PERFECTION

Nouvelle: PERFECTION

Lumière diffuse, odeur entêtante de désinfectant. Esther émergea des ténèbres avec grande difficulté,la tête semblant douloureusement serrée dans un étau. Elle voulu bouger mais fut incapable d’esquisser le moindre geste.

Les moniteurs auxquels elle était raccordée émirent une série de bips sonores qui attira l’attention du personnel soignant.

- Ne tentez pas de bouger mademoiselle Fergusson, vous avez eu un grave…accident. Je vais chercher le docteur, il vous expliquera tout ça bien mieux que moi.

L’infirmière s’esquiva de son champ de vision, pour réapparaitre, après un temps indéfini,accompagnée d’un médecin quinquagénaire à la mine sévère.

- Mademoiselle Fergusson, je suis le docteur Gus, je m’occupe de votre cas depuis votre admission au service des urgences. Avez-vous un quelconque souvenir de ce qui vous est arrivé ?

Regroupant ses forces, la femme éructa de sa gorge meurtrie.

- Pas le moindre…

Le docteur paru très mal à l’aise, il baissa les yeux sur la feuille de soin et marmonna :

- Dans la nuit de Vendredi à Samedi, vous avez été agressée à votre domicile. Il semblerait que le rôdeur cherchait d’avantage à vous nuire que de vous voler…

Ce qu’appris la jeune femme, dans les jours qui suivirent son réveil, faillit l’anéantir pour de bon.

Un policier, peu psychologue, lui expliqua que l’homme s’était introduit dans son appartement,l’avait neutralisée en la chloroformant avant de s’amuser à lui trancher les jambes au ras des genoux avec une scie à métaux. Tout avait été fait dans les règles de l’art pour éviter son décès : des garrots posés au dessus des rotules ainsi que les plaies immédiatement cautérisées à l’aide d’un fer à repasser bouillant. Le maniaque s’était ensuite attaqué au visage, lui dessinant un sourire grotesque à force de taillader les joues et les lèvres.

Malgré de multiples interventions de chirurgie réparatrice, Esther ne retrouva jamais la beauté qui fut sienne depuis l’aube de son adolescence. Ce visage racé aux traits ciselés avait fait d’elle le modèle le plus demandé pour les défilés de mode à Los-Angeles.

Le miroir lui renvoyait cruellement l’amère réalité : Elle n’avait plus rien d’une princesse mais ressemblait à la fiancée de Frankenstein.

Commença alors le douloureux travail de revalidation pendant lequel elle dû apprendre à se déplacer avec les prothèses qui remplaceraient désormais ses jambes perdues.

Heureusement, ses parents ainsi que sa sœur aînée furent d’un soutient sans faille. De même,l’équipe de kinésithérapie fit un boulot prodigieux, l’aidant à force d’effort à retrouver l’espoir d’autonomie.

*

Un an et demi plus tard, Esther Fergusson s’installa dans un petit meublé situé non loin du domicile parental.

Malgré un système de sécurité inviolable et la possession d’un révolver calibre 38, les premiers temps furent extrêmement difficiles. Surtout les nuits, durant lesquelles ses cauchemars lui vomissaient inlassablement les souvenirs enfuis de son agression : Une main caressant son visage, la sortant ainsi du sommeil, ce visage penché sur elle dans l’obscurité, cet homme se dissimulant sous un horrible masque de clown grimaçant.

Ce chuchotement rauque : « Ce soir, ma belle,nous allons tendre à la perfection »



Jamais la police n’avait pu appréhender cette ordure, il n’avait laissé aucune trace, pas le moindre indice derrière lui. Un inspecteur avec qui elle avait gardé contact lui assura qu’il n’y eu pas d’autres cas similaires au sien, le psychopathe n’avait pas récidivé.

Voyant sa sœur s’enfonçant peu à peu dans la mélancolie, Mélanie Fergusson l’encouragea à l’accompagner chez de proches amis. D’abord réticente, l’ancien top modèle rencontra un groupe de personnes soudées, aussi amicaux que sympathiques. Aucun ne détourna les yeux, ni ne fit de commentaire sur sa différence.

Les soirées se multiplièrent et c’est à cette occasion qu’elle fit la connaissance de Jeremy Steiner, un séduisant quadragénaire. Educateur sportif pour jeunes handicapés et photographe à ses heures, l’homme lui inspira d’office confiance. Cultivant des goûts en commun, ils firent nombre de sorties aux cinémas et plusieurs dîners dans les restaurants gastronomiques de Los-Angeles.

