Un corps modèle
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Un corps modèle
Celui-ci est le sixième que j'ai écrit sur le thème du concours. Il me semble trop convenu, histoire déjà souvent déclinée, même si j'aime bien le ton que j'ai réussi à lui donner. En me décidant à le mettre ici, je l'élimine ainsi de mes choix pour le concours, et c'est très bien, ne m'en restera que quatre à départager.
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- Spoiler:
- Un corps modèleIl la regarde, allongée sur la couche, sans nul artifice, juste elle, sur un matelas, rien qui puisse distraire l’attention de l’observateur. Elle est belle. Si belle. Et il la magnifie encore.
Devant sa toile, armé de ses pinceaux, ustensiles dédiés à l’exaltation de son art, il peint. Il jette des crèmes pour la peau, qu’il rehausse d’ombres délicates, améliore le rouge d’une bouche gourmande, corrige la blondeur ensoleillée de la chevelure. Chaque détail est soigné, repris, ciselé. Il le sent, il approche de la perfection.
La femme quémande une pause, muscles engourdis, nuque raide. Il n’y réfléchit même pas, refuse. Il ne peut s’arrêter, pas maintenant. Trop près de son but, sortir de cet état de transe gâcherait tout, il le sait.
Le modèle soupire, mais n’ose insister, la tension du peintre la paralyse. Elle obéit, redresse le visage, bombe sa poitrine, écarte un peu les jambes. Sublime fragilité offerte.
Jusqu’à présent, elle n’a pu regarder le portrait. Malgré ses demandes, l’artiste reporte le moment. Il invoque la pudeur des hommes de création. Elle le croit, bien sûr, tous ces gens ont des marottes saugrenues, celle-ci est bien inoffensive. Tant qu’il ne tente pas de la séduire, le reste, elle s’en fout, l’argent a dissous ses derniers scrupules. Méfiante, au début, la jeune fille s’est peu à peu relaxée. Son hôte ne la voit que comme source d’inspiration. Ses formes dénudées et étalées, affriolantes, ne lui font aucun effet. Elle a trouvé ça bizarre d’abord, mais qu’en sait-elle, c’est sa première fois, elle ne peut comparer. C’est aussi ce qui a attiré l’esthète, elle est vierge d’expérience, il a bien insisté là-dessus. La naïveté, la timidité, et la maladresse de la candidate l’ont convaincu. Depuis, il dessine.
Des heures déjà. La matinée s’est écoulée, puis l’après-midi, le soir tombe doucement, la jeune fille fatigue, mais l’homme insiste, il n’en a plus pour longtemps, quelques minutes encore, il peine un peu sur les yeux. Il cherche à sublimer le bleu, lui rendre l’étincelle unique qui brille dans le regard d’Anaïs, n’y parvient pas, s’énerve, et se détend tour à tour. Il ne manque que ça pour finir le travail, réaliser son œuvre la plus aboutie.
Le peintre pose ses pinceaux, s’approche de la jeune fille, soulève son menton, plonge dans ses pupilles, dans son âme, fouille pour y découvrir la nuance exacte. De longues minutes passent, son modèle rougit, tente de baisser la tête pour échapper à l’inquisition d’un homme qui lui semble soudain fou, mais la poigne est ferme, ne relâche pas son étreinte. Alan reste insatisfait, contrarié. Puis, au bout d’un temps indéfini, il sourit, délaisse Anaïs, retourne à son chevalet.
Il ajuste ses derniers coups de pinceaux, peaufine quelques broutilles, pose ses outils, et éclate d’un rire dément.
— J’y suis enfin ! Enfin !
La jeune fille hésite, puis se décide, se lève, prudente, et parcourt la distance qui la sépare de son effigie. Elle a le cœur qui bat, inquiète de se découvrir. L’artiste semble se réveiller d’un rêve, remarque sa présence à quelques pas, lui fait signe :
— Viens, viens donc ! Viens voir le résultat.
