Perfide altercation
4 participants
Page 1 sur 1
Perfide altercation
Bon, c'est très certainement hors sujet, avec des styles qui s'entrechoquent un peu, mais je le soumets quand même :
- Cacaché:
- J’entrai dans la boulangerie. Ma mère, quelques minutes plus tôt, m’avait confié la mission cruciale d’acheter du pain. Le succès du déjeuner tout entier reposait sur mes frêles épaules : sans baguette, nous n’aurions pas de quoi saucer la soupe, et ça c’était un truc capable de vous ruiner tout un repas, et même de vous bousiller l’humeur pour le reste de la journée. Vous pensez peut-être que j’exagère (« après tout, ce n’est qu’un bout de pain ? », vous dites-vous). Mais je dis ça très sérieusement.
Dans ma famille, on ne déconne pas avec le pain. Le pain, c’est sacré. On dit d'ailleurs, au début de chaque repas, en rompant cet aliment divin : « Miche miche un jour, miche miche toujours ». (J’oubliai de le préciser, mais étant donné qu’on s’appelle les Miche, cet apophtegme nous tient en quelque sorte lieu de devise.)
Pour vous dire à quel point on prend ça au sérieux, notre emblème familial montre deux baguettes croisées l’une sur l’autre, sur un écusson en forme de bouclier. Avec notre nom qui s’étale par devant, sur une bannière : Miche. J’ai une chevalière avec ce blason, et je n’en suis pas peu fier.
J’arrivai donc à la boulangerie avec une mission d’une importance cruciale, quelque chose avec quoi on ne rigole jamais, chez les Miche. J’analysai le terrain - champ de bataille maintes fois éprouvé - et notai mentalement la présence de deux potentiels rivaux : une dame d’un âge certain, et un jeune homme endimanché. La gente vioque prenait son temps, léchant des yeux les tartelettes au citron qui trônaient dans la vitrine, alors le sieur dindé ordonna par dessus son épaule. J’ai encore en mémoire sa commande exacte :
— Un petit pain au chocolat, s’il vous plaît.
Son vocabulaire étrange indiquait qu’il s’agissait là d’un étranger.
— Très bien, une chocolatine, lui répondit la pâtissière.
Dans cet échange verbal, je sentis une forme de rivalité, ancestrale, larvée, qui ne donna fort heureusement lieu à aucun affrontement. Le jeune hère sortit de la boutique, et plus jamais je ne le revis.
La vieille dame avait porté son choix sur une sélection de gâteaux :
— Mademoiselle, deux tartes au citron, une meringue et trois éclairs au café.
— Très bien.
Tandis que la boulangère préparait sa commande, l’antique scélérate ajouta :
— Et trois baguettes, s’il vous plaît.
Avec horreur, je constatai que dans la huche à pain, il ne restait plus que trois ficelles. Mes yeux s’écarquillèrent d’horreur. Je sentais le sang me monter aux joues. Qu’allais-je faire ? Il me fallait intervenir :
— Gente dame, on m’a confié mission urgente, de quérir du pain. Je ne saurais revenir bredouille en mes terres. Puis-je aimablement, vous demander de me céder une baguette ?
La vieille femme fronça les sourcils et me jeta un regard mauvais. La bouche fine comme un trait, elle cracha sa réponse :
— Non.
Je serrai les points. Quel affront ! Quelle perfidie !
— Ma dame, vous m’en voyez fort contrit. Sachez que jamais je n’aurais, en aucunes circonstances, pensé prononcer ces mots… Mais si vous m’y forcez…
— Quoi donc ?
— Je suis prêt à la payer deux fois le prix.
Une répugnante lueur de vénalité éclaira les traits de son visage, et un fin sourire se dessina au coin de sa bouche.
— Non, dit-elle, mais de manière moins véhémente, comme si elle m’invitait au dialogue…
Cette canaille voulait faire grimper les enchères.
— Trois fois le prix ?
— Hmmm, non.
— Quatre ?
— Non.
— D’accord ! Cinq fois le prix. Cinq.
Elle me scruta des yeux, jaugeant mon intérêt et tentant d’évaluer la marge qui lui restait dans cette abjecte procédure d’extorsion.
— Je vous la donne pour 10€.
— 10€, répétai-je, sous le choc.
Bien joué, mémé, pensai-je en secouant la tête. Bien joué.
Je sortis un billet de 10€ et lui tendis. La perfide gueuse s’en saisit d’un geste vif, un sourire avide aux lèvres.
— Merci.
Puis en s’adressant à la boulangère :
— Je ne prendrai que deux baguettes. Ce jeune homme s’en retrouverait dépourvu autrement…
— Ah, mais c’est pas un problème, on a une autre fournée qui arrive, dans les 30 secondes…
J’ouvrai la bouche, contenant le gémissement qui montait du fond de mes entrailles, et me tournai vers la vieille.
