BAR À MOI

Agnès lui avait donné un rancard ! Il n’en revenait pas ! Depuis le temps qu’il correspondait avec cette nana… Il avait tout fait pour l’amadouer, pour la faire craquer. Il y était presque. Il salivait d’avance à l’idée de la mettre dans son lit. Ses mots cochons sur « Adopte un mec » l’avait branchée apparemment. Il était le roi des dragueurs, elle ne pourrait résister. D’accord, il était en couple mais bon sang, sa femme voulait le quitter définitivement. Pourquoi lui faisait-elle cet affront ? D’ailleurs elle avait pris sa valise et n’était pas réapparu depuis… Presqu’au moment où il s’était inscrit sur les sites de rencontre, il y eut de l’eau dans le gaz. Est-ce qu’elle était au courant qu’il la trompait ? Et alors, il n’en avait que faire ! Lui le mâle devait assouvir ses besoins sexuels qu’elle lui refusait de plus en plus souvent. Qu’est-ce qu’une petite gâterie chez une pute pouvait bien faire ?
Mais cela ne le satisfaisait pas tout à fait. Le commerce de l’amour tarifié ne lui convenait qu’à moitié. Ce qui le branchait était de contrôler sa chérie, la surveiller jour et nuit, qu’elle soit à lui entièrement, qu’elle rampe à ses pieds. Et sa salope de femme ne comprenait pas qu’elle devait s’y faire. Il pouvait être violent. Pourquoi résistait-elle ?  

Il regarda le papier où il avait noté l’adresse : Café des Lilas. Il avait dû chercher sur Itinéraire Michelin car il ne connaissait pas l’endroit. Les abords de l’établissement semblaient peu fréquentés. À cette heure, 22 heures un samedi soir c’était surprenant.
Il entra dans le bar qu’il trouva sans charme. C’était sûrement pour ça qu’il n’y avait personne car il s’aperçut que le boui-boui était vide. Le silence qui régnait dans la salle le surprit. Pas de musique, rien. Ce n’était pas normal.
Qu’est-ce que ça voulait dire ? Il traversa l’espace, pensant voir Agnès dans un renfoncement où des banquettes attendaient des fesses bien faites. Non, il était le premier. Il observa autour de lui et se rendit compte que ce lieu respirait la médiocrité et le mauvais goût. Le mobilier datait d’avant-guerre, puait le formica. Les couleurs choisies pour la déco, il n’en aurait pas voulu pour ses chiottes, du vert lavasse ou jaune pisseux, il n’aurait su trancher. Une pauvre suspension métallique se balançait toute seule comme une âme en peine.  Une invitation à se pendre.

Est-ce qu’on allait lui faire le coup de la caméra cachée ? Pas de clients, pas d’Agnès, c’était louche.

Il allait repartir quand une fille apparut : une bombe. Elle avait surgi de derrière le comptoir et approchait à pas lents vers une table haute où il se tenait debout, figé.
Ses yeux fixaient la poitrine généreuse qui ondulait à chaque enjambée. Le décolleté plongeant affolait ses sens. La déambulation sensuelle de la barmaid faisait monter son excitation à un niveau critique. Elle ouvrit sa bouche rouge écarlate si sensuelle qu’il oublia pourquoi il était là. Et même s’il s’en souvenait, rien ne comptait plus que d’essayer de la draguer.
— Vous désirez ?
Il faillit dire sa pensée profonde mais il voulut retarder un peu ce moment. Boire quelque chose devenait urgent. Il répondit, une lueur coquine dans le regard :
— Vous, euh, un whisky et plus si affinité.
— O.K. mon chou.
Elle s’éloigna en tournant du cul. Il lorgna ses fesses sublimes moulées dans une mini-jupe en simili cuir noir. Ses jambes divinement galbées étaient valorisées par des bas soyeux. Il espérait que ce soit des bas, pas des bêtes collants. Il se voyait déjà les faire glisser le long de ses cuisses blanches qu’elle lui laisserait caresser. Elle serait ouverte à sa lubricité.
Tout à ses fantasmes, il l’avait perdue de vue et d’un coup un verre se posa devant lui. Des doigts aux ongles manucurés enserraient la base de la chope. Ils montaient et descendaient d’une manière équivoque. Puis ils se dégagèrent du pied et soulevèrent un autre verre. La voix suave se fit caressante :
— On trinque ? À ta santé !
Ils firent tinter leurs verres et burent de concert. Il trempa ses lèvres dans le liquide ambré. Il l’avala d’un trait. N’y tenant plus il voulut engager la conversation :
— Tu es seule dans la vie ?
— Oui, mon gros et j’aime ça.
Un piquet aurait été moins raide que lui et que son entre-jambe à ce moment précis.
—  Tu aimes la baise, c’est ça ?
— Aussi mais surtout être seule, tu vois mec. Attends, tu es bien l’ex de Sandra ?
La douche froide. Elle connaissait le prénom de celle qui l’avait laissé en plan. Il fit celui qui ne saisissait pas.
— Qui c’est celle-là ? On s’en fout !
Tout d’un coup, il se sentit nauséeux. Sa tête et son estomac allaient éclater. Une seule chose occupait son esprit à présent : se lever et courir aux toilettes, vomir ses tripes. Mais il n’en avait pas la force. Il glissait au sol quand la serveuse lui balança :  
— Spéciale dédicace de ta meuf, sale pervers ! J’ai mis du poison dans ton alcool, c’est tout ce que tu mérites !

Agnès qui était la barmaid chercha le numéro de sa copine :
— Mission accomplie ma biche, il est raide mort le débile… J’appelle quand même le SAMU mais ça m’étonnerait qu’il en réchappe. Non… J’dirai qu’il s’est écroulé sous mes yeux. T’inquiète… Oui… Arrêt cardiaque.