Débarrassé de la fièvre créatrice, il ressemble à n’importe qui d’autre, ni beau, ni laid, juste banal, sans cette aura qui tétanisait Anaïs. Qu’elle était bête de se laisser impressionner ainsi.
Tandis qu’elle s’approche, l’homme semble enfin prendre la mesure de ses rondeurs appétissantes, il la caresse du regard. Mais ce regard paraît plus affectueux et reconnaissant qu’excité. La jeune fille n’a plus peur ; impatiente de voir la toile, elle fait les derniers pas, baisse un peu les paupières, pour repousser un ultime instant le plaisir de la surprise.
Lorsqu’elle s’observe enfin, elle sursaute. Est-il possible qu’elle soit aussi belle ? Elle se reconnaît, bien sûr, mais en même temps a l’impression de faire face à une autre. Presqu’une déesse. Elle tend les doigts, puis les retient.
— Vas-y. Tu peux toucher. Évite juste les yeux. Le reste est sec.
Autorisée, elle pose le bout de son index sur la courbe de sa hanche reproduite, glisse le long de la cuisse, remonte, et effleure l’abdomen ferme et lisse. Sous ses phalanges, l’image frémit.
La jeune fille ne se rend plus compte de rien, captivée. L’être magnifique sous sa paume prend peu à peu vie, se secoue, se remplit de consistance, s’extirpe du tableau. Anaïs a perdu son libre-arbitre. Sait-elle seulement ce qui se passe ?
La femme, maintenant totalement sortie du cadre, enlace son modèle comme le ferait une amante, approche sa bouche des lèvres entrouvertes d’Anaïs, tandis que son souffle se raréfie. Le baiser, doux et léger, se fait vite insistant, vorace.
De longues minutes plus tard, Anaïs repose sur le sol, vidée de sa substance, sorte de tissu desséché, informe. Ne reste que la création, pleine de vie, à laquelle l’artiste tend les bras.
L’amoureux fou savoure l’étreinte de son épouse.
Pour un temps. Bientôt, il lui faudra reprendre les armes pour la peindre à nouveau.
Re: Un corps modèle
J'aime beaucoup ce texte-là ^^ Surtout que le peintre et son modèle ou seulement le peintre fut une de mes sources d'inspiration pour plusieurs de mes nouvelles. De ce sujet, je trouve que tu en as fait quelque chose d'original. Bravo !
Re: Un corps modèle
Merci de ta lecture Françoise. Je l'aime bien ce petit texte, mais j'ai trouvé que l'idée n'était pas assez originale et déjà beaucoup exploitée dans le monde de la sfff.
Re: Un corps modèle
J'adore ce texte, il est sensuel dans une veine fantastique, c'est une belle réussite. Mais histoire d'aller chercher la petite bête : pourquoi alors qu'il semble que le tableau ait été peint en une journée et d'une seule traite, comment tient une jeune femme qui n'a jamais été modèle, l'immobilité sur une longue période demande de l'entrainement. Par ailleurs, si elle n'a pas bougé de sa place, à aucun moment elle n'a pu avoir l'oppotunité de demander à voir le travail. Mais bien sûr c'est un détail, juste là où se cache le diable.
Perroccina- — — — — E.T à moto — — — — Disciple asimovienne
- Messages : 4109
Date d'inscription : 26/12/2012
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Localisation : Béarn
Re: Un corps modèle
Merci Perro. J'ai jamais posé comme modèle, je n'ai donc pas pensé que cette posture sur une aussi longue période pouvait être impossible à tenir. Je rectifierai ce point.
Par contre, ce n'est pas parce qu'elle n'a pas bougé qu'elle n'a pas pu demander à voir son portrait.
Par contre, ce n'est pas parce qu'elle n'a pas bougé qu'elle n'a pas pu demander à voir son portrait.
