Prédation

Bon voilà, j'ai décidé de ne pas envoyer celui-là, dont je ne suis pas encore complètement satisfait (notamment ce titre, que je n'aime pas des masses). Du coup, je vous le propose ici.
Un court texte entre l'essai et la poésie (enfin je crois).
Of course, si vous voyez des choses qui vous agressent la rétine, n'hésitez pas à le surligner trois fois au stabilo !

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Qui a vu le tigre ?
Une présence intrusive, comme les prémices d'un colon rectal.
Il se glisse aux petites heures de la nuit, quand le sommeil nous fuit.
Le matin, quand on se demande quelle raison nous pousse à nous lever.
En serrant la main des collègues qui nous regardent de haut – détenteurs d'une vérité existentielle qui nous aurait échappé.

Qui a vu le tigre sortir de la jungle ?
Celui qui chasse et qui dévore.
Celui qui se repaît de la faiblesse, du doute, de la précarité – pour ne l'ayant lui-même jamais éprouvé.
Celui qui nous saute à la gorge dès lors qu'on ne marche pas à ses côtés.

Se cache-t-il sous des atours respectables ?
Est-ce le connard qui te serre la main, débitant ses discours d'homme blanc alpha-névrotique ?
Est-ce l'anonyme qui te canarde dans l'ombre, embusqué dans les frondaisons du consumérisme ?
Est-ce le vendeur de rêve qui te fauches les derniers deniers de ta sueur, le cul vissé à son fauteuil molletonné ?

Qui a pointé sur lui le viseur ?
Qui ose s'en prendre au carnivore adulé des col-blancs et des mandataires ?
Qui l'a vu croquer à pleines dents les fruits du labeur et amorcer les prémices de l'effondrement, sans bouger d'un pouce ?
Qui l'a vu se délecter des scandales, des évasions détaxées en retroussant les babines ?
Qui a compté ses rayures fauves évoquant des barreaux de prison ?

J'ai vu un tigre et il réclame pitance.
Je me suis arraché un bras pour l’étouffer avec : est-ce que cela suffira ?
Le cas échéant m'en restera toujours un deuxième, lesté d'un majeur forgé dans le titane de mes convictions.
Qu'il le bouffe ou non, celui-là lui restera en travers de la gorge.