les femmes sont flippantes, c'est une force centripète, dans l'absolu du principe elles veulent nous bouffer... x)

Mr.K : Oui mais dans l'absolu du principe on veut les emplir, donc tout va bien, boss ! 8D

Maya : xD !

... Tu sais qu'un trou-noir peut bouffer une étoile, gros malin ? x)


Maya :

Mr.K : Pas si le noyau émetteur de l'étoile est égal ou supérieur à la masse du trou-noir ! 8D

C'est bien, va expliquer ça à la NASA et lâche-moi ! x)

En tout cas merci Tak, ce qui me touche le plus c'est que tu as l'air de nous avoir bien cerné sur cet aspect (les craintes de l'esprit vis à vis des apparats de la chair). Quoi qu'on puisse penser de la façon dont on fonctionne, ça nous fait toujours plaisir de se sentir compris, merci. : )

Hello, Mnémo' !

Content que l'exercice t'aies plu. J'avais peur, justement, d'être tombé trop à côté et que tu n'y reconnaisses plus ta création d'origine. Mais de toute façon, en s'inspirant du travail d'un autre, on se heurte forcément à des obstacles de compréhension ou au risque de réinterpréter le truc à notre sauce en "trahissant" le matériau initial.
Si tel n'est pas ton ressenti, alors tant mieux

En revanche, l'aspect esprit vs. chair a été simplement induit par la nature du personnage, qui s'est imposée à moi dès les premières lignes... mais encore une fois, si tu t'y retrouves, alors ça me fait doublement plaisir !
Un jour, quand j'aurais le temps, je m'essaierai à d'autres images : y'a largement de quoi faire.