Sarracenia

  La journée s’achevait. Le soleil commençait à se fondre avec l'horizon. Un tintement résonna dans l'établissement. Dans l'encadrement de la porte, la silhouette d'un homme se dessina sur le coucher de soleil.
  Il marcha entre les tables vides qui le séparaient du vieux comptoir en zinc. Une femme se tenait derrière ce dernier. Assise sur un tabouret, elle leva ses yeux bleus perçants de son livre pour les poser sur le nouveau venu.
  -Bonsoir, je peux vous aider ?
  Sa voix était douce.
  -Bonsoir,répondit l'étranger tout en s'asseyant. Une pression s'il vous plaît.
  -Bien sûr.
  La femme se leva, prit un verre sur une étagère derrière elle. De longs cheveux bruns lui tombaient jusqu'à la taille. Ses doigts -si fin- tirèrent sur le robinet de bière. Le liquide doré coula dans le verre. L'écume de la boisson monta jusqu'au rebord du verre sans le dépasser. Elle stoppa le robinet, et posa le verre devant lui.
  -Peu de clients à ce que je vois, fit remarquer l'homme.
  -Vous savez, c'est un petit village... A part les habitués, il n'y pas grand monde ici. De temps en temps, quelques passants comme vous, mais c'est rare.
  Les dernières lumières du jour ambraient légèrement la bière. Il la saisit, et l’amena à ses lèvres. Il observa la jeune femme, ses yeux bleus, ses longs cheveux -dont une mèche descendait délicatement dans son décolleté. Il avait l'impression que la température de la salle montait.
  -Pourtant, le bar est complètement vide, même des ses habitués. Difficile à croire quand l'on voit cette si belle serveuse.
  Elle rit légèrement, et rajouta sur le même ton :
  -C'est parce que c'est bientôt l'heure du dîner, voilà tout. Leur ventre prend le dessus sur leur envie de se rincer l’œil.  
  L'étranger sourit, et ne trouva rien à ajouter.
 Il avait tellement chaud. Il défit le nœud de sa cravate et laissa aller son regard d'un bout à l'autre du bar. Ses yeux s’arrêtèrent sur un pot de fleur posé sur un coin du comptoir.
  -Vous aimez les plantes carnivores ?
 -Oui, répondit-t-elle. Elle me passionne. Je suis impressionnée par les capacités de la Nature à s'adapter par la mutation. Je lisais justement un livre sur les plantes carnivores et leur génétique avant que vous arriviez. S'adapter ou mourir. C'est la seule et unique loi depuis la nuit des temps.  
  L'homme fixa la femme. Elle était étrange, mais sans qu'il comprenne pourquoi, il était attiré. Il avait envie d'elle. Et puis il y avait cette impression d’étouffer.
  -A quelle heure se finit votre service ? Vous faites quelque chose après ?
  -Hum...Je vois, où vous voulez en venir, mais...je tiens à vous le dire, ça ne sera pas possible...
L'homme tomba de haut. Mais quel con il était... Il se sentait vraiment confus.
  -Désolé, vraiment... Vous devez sûrement être avec quelqu'un...
  -Non, ce n'est pas ça...C'est juste que, dans quelques minutes vous serez mort.
  -Pardon ?
  -Dans moins d'une minute, vous allez perdre connaissance, vos fonctions vitales vont ralentir, et votre cœur va finalement s’arrêter. La bière était empoisonnée.
  -Mais...
  Il essaya d'articuler, mais sa langue s'engourdissait.
  -Mais pourquoi ?
  Elle rit légèrement, de la même façon que la première fois. Sauf qu'un sourire carnassier c'était formé sur son visage.
  -Je vous l'ai dit. C'est bientôt l'heure du dîner. Et on a tous tellement faim !
  Sa vision se troubla, il se sentit glisser. Sa main percuta son verre, qui en touchant le sol se brisa. Avant de tomber dans l'inconscience, il entraperçut des hommes en tenue de boucher rentrer dans l'établissement.
  « Voilà les habitués. » pensa-t-il.