"Vous avez un nouveau message"

VOUS AVEZ UN NOUVEAU MESSAGE.
“Salut, ça va ?”
Mes doigts se figent sur le clavier.
Non.
Non, ça ne va pas.
Je n’ai pas envie d’une énième discussion banale uniquement alimentée par nos maigres exploits du quotidien. La journée a été suffisamment longue et morose pour que je n’ai pas envie de la ressasser en l’agrémentant des mêmes pointes d’humour que la veille pour te faire glousser derrière ton écran.
Tu ne trouves pas ça absurde ?
Je ne veux pas des frissons bons marchés et de ces anecdotes au rabais… Tu n’en a pas assez de ces soldes sentimentales, de cette soupe populaire du coeur ?

Ne me répond pas. Je sais très bien ce que tu en penses : Toi aussi tu en as marre.
N’aimerais tu pas qu’un de ces soirs, nous franchissons le pas de nos portes pour nous retrouver et nous offrir quelques moments de luxe émotionnel ?
Et si, l’espace d’une soirée, nous nous saoulions de la douceur des nuits estivales, du feu de l’alcool, de nos reins, de nos bouches en croissant ?
Et si on ouvrait un sachet de madeleines de Proust ? Raconte moi tout, ton enfance, tes rêves idiots, tes plus grandes hontes, tous les mensonges que tu as racontés pour ne pas te faire punir… Je te dirais tous les morceaux qui me donnent des frissons, ce qui me tient éveillé tard le soir, mes faiblesses et mes plus grands éclats verbaux…

Je veux tout t’entendre dire et te dire tout ce qui me passe par la tête, je veux que nous nous allongions dans l’herbe ou sur un toit pour chanter et rire.
Montre moi comme ton esprit est riche, complexe et torturé, apprend moi ton corps et tes courbes mais aussi tes travers, tes défauts, tes faiblesses.
Quitte à ce que nous soyons nus, retirons aussi tout ce qui n’est pas d’étoffe… Faisons de ce soir une nuit dont nous ne reparlerons jamais mais que nous aimerions revivre un jour.

Gravons nos cerveaux et nos peaux de ces nuit magiques pendant lesquelles tout semble possible, faisons de tous nos fantasmes des souvenirs flamboyants qui briseront les ampoules de tous les lampadaires et les néons. Marquons notre passage, notre territoire : ce soir le monde est à nous ! Soyons souverains de cette nuit fantasmagorique ! Dès l'aube nous abattrons le soleil pour ne plus jamais revoir le ciel grisâtre qui marque le début d'une nouvelle journée.
Alors qu'en dis-tu ? N'est-ce pas plus palpitant ? Plus beau qu'une énième conversation pour ne rien dire, qu'une sempiternelle soirée devant un écran trop blanc ?
Seras-tu ma reine de la nuit ? Reine de mes nuits, princesse de nos longues embrassades ? Veux-tu cesser cette cour factice et insensée à laquelle nous nous adonnons depuis trop longtemps déjà ?

Hélas, j’ai de beaux mots, mais peu de courage.
“Coucou, ça va bien et toi ?”

Ça me rappelle un peu les débuts d'internet avec AOL et ses "bienvenue, vous avez des emails" qui me tapaient sur le système. J'ai été prise tout de suite, peut-être parce que le sujet me parle énormément, j'ai eu l'impression de m'y retrouver, une tranche de vie. Et la chute, qui m'a fait retomber comme un soufflé , j'étais bien embarquée, ça en devenait lyrique, et pouf, on retombe dans la routine. J'ai trouvé ça excellent ! Et je ne peux m'empêcher de penser à l'autre, derrière son propre écran, peut-être tout près ou à des milliers d'années-lumière du narrateur. Et à tout ce qu'un simple bip de messagerie peut comporter comme attentes, angoisses, plaisirs anticipés et espoirs. Ou déceptions. C'est très bien rendu et sur un format ultra-court, alors je salue le travail et la dextérité de l'exercice.
Par contre, il demeure quelques fautes, il est moins relu que tes autres textes.

"À bientôt" (voix aolienne) (mais tu n'as pas dû connaître cette glorieuse époque du modem 56k).

J'ai adoré. Ça m'a embarqué aussi. Je me doutais que la fin serait ainsi, un retour à la réalité brute, mais ça ne m'a pas gêné. J'ai aimé le chemin pour y arriver autant que la destination finale.
Très bien écrit, très bien pensé et très bien mené.

Je m'y suis retrouvé aussi assez vite, pour avoir déjà eu des pensées similaires avec certains contacts qui venaient juste dire "ça va ? quoi de 9 ?" et puis plus rien.

Quelques fautes survivent, en effet, mais j'en ai pas non plus remarqué énormément. J'ai retenu que "nos maigres exploits du quotidiens" en fait.

Bref, excellent texte, je plussoie Raven !

Non mais ! Cessez de me traiter comme un enfant : J'ai connu les modems AOL et les pages Web qui mettaient quatorze ans à se télécharger jusqu'en 2007 parce qu'on était pauvres haha !

En tous cas, merci pour vos commentaires, je vois que vous avez bien saisi mon propos et ça fait très plaisir ! J'ai torpillé ces saloperies de coquilles mais il doit encore en rester !

Mea culpa, je pensais que Free avait signé l'arrêt de mort d'AOL vers 2002. Du coup, je me sens moins vieille.

Pour la peine, les dernières irréductibles :
que je n'aie - bon marché (invariable) - tu n'en as - soldes sentimentaux - ne me réponds pas - nous franchissions - comme ton esprit = combien ton esprit - apprends-moi - nuits magiques -

Du coup, je viens de le relire, et ça me fait le même effet, très très bon !

Dis-toi qu'on vivait dans une petite bourgade de la France profonde et que nous n'avions pas le sou ! La première fois que j'ai rencontré un arabe, j'avais 13 ans ! Te dire si c'était pas la campagne absolue !

Ho merci merci beaucoup ! Je vais les liquider !

J'aime beaucoup cette tranche de vie si près de ce que les jeunes peuvent vivre : je peux le dire
Il n'y avait pas tout ça (internet, Facebook, les rézos sociaux) quand j'avais 16 ans et même après... Juste le courrier et le tél ! On s'écrivait, nous, de longues lettres tarabiscotées - surtout les miennes - lorsque j'étais à l'internat : à ne pas confondre avec internEt. Je ne revenais que tous les 15 jours à Troyes)

Je trouve très bien finalement d'avoir connu les deux. Et l'un n'empêche pas l'autre, je peux encore écrire de longues lettres d'amour tarabiscotées cachetées à la cire ou des sextos qui feraient rougir Esparbec

Et toi aussi, même si tu n'as plus 16 ans !

Une version moderne et décomplexée de "l'invitation au voyage" de Baudelaire. Frais et sympa.
(4 "coquillettes" de conjugaison : pour que je n'ai(e)... tu n'en a(s) pas... ne me répond(s) pas... apprend(s)-moi... Et je pense que "bon marché" est invariable, mais tu es en net progrès.)