Cette sorcière secoua la tête, en levant les sourcils d’un air joyeux :
— Non. Trop tard.
Elle enfourna mon billet dans son sac, prit sa commande et quitta ces lieux, synonymes à jamais, pour moi, d'humiliation et de défaite.
A tout le moins avais-je accompli ma mission. Je revins à la maison avec non pas une mais deux baguettes, et nous sauçâmes abondamment.
Dernière édition par Sacripan le Mar 13 Oct 2020 - 4:02, édité 1 fois
Sacripan- Écritoirien émasculé
- Messages : 353
Date d'inscription : 03/10/2020
Age : 43
Re: Perfide altercation
J'aime beaucoup ton petit texte Sacripan, plein d'humour sur un sujet peu facile... la vie quotidienne ! Comme quoi "aller acheter du pain" peut atteindre des sommets.
Tu as bien accompli ta mission également
Tu as bien accompli ta mission également
Françoise Grenier Droesch
Skype Woman...
Re: Perfide altercation
Encore un bel exercice.
Je ne reviendrai pas sur cette amusante histoire, bien ficelée et bien amenée.
Tu as le sens du rythme, on ne s'ennuie pas en te lisant, et le texte est au service de l'histoire, on oublie qu'on lit, et c'est très bien.
Alors, pour pinailler encore, à la lecture j'ai été frappé par le nombre de "c'est"-"c'était" dans le premier quart du texte. Il y en a 6. Dont deux se suivent: ...le pain c'est sacré. C'est d'ailleurs...
Alors que pour le reste du texte, il n'y en a plus qu'un, et encore, dans un dialogue.
Non pas que l'usage du "c'est" ou du "c'est... que" me gène dans l'absolu, mais la concentration de répétition de cette locution faible me semble à éviter.
Mais encore une fois, un bon texte!
Je ne reviendrai pas sur cette amusante histoire, bien ficelée et bien amenée.
Tu as le sens du rythme, on ne s'ennuie pas en te lisant, et le texte est au service de l'histoire, on oublie qu'on lit, et c'est très bien.
Alors, pour pinailler encore, à la lecture j'ai été frappé par le nombre de "c'est"-"c'était" dans le premier quart du texte. Il y en a 6. Dont deux se suivent: ...le pain c'est sacré. C'est d'ailleurs...
Alors que pour le reste du texte, il n'y en a plus qu'un, et encore, dans un dialogue.
Non pas que l'usage du "c'est" ou du "c'est... que" me gène dans l'absolu, mais la concentration de répétition de cette locution faible me semble à éviter.
Mais encore une fois, un bon texte!
Re: Perfide altercation
Merci Françoise et Trantor. J’ai fait un peu le ménage dans les c’est/c’était, merci de l’avoir souligné !
Sacripan- Écritoirien émasculé
- Messages : 353
Date d'inscription : 03/10/2020
Age : 43
Re: Perfide altercation
Sympathique petit texte, qui se lit avec un petit sourire en coin.
Perso, j'ai plus tiqué sur les écarts de niveau de langage, avec parfois une approche plutôt familière et parfois dans le très soutenu avec un vieux parler volontairement archaïque et qui fonctionne... mais qui se marrie mal, du coup, avec des passages tels que : "dans ma famille, on ne déconne pas avec le pain".
Hormis ce petit bémol, j'ai pris bien du plaisir à te lire, Sacripan !
Perso, j'ai plus tiqué sur les écarts de niveau de langage, avec parfois une approche plutôt familière et parfois dans le très soutenu avec un vieux parler volontairement archaïque et qui fonctionne... mais qui se marrie mal, du coup, avec des passages tels que : "dans ma famille, on ne déconne pas avec le pain".
Hormis ce petit bémol, j'ai pris bien du plaisir à te lire, Sacripan !
"En vivant comme en mourant, nous alimentons le feu."
Clive Barker, Sacrements.
Tak- Mélomane des Ondes Noires
Disciple des Livres de Sang - Messages : 6299
Date d'inscription : 01/12/2012
Age : 41
Localisation : Briançon, Hautes-Alpes
Re: Perfide altercation
Eheh, oui, il y a du sacré décarogeage vis-à-vis des niveaux de langage. Limite à la moyenâgeuse sur le dialogue, alors qu’avant il parle plutôt sur un ton familier... Clairement, c’est bancal, j’avoue - on va dire que ça se « « justifie » » (vite fait) pour aider à bouffoniser encore un peu plus le narrateur.
Sacripan- Écritoirien émasculé
- Messages : 353
Date d'inscription : 03/10/2020
Age : 43
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum