La forêt cliquetante (image 2)

La forêt cliquetante

« Saloperie d’arbre ! Monstruosité ! »
L’homme se tenait face à l’immense chêne. Sa respiration provoquait de légères bouffées de condensation. Sous sa barbe parsemée de gel, son visage était émacié.

L’homme avait perdu le compte. Depuis combien de jours était-il perdu dans cette forêt enneigée ?

D’un geste rageur, il jeta sa boussole contre l’arbre. L’objet percuta l’écorce dans un bruit métallique, et retomba dans la neige. Le cadran était fracturé. Mais de là où il était, l’homme pouvait tout de même percevoir l’aiguille. Cette dernière qui indiquait toujours la même satanée direction : celle de l’arbre. Cette aiguille qui désormais ignorait totalement l’existence du nord.

La tempête de neige s’amplifia. Le vent chahutait les cloches nouées aux branches. Ce cliquètement rendit l’homme encore plus fou. Il s’empara de sa hache et se lança contre l’arbre.  

La lame s’enfonça peu profondément dans l’écorce. L’homme ressentit une douleur dans le mollet droit, mais sous l’effet de l’adrénaline, n’y prêta pas attention.  Il retira son outil de l’arbre, puis le souleva bien haut pour donner plus d’élan à son prochain coup. Le métal s’enfonça plus profondément cette fois-ci. Un élancement vif l’atteignit à la hanche. Peut être avait t-il fait un mauvais mouvement dans sa rage. Mais il s’en fichait.

Il frappa, encore et encore. Son souffle devenait plus rauque à chaque coup. Et à chaque fois, son corps était de plus en plus endolori.

Soudain, le manche se brisa, laissant la lame enfoncée dans le tronc du chêne. L’homme poussa un cri de douleur et porta la main à son abdomen. Epuisé, il baissa la tête.

Ce qu’il vit brisa le dernier lien qui le retenait à la santé mentale.

La neige avait virée au vermeil. L’homme regarda sa main : elle aussi était rougie de son sang.

Effaré, il tourna le dos à l’arbre. Tout autour de lui, des chênes semblables à celui qu’il venait d’’attaquer. Tous avaient leurs branches ornées de clochettes. Jusqu’ici, il n’avait pourtant vu qu’un unique arbre. Il tenta de courir. Mais ses blessures rendirent ses mouvements laborieux. Il chuta dans le manteau neigeux. Ses plaies l’élancèrent. Il pivota pour se retrouver face au ciel. Ce dernier était aussi rouge que la neige teintée de son sang.

Et dans sa peine physique, le temps sembla s’arrêter.

Le vent souffla de nouveau. Il ferma les yeux. La forêt cliqueta de toutes ses clochettes.

Colère et souffrance le quittèrent soudainement. Il se sentit apaisé. Et dans son linceul froid, l’homme poussa son dernier souffle.

Lentement, une pousse de chêne s’éleva d’entre ses lèvres gercées. Et comme pour savourer les dernières lueurs du jour, elle étira doucement ses jeunes feuilles.

Ainsi le cercle des gardiens de la forêt cliquetante s’agrandit.