Obusite

Désolé, je vais être dur. Tu es maintenant un auteur édité, donc tu comprendras qu'on va être plus pointilleux sur tes textes.

Je n'ai rien à dire sur l'écriture, soignée, maitrisée. Les quatre premières pages s'enfilent sans problème. Tu avais annoncé que tu parlerais des Trembleurs, le mettre en scène par cette espèce de bizutage est très bien aussi.

Mais ça commence à déconner page 5. Toute la troupe a bien rigolé d'envoyer le bleu dans le no man's land pour qu'il se fasse démonter la gueule, et à son retour, Courte-cuisses tiens un discours qui ne colle pas : — Vous n’avez pas fini de dire des conneries, pesta « Courtes cuisses » en les regardant d’un oeil noir. Nous n’avons plus de toubib et faut se serrer les coudes. Vous aimeriez finir comme lui et qu’on vous foute dans une fosse commune comme un chien ? Nous sommes tous des morts en sursis et seul le respect et la solidarité nous rendent encore humains

Alors qu'un instant avant on prenait les paris sur sa dispersion lente par grenade ou rapide par obus.

Ensuite, nous révéler que le quatuor d'Allemands sont les futurs boss des nazis pourrait être intéressant, mais faire soigner Hitler par Céline/Bardamu, c'est trop. Je connais ton admiration pour lui et son voyage au bout de la nuit par des visites régulières sur ton blog, et là, j'ai l'impression que t'as voulu tout mettre dans ton histoire.

C'est pas que ce soit raté, mais si vraiment tu voulais me surprendre en parlant du quotidien des tranchées, de l'obusite, de la "naissance" du troisième reich, et de Céline, il aurait fallu quelques pages de plus. Prendre le temps d'approfondir les personnages et leurs interactions. Ca va trop vite ! Comme par exemple la scène de la "résurrection" d'Hitler. Trop vite, mec. Le rebouteux se pointe, une petite prière, et voilà. Le gars est soigné, son regard est déjà puissant et trahit son caractère impitoyable.
Mais ça colle pas avec ce qu'on à vu au début, quand il se chiait dessus. Et l'ascension d'Hitler au pouvoir ne s'est pas faite en un jour, aussi ai-je peine à le voir guéri de son obusite et prêt à écraser le monde en quelques minutes. Tu aurais pu faire soigner Hitler, et après deux jours de repos, le faire discuter avec Bardamu. Ce n'était pas les hommes qu'on connaitra, le dialogue pouvait donner une scène philosophique où chacun regarderait la guerre et commencerait à en tirer ses conclusions, et chacun pressentant ce que l'autre deviendrait.

Bref, je te fais mes remarques habituelles. Tu commences fort, puis tu te fais bouffer par tes influences, et tu me donnes l'impression d'avancer sans carte ni boussole, avant d'accélérer pour nous lâcher à la fin, essoufflés, mais un peu perdus.
Ce qui n'enlève rien à la belle plume, je le répète.

Cette maladie, donc intéressante, est trop peu exploitée, c’est presque de l’ordre du détail (pas totalement mais ça en dit l’impression finale). Le soldat « Courtes-cuisses » n’est pas suffisamment crédible entre sa méchanceté du début et sa soudaine volte-face au point de sortir pour aller chercher un rebouteux au péril de sa vie pour un gars qui ne lui est rien et qu’il envoyait quelques minutes plus tôt au casse-pipes sans l’ombre d’un remord. Même son langage n’est plus crédible à partir de là, il paraît tout d’un coup trop intelligent, inventant son bobard de « prisonniers » d’une façon bien trop facile. Ensuite, à partir du rebouteux, tout va beaucoup trop vite. On nous lâche les info à la mitrailleuse. Céline, Himmler, Hitler et d’autres sûrement dont je n’ai pas saisi la référence, tout ça est fait en quelques phrases. Même la cérémonie de guérison est trop rapide. Il manque beaucoup de substance à cette partie-là. Trop pour qu’on arrive à y croire.

Pourquoi "Courtes-Cuisses" invente son bobard de prisonnier ? Cela se passe près d'Ypres en Belgique, le rebouteux habite donc un petit village par là-bas, tout ce qu'il y a de non-allemand. Il n'y a aucune raison qu'il ne dise pas la vérité au gamin-rebouteux. Ou alors, il y a une raison, mais je l'ai pas captée. Pourquoi, ce gamin serait plus tenté d'aller aider des prisonniers que des soldats alliés ?