Re: Un corps modèle
Je n'ai jamais été modéle non plus mais c'est une chose dont j'avais entendu parlé, ça et le fait qu'un modèle n'interromp pas une séance pour aller regarder le travail du peintre. Certes elle est novice. Mais bref ce sont des détails. L'idée qui porte ce texte est très bien trouvée.
Perroccina- — — — — E.T à moto — — — — Disciple asimovienne
- Messages : 4109
Date d'inscription : 26/12/2012
Age : 59
Localisation : Béarn
Re: Un corps modèle
Oui, c'est un très beau texte, avec des mots justes, un suspense qui prend son temps et nous donne envie de voir l'oeuvre finale. Quelle prouesse d'être parvenue à écrire 6 textes sur ce thème... alors que certains peinent sur un !
En tout cas bravo Catherine
En tout cas bravo Catherine
Re: Un corps modèle
Même si la situation générale du récit a été mille fois utilisée, il faut reconnaître que tu as soigné ton final. Déjà, l'idée de la vampirisation n'est pas évidente dès la première ligne, mais en plus, la dernière phrase vient apporter un surplus de background vraiment inattendu. Je trouve. Donc, bonne idée, et en plus, bon développement car c'est bien écrit, très progressif... efficace, en un mot !
Re: Un corps modèle
Merci. Je le trouve classique, mais je l'aime beaucoup quand même. En fait, dans tous ces petits récits que j'ai écrits suite au concours, je me suis surprise à en apprécier pour tous le ton. Ce qui est encourageant car ce n'est pas toujours le cas. Souvent, le ton de mes textes me déplaît. Ici ce n'est pas le cas, j'ai eu à chaque fois l'impression de le trouver sans problème, et de le garder tout au long des quelques 5000 signes.
Re: Un corps modèle
Ce texte m'a fait penser au mythe de Pygmalion (et Galatée, à laquelle il donne vie). Hasard ou influence ?
Re: Un corps modèle
Tiens, je l'avais loupé celui-là !
Très joli texte, fluide et parfaitement calibré, qui glisse comme un coup de pinceau sur la toile. La chute et la note finale m'ont bien plu aussi, avec cette irruption soudaine du fantastique et de l'étrange, très bien dans le ton.
J'ai juste tilté sur le "Presqu'une déesse", lorsque le modèle découvre son portrait, mais peut-être que cette forme est grammaticalement correcte, je suis pas certain...
Hormis cette broutille, un texte vraiment réussi et dans un registre plus "léger" que ce que tu as l'habitude de nous proposer. Pour le coup, ça ne m'a pas déplu, au contraire !
Très joli texte, fluide et parfaitement calibré, qui glisse comme un coup de pinceau sur la toile. La chute et la note finale m'ont bien plu aussi, avec cette irruption soudaine du fantastique et de l'étrange, très bien dans le ton.
J'ai juste tilté sur le "Presqu'une déesse", lorsque le modèle découvre son portrait, mais peut-être que cette forme est grammaticalement correcte, je suis pas certain...
Hormis cette broutille, un texte vraiment réussi et dans un registre plus "léger" que ce que tu as l'habitude de nous proposer. Pour le coup, ça ne m'a pas déplu, au contraire !
Tak- Mélomane des Ondes Noires
Disciple des Livres de Sang - Messages : 6299
Date d'inscription : 01/12/2012
Age : 41
Localisation : Briançon, Hautes-Alpes
Re: Un corps modèle
J'ai aimé ce texte, ses descriptions et les personnalisations, mais j'ai trouvé la fin trop brutale. J'aurais souhaité que le caractère fantastique fût amorcé en amont. My 2cents, comme on dit. Ça reste un très bon texte.
Re: Un corps modèle
Merci de ta lecture Hellaz. Un petit texte vite écrit, au moment du concours HS Corps que j'avais laissé au profit d'un autre parce que je le trouvais un peu trop classique. Il a failli être publié chez Malpertuis, mais, après réflexion, Thomas Bauduret lui a préféré un autre que je lui avais envoyé en même temps (également écrit au moment du même concours).
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