Les vipères

Le visage chafouin cerné par le fichu,
Elles hantent un banc au centre des villages.
Chez elles, tout est sec : os, chairs et cartilages,
Sauf, rose en son palais, l'appendice fourchu.

Chaque nom qu'il effleure est aussitôt déchu,
Et valsent aux échos vertus et pucelages ;
Nubiles boutonneux ou vieilles peaux volages,
C'est la traque bénie à l'atome crochu.

"Oh, moi, ce que j'en dis !... -- Si vous saviez, ma chère...
-- Figurez-vous qu'hier, j'entrais chez la bouchère..."
Soudain, leur coeur frémit sous un obscur appel,

Et, les mots suspendus en pleine messe basse,
Leurs petits yeux glacés détaillent au scalpel
Le profil insolent d'un inconnu qui passe.

Ça me fais un peu pense à du Brel...

C'est vrai, Paladin, cette critique de mœurs ressemble un peu aux siennes...

C'est excellent, Jack : un sonnet qui respectent bien la vieille règle des quatrains descriptifs et des tercets narratifs ; l'on va ainsi du général au particulier. C'est un portrait vif et précis, très « vivant », et la chute est superbement amenée.

C'est marrant, j'ai pensé à du Seignolle.

Eh bien, merci. Brel, Seignolle, je prends volontiers, même si, à la base, il y a surtout des souvenirs d'enfance, quand il nous arrivait de passer quelques jours dans le village de ma grand-mère, à l'époque où il devait y avoir trois télés et six voitures pour tout le patelin. Peu de distraction, donc, à part la "tchatche". Et vers sept-huit ans, quand on se fait apostropher en pleine rue, à brûle-pourpoint, par une énorme matrone : "E de cal es, tu ?" (De qui tu es, toi ?), ça laisse des traces.
Sinon, j'aime bien les portraits au couteau.
Sur le sonnet en tant que genre poétique (pour Similien), je ne suis pas sûr qu'il soit bénéfique d'en codifier les étapes et leur contenu. Personnellement, je ne m'en suis jamais soucié, mais il est vrai qu'il possède une sorte de mouvement interne naturel qui s'apparente assez à une épreuve de saut en longueur : deux quatrains de concentration (pour rassembler ses forces, éléments et décor), un tercet et deux vers pour la course d'élan (mouvement et accélération) et, enfin, la chute en guise de planche d'appel... sans oublier que c'est le lecteur qu'il faut amener à sauter. Ceci dit, ce processus n'a rien d'une contrainte absolue et nombre d'excellents sonnets s'en moquent comme d'une guigne. Mais nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler...

Bravo Jack.

Seul bémol pour ce vers dont le son heurte un peu :
Elles hantent un banc au centre des villages

A moins que tu l'aies fait exprès ?  

hé j'aime beaucoup
je ne suis pas très douée pour la "critique" de poèmes mais tu joues bien avec les mots je trouve au départ je pensais à une sorcière lol mais avec le titre j'ai vite compris que tu parlais de vieilles mégères je pense que ce texte est à développer notamment le côté perfide et commère

La poésie, Laëti, ça commence par l'amour des mots, sinon comment espérer qu'ils te le rendent ?
Développer le texte ? Pas dans un sonnet. C'est une sorte de miniature. Il faut être précis et chirurgical, un travail de sniper ou de samouraï, rien à voir avec les orgues de Staline ou un arrosage à la kalache (lol).
Hé, je crois que c'est la première fois que tu me laisses un petit mot dans cette rubrique ! Trop sympa, ça s'arrose !
Merci, et n'hésite pas : reviens quand tu veux.

C'est couillon mais comme Laetitia je trouve ça bien court. Comme c'est bon, on en veut plus !

Ouais ! C'est du tout bon Jack ça ! Un chirurgien des mots !  

Catherine, voyons, un peu de tenue ! Que va-t-on penser ?...
Bof, on s'en fout. Merci à toi.

J'ai bien aimé aussi, même si je ne suis pas très "sonnet" à la base...

Peu soucieux de marquer une quelconque originalité, j'ai moi aussi apprécié ce poème !

D'autant qu'il renvoit bien à cette France profonde que j'ai dans le coeur. Nos charmantes commères de village, que les enfants passent eux-mêmes bien du temps à "commenter".

C'est que du bon, ami Jack !