Les galères fantômes (à Randolph Carter)

par **Jack-the-rimeur** Ven 25 Jan 2013 - 0:55

Quand la lune orangine
Se fige sur les eaux,
Au port du vieux royaume arrivent des vaisseaux
Dont on n'a jamais su le pays d'origine.

Nulle vague ne danse.
Les rames de métal
Plongent dans les flots lourds d'un silence total
Sans que même un remous frémisse à la cadence.

Leur voilure mélange
Et la soie et le fer ;
La figure de proue est un masque d'enfer,
Comme un rictus haineux sur un visage d'ange.

Leurs reptiles amarres
S'agrippent sur les quais,
Et, bientôt, escortés de grotesques laquais,
Passent les spectres-rois en leurs blanches cimarres.

Un froid profil de sabre,
Un voile d'or pour traits,
Par la ville endormie, ils portent des coffrets
De joyaux inconnus aux reflets de cinabre.

Les esclaves lémures
Chargeront en retour,
Avec l'âpre lenteur que l'on prête au vautour,
Des cages d'où, parfois, montent de doux murmures...

Et, tapis dans un bouge,
Les marins, à mi-voix,
Parlent de sinueux et livides convois
Et de squales déments dans leur sillage rouge.

par **Tak** Sam 26 Jan 2013 - 8:23

Tu parlais de poésie fantastique dans ta présentation Jack, ben là on est plein dedans !
Une ambiance dark fantasy bien réussie et un rythme impeccable animent ce poème dont les références m'ont bien plu (tu parles de Randolph Carter, mais les "spectres-rois" qui descendent du navire m'ont également fait penser aux Nazghûl de Tolkien).
Bref, ça se boit comme du p'tit lait ! Wink

par **Zaroff** Sam 26 Jan 2013 - 9:33

Moi j'ai pensé à certaines fulgurances de Howard. Ou alors "Le bateau blanc" de Lovecraft. Mais c'est dingue comme les poèmes de Jack sont des portes vers autre chose. On ne devrait pas le nommer "Jack" mais plutôt "Le Roi Lézard" ! Wink

Un petit extrait du Bateau Blanc ? C'est parti :

"Le bateau blanc passa donc devant les murs de Thalarion, et suivit pendant plusieurs jours un oiseau qui volait en direction du sud, et dont le plumage brillant avait la couleur du ciel. Puis nous arrivâmes sur une aimable côte égayée de buissons fleuris de toutes nuances, et où, à perte de vue, on ne voyait que des bocages charmants et des arbres radieux dans un soleil à son zénith. De bosquets qui se trouvaient hors de notre vue, nous parvenaient des bribes de chants et de douces mélodies harmonieuses interrompues de rires si délicieux que, impatient, je pressai les rameurs d'aller plus vite. L'homme à la barbe ne dit pas un mot, mais m'observa tandis que nous approchions du rivage bordé de lis. Soudain, le vent soufflant par-dessus les prairies fleuries et les bois feuillus apporta une odeur qui me fit frémir. Le vent s'amplifia et l'air fut rempli de l'odeur fétide et charnelle des villes frappées par la peste et des cimetières mis à nu. Tandis que nous nous éloignions rapidement de cette côte damnée, l'homme à la barbe parla enfin et dit :
— Ceci est Xura, le pays des plaisirs inaccessibles ."

par **Tak** Sam 26 Jan 2013 - 12:13

Le bateau blanc c'est une des nouvelles du cycle "A la Recherche de Kadath ?" (ou quelque chose comme ça). Je dis ça parce que c'est justement Randolph Carter le héros de ces histoires. En tous, au niveau de l'atmosphère c'est tout à fait ça !

par **Zaroff** Sam 26 Jan 2013 - 12:15

C'est pas dans le recueil DAGON ?

par **Tak** Sam 26 Jan 2013 - 13:38

Zaroff a écrit:C'est pas dans le recueil DAGON ?

J'en sais rien, moi j'ai juste l'intégrale HPL en 3 volumes.

par **Jack-the-rimeur** Sam 26 Jan 2013 - 16:40

Cher comte,
Bien vu. Les "galères fantômes" viennent directement de chez Lovecraft ("la recherche de Kadath", c'est dans "Démons et merveilles" chez 10/18 ou "les contrées du rêve" dans la traduction nouvelle éditée par Mnémos), sauf que lui fait venir ses vaisseaux de la lune.
Pour être tout à fait honnête, j'ai fait deux autres emprunts pour ce texte :
1/ J'ai piqué l'idée des cages qui murmurent au père Hugo, tu sais ce poème qui commence par "La lune était sereine et jouait sur les flots..." ou une petite sultane se repose tandis qu'on jette des sacs à la mer :"Ce sont des sacs pesants d'où partent des sanglots".
2/ Les requins fous de la chute viennent tout droit d'une nouvelle de Jean Ray (dans "contes d'horreur et d'aventures", je crois).
On mélange le tout, un peu de sauce tomate pour le rendre plus digeste, et voilà.
Le seul truc que je peux pas expliquer, c'est cette forme bizarre des quatrains (2 fois 6, suivi de 2 fois 12) mais, le premier étant venu comme ça, autant la conserver pour les suivants.
Sinon, pour le reste, comme souvent chez moi, ça relève surtout du bricolage.