L'experte-comptable
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L'experte-comptable
Petit essai de narration à la deuxième personne. J'attends vos avis !
Tu es venue ce matin-là, souriante, joyeuse, pimpante, comme tous les matins depuis dix ans. Tu t'es assise à ton bureau (le plus décoré de l'open-space) un café allongé fumant dans ton mug "Life is beautiful". Tu as commencé ton travail rébarbatif d'experte-comptable.
Combien de fois t'es-tu assise à ce bureau sans savoir qu'il te regardait de loin, l'oeil vif et l'oreille à l'affut ? Des milliers surement.
Ce matin n'était pas différent des autres. Tu as pianoté deux heures sur ton clavier avant de sortir fumer ta cigarette puis tu es revenu et a recommencé les mêmes gestes jusqu'à la pause-déjeuner. Tu es sortie, une heure exactement. Tu as été acheter ton sandwich au poulet, celui que tu prends chaque jeudi, à la boulangerie d'en face et tu l'as mangé, assise sur le banc, toujours le même, au milieu du parc.
Cette fois non plus tu n'as pas su qu'il te regardait, toujours caché, invisible parmi la foule.
Tu es retournée au bureau pour l'après-midi entrecoupé de deux nouvelles pauses cigarettes. Pendant la deuxième, tout a basculé. Celui qui t'avait tant regardé t'as approché, est venu te voir et t'as demandé une cigarette. Tu l'avais déjà croisé au bureau, mais tu n'avais jamais prêté attention à ce jeune homme, tellement commun qu'aucun signe distinctif ne venait le différencier d'un autre quidam que tu aurais croisé au supermarché. Tu lui as souri et tendu cigarette et briquet.
Tu as senti avant de l'entendre, le coup de feu qu'il t'a tiré dans le cœur, à bout touchant. Alors que tu t'écroulais au sol, tu as eu quelques secondes pour sentir la douleur fulgurante dans ta poitrine et le bruit des gens qui hurlaient autour de vous. Tu as senti le béton sous ta tête et le froissement de ta jupe. Toi, si ordonnée. Ta dernière pensée fut pour ce vêtement qui, l'as-tu espéré, serait repassé pour passer devant Saint-Pierre.
Tu n'as pas entendu les quelques mots qu'il a prononcés à ton oreille "Si je ne peux pas t'avoir vivante, je t'aurais morte." Et tu n'as pas vu qu'il se tirait une balle dans la bouche. Tu étais déjà loin, par delà les mondes connus. Une seule plaque sur ta tombe : "À toi, notre collègue.". Ton enterrement fut triste pour le curé : seuls quelques-uns de tes collègues étaient présents, tu n'avais plus aucune famille et aucun ami. Personne ne le savait. Ton agresseur ignorait que l'homme qui t'avait pris dans ses bras la semaine passée, qu'il avait pris pour son rival, tu ne le connaissais pas. Tu l'avais juste réconforté sur le banc, au milieu du parc où tu passais tous tes midis parce qu'il pleurait. Tu avais compris sa solitude.
Tu es venue ce matin-là, souriante, joyeuse, pimpante, comme tous les matins depuis dix ans. Tu t'es assise à ton bureau (le plus décoré de l'open-space) un café allongé fumant dans ton mug "Life is beautiful". Tu as commencé ton travail rébarbatif d'experte-comptable.
Combien de fois t'es-tu assise à ce bureau sans savoir qu'il te regardait de loin, l'oeil vif et l'oreille à l'affut ? Des milliers surement.
Ce matin n'était pas différent des autres. Tu as pianoté deux heures sur ton clavier avant de sortir fumer ta cigarette puis tu es revenu et a recommencé les mêmes gestes jusqu'à la pause-déjeuner. Tu es sortie, une heure exactement. Tu as été acheter ton sandwich au poulet, celui que tu prends chaque jeudi, à la boulangerie d'en face et tu l'as mangé, assise sur le banc, toujours le même, au milieu du parc.
Cette fois non plus tu n'as pas su qu'il te regardait, toujours caché, invisible parmi la foule.
Tu es retournée au bureau pour l'après-midi entrecoupé de deux nouvelles pauses cigarettes. Pendant la deuxième, tout a basculé. Celui qui t'avait tant regardé t'as approché, est venu te voir et t'as demandé une cigarette. Tu l'avais déjà croisé au bureau, mais tu n'avais jamais prêté attention à ce jeune homme, tellement commun qu'aucun signe distinctif ne venait le différencier d'un autre quidam que tu aurais croisé au supermarché. Tu lui as souri et tendu cigarette et briquet.