Un soir, elle invita Jeremy à son appartement pour un dernier verre. Ils firent l’amour toute la nuit, et le lendemain matin, à sa grande surprise, son amant la demanda en mariage.

*

La cérémonie se fit à l’intimité, ses parents, l’oncle de Jeremy et leurs amis. Ils partirent en voyage de noce en Europe, sur la côte espagnole.

Esther aimait lire le désir dans les yeux de son partenaire et ceux de son époux en étaient imprégnés, une fougue sensuelle mêlée d’avidité lubrique. Elle aimait qu’il la touche, pourtant, parfois, son insistance sur les parties mutilées de son corps la plongeait dans le malaise. La façon dont il caressait lascivement ses moignons informes, les baisers posés sur la masse de tissus cicatriciels. Il en était de même lorsqu’il s’amusait à parcourir les reliefs couturés de son visage de la pointe de la langue.

Elle aurait put se sentir rassurée de ne pas être à ses yeux un objet de dégoût mais son ardeur la dérangeait, sans quelle sache vraiment pourquoi.

Ils rentrèrent à Los Angeles un mois plus tard. Esther emménagea dans l’appartement de son époux, plus spacieux et mieux situé que le sien.

Les premières semaines de vie commune furent paradisiaques tant Jeremy déployait milles attentions pour la combler de bonheur. Mari prévenant, doux, dévoué à ses moindres désirs, jamais, même au temps de sa splendeur, elle n’avait espéré un jour rencontrer un homme aussi parfait.



Un soir, il lui expliqua devoir s’absenter un où deux jours pour coacher l’équipe de handball,dont il avait la charge, en vue d’une participation à une compétition handisport.

En l’embrassant,elle pensa qu’il allait beaucoup lui manquer.

*

Le samedi après midi fut consacré à une sortie entre filles. Esther et sa sœur déjeunèrent au steak’s house grill avant de s’offrir un soin complet chez l’esthéticienne.

La jeune femme éprouvait encore des difficultés à laisser voir son corps à autrui, mais l’amour de son époux l’avait libérée de la majeure partie de sa honte.

Après dix-neuf heures, elle se retrouva seule à l’appartement. Elle regarda l’émission « the voice » à la télévision tout en grignotant des biscuits à la cannelle accompagnés d’une tasse de thé vanille bien chaud. Ce type d’activité ne poussait pas à la réflexion mais lui permettait de se détendre, d’apaiser son esprit. Le générique de fin défilant sur le téléviseur, elle décida qu’il était encore trop tôt pour se coucher. Auparavant, vingt trois heures était pour elle le commencement d’une nuit de folie où s’enchainaient night clubs,alcool à profusion et exhibitions sur le dance floor. Une vague de nostalgie l’envahit, du revers de la main elle sécha ses larmes avant de s’installer devant l’ordinateur portable de son époux. Un petit peu de papotage sur facebook lui ferait le plus grand bien.

Pourtant, une fois les icones affichées sur l’écran, elle laissa tomber cette idée pour s’adonner à l’exploration des documents personnels de Jeremy. Elle savait cela incorrecte, mais la curiosité mêlée à une pointe de jalousie la poussa à franchir le pas.

Au début le dossier photos révéla de banals paysages, des passants dans la rue, même des animaux. Elle sourit, imaginant son homme parcourir la ville et les parcs avec son appareil numérique, à l’affut du moment de grâce.

Un fichier crypté l’interpella, Esther répéta les essais infructueux pour déjouer le mot de passe. Elle avait appris cette technique d’un ancien amant hacker Mais elle n’était décidément pas très douée. Elle était sur le point d’abandonner quand elle parvint à ses fins. Le fichier s’ouvrit révélant une vingtaine de sous dossier portant chacun un nom de pays.

Sans réfléchir,elle cliqua sur Cambodge. Une série de clichés apparus sous ses yeux horrifiés.Les premiers montraient une femme tronc posée au centre de la table de billard d’un bistrot pouilleux. Elle gardait la tête baissée et portait au cou un collier de chien relié à une chaîne. Des hommes la fixaient, des sourires goguenards aux lèvres, certains allaient même jusqu’à se masturber.