Tu as senti avant de l'entendre, le coup de feu qu'il t'a tiré dans le cœur, à bout touchant. Alors que tu t'écroulais au sol, tu as eu quelques secondes pour sentir la douleur fulgurante dans ta poitrine et le bruit des gens qui hurlaient autour de vous. Tu as senti le béton sous ta tête et le froissement de ta jupe. Toi, si ordonnée. Ta dernière pensée fut pour ce vêtement qui, l'as-tu espéré, serait repassé pour passer devant Saint-Pierre.
Tu n'as pas entendu les quelques mots qu'il a prononcés à ton oreille "Si je ne peux pas t'avoir vivante, je t'aurais morte." Et tu n'as pas vu qu'il se tirait une balle dans la bouche. Tu étais déjà loin, par delà les mondes connus. Une seule plaque sur ta tombe : "À toi, notre collègue.". Ton enterrement fut triste pour le curé : seuls quelques-uns de tes collègues étaient présents, tu n'avais plus aucune famille et aucun ami. Personne ne le savait. Ton agresseur ignorait que l'homme qui t'avait pris dans ses bras la semaine passée, qu'il avait pris pour son rival, tu ne le connaissais pas. Tu l'avais juste réconforté sur le banc, au milieu du parc où tu passais tous tes midis parce qu'il pleurait. Tu avais compris sa solitude.
Dernière édition par Nao76 le Mar 24 Mai 2022 - 20:17, édité 1 fois
Comment a-t-il fait pour paraître si normal ? C'est ça le plus atroce . Qu'il soit si ... sympathique .
- Les psychopathes arrivent à tromper tout le monde .
- Les psychopathes arrivent à tromper tout le monde .
Le dompteur de lions, Camilla Läckberg
Nao76- Écritoirien émérite stagiaire
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Date d'inscription : 26/08/2017
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Re: L'experte-comptable
Atelier totalement réussi en ce qui me concerne. Simple et efficace, sombre et tragique sans forcer.
A la limite, je me serais peut-être arrêté à "Personne ne le savait". Les quelques lignes suivantes cassent un peu la scène finale avec ce retour en arrière, je trouve. Mais l'ensemble reste fluide et entraînant.
A la limite, je me serais peut-être arrêté à "Personne ne le savait". Les quelques lignes suivantes cassent un peu la scène finale avec ce retour en arrière, je trouve. Mais l'ensemble reste fluide et entraînant.
20 minutes avant la tombe - Confession d'un mort - Les rêveurs de Somnore - La nuit derrière la porte - La dame aux yeux vides
"Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher." Baudelaire, Chacun sa chimère
Re: L'experte-comptable
Murphy Myers a écrit:Atelier totalement réussi en ce qui me concerne. Simple et efficace, sombre et tragique sans forcer.
A la limite, je me serais peut-être arrêté à "Personne ne le savait". Les quelques lignes suivantes cassent un peu la scène finale avec ce retour en arrière, je trouve. Mais l'ensemble reste fluide et entraînant.
Merci beaucoup Murphy !
J'ai hésité à m'arrêter au même point, mais j'ai trouvé qu'il manquait l'explication du geste de l'homme. Je trouvais que sans expliquer pourquoi il la tuait, ça manquait vraiment d'un truc...
Merci encore !
Comment a-t-il fait pour paraître si normal ? C'est ça le plus atroce . Qu'il soit si ... sympathique .
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Re: L'experte-comptable
Pour un atelier, raconter une histoire finie n'est pas nécessaire, mais tu l'as quand même fait. J'y vois davantage une nouvelle qu'un exercice.
Pour ma part, c'est réussi. Je pense avoir vu quelques coquilles, je peux chercher si c'est vraiment nécessaire. Là, je me contente de lire et de commenter (! il est quelle heure, déjà ? Vive les jours fériés !)
Les dernières lignes expliquent le geste quelque peu précipité de l'amoureux transi, pour moi ça fonctionne.
Bel atelier !
Pour ma part, c'est réussi. Je pense avoir vu quelques coquilles, je peux chercher si c'est vraiment nécessaire. Là, je me contente de lire et de commenter (! il est quelle heure, déjà ? Vive les jours fériés !)
Les dernières lignes expliquent le geste quelque peu précipité de l'amoureux transi, pour moi ça fonctionne.
Bel atelier !
Re: L'experte-comptable
Merci beaucoup !
Comment a-t-il fait pour paraître si normal ? C'est ça le plus atroce . Qu'il soit si ... sympathique .
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