D’autres clichés mettaient en scène une adolescente asiatique allongée nue sur le lit d’une chambre d’hôtel. Chaque centimètre carré de sa peau mangée de plaies et d’écailles blanchâtres, une forme particulièrement impressionnante de psoriasis géant. Elle ouvrit un autre dossier baptisé « Inde ». Là, rien ne lui fut épargné, des femmes de tout âge, nues et atteintes de difformités monstrueuses, s’étalèrent à son regard : Eléphantiasis, lèpre,amputations, nanisme.

Son exploration la conduisit aux limites de la nausée, des photographies commémorant une soirée donnée au club blind love, un club échangiste réservé aux hommes et femmes dévotés. Là-bas se réunissaient ceux dont les fantasmes impliquaient des partenaires sexuels souffrant de handicaps divers, les cas les plus lourds et les plus inesthétiques étaient généralement prisés. Son cœur se brisa en voyant Jeremy tenir par la taille une jeune femme au visage horriblement brûlé.

Tout ce fit tout à coup clair en son esprit, si son époux avait été aussi empressé à lui faire la cour, et se montrait aussi passionné au lit, s’était simplement parce qu’il bandait devant ses mutilations.

Le chagrin lui coupa le souffle et elle fondit en larmes, hurlant sa peine à la façon d’une bête blessée. Il lui fallu longtemps pour se calmer, il lui restait un dossier à ouvrir, cela fait, elle téléphonerait à sa sœur pour qu’elle l’emmène loin d’ici. Esther était déterminée, dès lundi, a engager une procédure de divorce.

L’ultime fichier contenait une série de photographies d’Esther à l’époque où elle était mannequin.Certaines avaient été téléchargées sur son site officiel, d’autres prises à la sauvette alors qu’elle faisait du shopping, rentrait chez elle ou se pavanait à la terrasse d’un restaurant en compagnie de sa sœur Mélanie. Ses yeux refusèrent d’accommoder sur le dernier cliché. Nue, elle gisait inconsciente sur un lit couvert de sang. Ses jambes amputées reposaient à ses côtés et son visage venait d’être fraichement charcuté.

Son cœur manqua un battement quant elle entendit le bruis familier des clés déverrouillant la porte d’entrée.

- Chérie, je suis de retour plus tôt que prévu ! Décidément je ne peux pas me passer de toi.

Fragile, la raison d’Esther Fergusson se fissura et, sans pouvoir s’arrêter, elle hurla.



Copyright 2013 Frédéric Gynsterblom, tous droit de diffusion et de reproductions réservés.

Hum... passé les premiers paragraphes, j'ai eu l'impression que tu appuyais sur la touche "avance rapide"... Difficile de dire concrètement ce que je pense de ce texte. Il n'est pas dénué de qualités, c'est évident. Maintenant, il évoque plus qu'il ne fait vivre les faits.
Je reviendrai, comme dirait le Terminator !

En fait l'idée de ce texte m'est venue subitement un soir, et j'ai commencé à écrire. L'histoire s'est construite sous mes yeux telle quelle et malgré la douleur à mon poignet (j'écris toujours le premier jet à la main) et l'heure avancée il a fallu que je la termine. C'est certain que c'est une nouvelle mineure, mais elle pourra peut être plus tard devenir quelque chose de plus ambitieux comme faire partie d'un roman bien gore dédié aux dévotés et à la modification corporelle.

Frederic Gynsterblom a écrit: dédié aux dévotés et à la modification corporelle.

Tu dois être un fan des Livres de Sang, non ?

Oui, ainsi que de toute l’œuvre de Clive Barker.

Coucou Frédéric (je t'appelle Frédéric, c'est plus simple, hein ? )

Alors, le principal défaut de ton texte pour moi... C'est qu'il est trop court ! Je veux dire, une idée de cet acabit demande à mon avis environ 30 000 signes pour être traitée correctement. En deçà, tu tombes dans ce piège vicieux : survoler les évènements, en donnant plus une impression de synopsis que de réelle histoire !

En dehors du fond de l'histoire en lui-même (par goût personnel, je n'accroche pas trop à tout ce qui est gore et trash), je pense que la narration mériterait d'être moins linéaire, parce que là, on a trop l'impression que tu nous racontes une histoire à l'oral. Une nouvelle s'adapte mal, je pense, à de grands sauts dans le temps. Je pense que tu aurais intérêt à fixer ta narration à un moment précis (par exemple, le moment où elle se maque avec le gars) et à fonctionner par flash back ensuite tout en faisant avancer la narration au présent pour la découverte du dossier, en instaurant une tension de ce fait...

Par ailleurs, la difficulté de ton texte réside aussi beaucoup dans la chute : j'avais deviné qui était le gars à peu près en même temps qu'il est apparu. Il faudrait, à mon avis, glisser de faux indices, floutter les informations, de manière à ce que la chute soit vraiment inattendue (car là, elle ne l'est pas, et du coup, le texte perd en intérêt et en suspens).

Par ailleurs, je pense qu'il y a moyen de donner de la profondeur à l'histoire, en se posant la question : qu'est ce que peut ressentir une personne qui voit son corps se modifier soudain pour passer d'un canon à un monstre ? Quels sentiments partagés ressent-elle quand elle s'aperçoit qu'elle devient objet de foire et de désir pour son mari ? C'est esquissé dans ton texte, mais on est plus dans le tell que dans le show, si tu vois ce que je veux dire... Entre dans ton personnage, ressens avec lui ! C'est la dernière suggestion que je pourrais te donner !

Bises
Eimelle

Bonjour Eimelle,

Je compte de toute façon reprendre ce texte pour inclure l'idée dans un roman, je prend note de tes suggestions elles me seront précieuses par la suite (l'idée des flash back notamment). Merci pour les conseils et de m'avoir lu aussi
A bientôt

Je t'en prie !

Par contre, dans le cadre d'un roman, là, va falloir étoffer, parce que moi, dans ce texte, je vois 30 000 signes, pas beaucoup moins, mais pas beaucoup plus non plus... Tu as prévu des intrigues secondaires, des rebondissements, tout ça ? Ou ce texte est juste une intrigue secondaire du roman ?

Par ailleurs, le roman autorise, à mon avis, de couvrir une plus grande échelle de temps. Mais tu peux varier avec des flash backs.

La chute n'est pas non plus obligatoire, sauf si tu veux en faire un thriller, mais dans ce cas, il va à mon avis falloir que tu te mettes au charbon pour tromper ton lecteur en l'envoyant sur de vraies-fausses pistes !

Bises
Eimelle

En fait je vois juste cela comme une introduction au texte, genre elle est tuée par le mec et lui termine en prison et là sa soeur va découvrir peu à peu que ce Jeremy appartenait à un groupe de personnes aux inspirations plus vastes.

Ah ok !
Oui, ça peut être intéressant !

Bises
Eimelle

Ah, que serait la beauté sans quelques menues imperfections, pas vrai ? Et, entre nous, je trouve Esther un peu bêcheuse : quelle femme à sa place ne se sentirait fière et flattée d'avoir pour époux un esthète aussi raffiné ? Vraiment, il y en a qui mesurent pas la chance qu'elles ont !
Bon, à l'ère des clés USB, c'est pas très malin non plus de la part de Jérémy de laisser traîner ses oeuvres d'art sur un ordi. Faut dire aussi qu'il a pas de bol sur ce coup : imagine Nabilla à la place d'Esther, elle se serait jamais douté de rien !
T'affole pas, je blague. J'aime l'humour noir et, de ce côté-là, ton histoire a un bon potentiel malgré une narration du genre "strict minimum".
Fin prévisible ? c'est secondaire à mon avis. La principale question qui sous-tend un suspens, c'est : l'auteur va-t-il oser aller jusqu'au bout de sa logique ? C'est ce qui nous fait lire jusqu'à la dernière ligne. Après, qu'on soit déçu ou pas est affaire de goûts personnels.
Je pense aussi que tu as là matière à quelque chose de plus étoffé, peut-être autour d'un fil rouge qui pourrait être, par exemple, "Le club des handi-lovers" (je verrais bien, pour façade, une association bénévole de soutiens psychologiques).
Je te laisse y réfléchir.
Bonne entrée, intéressante en tout cas.

Hélas, tu survoles beaucoup trop et le ton est trop neutre. Y a pas mal de maladresses (on ne peut pas "éructer" avec une "gorge meurtrie" par exemple) et le récit est parsemé de fautes élémentaires. Pourtant l'idée est bonne. Mais tu dois amener plus de crédibilité. Un couple ne fait pas l'amour toute une nuit (pas chez moi en tout cas) et la demande en mariage survient trop vite. On se doute direct que ce mec est le taré qu'on recherche. Et comme par hasard, son ancien amant est un hacker ! J'aurais plutôt vu une inadvertance de l'homme qui a oublié de fermer un fichier.

Merci pour vos commentaires, j'en prend bonne note