La bête immonde (M. Agapit)
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La bête immonde (M. Agapit)
Nous sommes en 1958 lorsque paraît, au sein de la collection "Angoisse" fraîchement initiée par les éditions Fleuve Noir, un livre intitulé Agence tous crimes. L'ouvrage est signé par un certain Marc Agapit, né Adrien Sobra, qui a jusqu'ici publié des romans policiers sous son vrai nom, ou sous le pseudonyme d'Ange Arbos. En dépit de l'expérience de l'auteur (Marc Agapit est né en 1897, et peut donc être considéré comme un écrivain chevronné quand il rejoint "Angoisse"), rien ne laisse encore supposer l'empreinte indélébile qu'il laissera sur l'épouvante française, et pourtant... Grâce à une imagination proprement démoniaque et à une prolixité effarante, l'homme ne livrera en effet pas moins de 43 romans en seize ans, pour cesser d'écrire du jour au lendemain à l'arrêt de la collection... Un parcours littéraire hors du commun, aussi intense qu'énigmatique, sur lequel les éditions Fleuve Noir eurent le bon goût de revenir en proposant en 1997, douze ans après la mort de Marc Agapit, un omnibus reprenant quatre oeuvres phare de cet auteur singulier.
La première d'entre elles, La bête immonde, donne son titre au recueil et n'entretient strictement aucun rapport avec l'hydre nazie que l'on qualifie parfois ainsi. "La bête immonde" est ici une "bête humaine", qui va vivre après un accident de voiture un véritable cauchemar... La fatigue qui a conduit Xavier Dmellis à s'endormir au volant n'était en effet pas naturelle, et le traitement de choc qu'il s'apprête à subir dans la clinique du docteur Despair n'est pas conçu pour le mener sur la voie de la guérison... Défiguré, humilié, longtemps privé de l'usage de la parole, l'homme apparaît comme un pantin désarticulé. Et la douce Hortense, tyrannisée par son praticien de mari, n'ouvrira ses bras à ce nouveau confident que pour mieux lui révéler les nuances d'une infernale machination...
Jacqueline Vermot, la protagoniste principale d'Agence tous crimes, ne connaîtra pas une destinée plus enviable. Marc Agapit n'avait guère d'affection à l'égard de la gent féminine ("Toutes les femmes se ressemblent... elles sont toutes les mêmes: de fichus animaux, croyez-moi", fait-il dire au docteur Despair), et prend un malin plaisir à dévoiler insidieusement les noirs secrets de l'institutrice à la retraite... Sa trouble relation avec son neveu Nizou, enfant difficile devenu séduisant jeune homme, la fera même basculer dans un enfer intime dont elle ne s'extirpera plus que sous l'effet de macabres hallucinations. Pour Agapit, l'amour est douleur et culpabilité, et les relations humaines sont régies par le principe du "dominant/dominé" appliqué avec cruauté jusqu'à ce que mort s'ensuive...
Greffe mortelle, le roman suivant, traite en les fusionnant des notions de "Crime et châtiment". Épouvantable jeu de massacre, le récit se déroule sous les yeux d'un témoin "privilégié" ("On ne sait pas que je suis là. Il ne faut pas que je me montre, il ne faut pas qu'on me voie"), et narre par le menu l'extinction fort peu naturelle d'une famille entière. Le mystérieux docteur Lefort tire les ficelles en coulisse, manipulant à travers un jeu de la séduction ambigu les poussées d'hormones du jeune Charles. Car la chair est toujours faible, et ces démonstrations de virilité sont autant de pousse-au-crime à l'heure fatidique où le fait de succomber à la tentation doit être compris au sens littéral... Ici l'hérédité bourgeonne d'atavismes fatals, et le défi consiste à se trouver du bon côté du sécateur...
Cette dernière phrase peut également s'appliquer à Piège infernal qui, bien que très différent dans sa construction, n'en présente pas moins certaines obsessions "agapiennes". Famille déliquescente, femmes fatales et perverses, tension sexuelle permanente, relations faussées par l'intérêt où prédominent menaces et manipulations, états mentaux flottants - ici l'amnésie -, l'ensemble conduisant inévitablement à des actes que la morale réprouve mais que l'amateur d'épouvante sait apprécier à leur injuste valeur... Pas de place pour la bonté chez Marc Agapit, et Jean Fonterbi est une sorte d'archétype d'ange exterminateur dégénéré, échappant aux griffes de la mort pour mieux la semer autour de lui...
Voici donc une tétralogie exemplaire, en ce sens qu'elle incarne, au même titre que l'oeuvre "angoissante" de Kurt Steiner, un pont entre deux époques. Nous nous trouvons quelque part entre un Fantastique "à l'ancienne", c'est à dire éminemment suggestif et encore très imprégné de mysticisme, et une horreur moderne, frontale, crue et tranchante comme un scalpel. Le style très particulier de l'auteur - narration à la première personne, usage systématique du présent, phrases courtes et sèches, répétitions presque rituelles - renforce l'impact d'histoires cruelles et si étonnement déviantes qu'elles conservent aujourd'hui toute leur saveur vénéneuse. A la lumière de l'imposante production de cet auteur fascinant, et surtout au regard de sa qualité jamais démentie, il est d'ailleurs difficile de comprendre pourquoi il a été aussi peu réédité. Il existe pourtant une collection qui, après avoir offert une seconde vie à certains bijoux de la collection "Angoisse", serait un écrin sur mesure pour ceux de Marc Agapit. N'est-ce pas messieurs Jean-Marc Lofficier et Philippe Ward ?
Cette chronique est parue dans le numéro seize (février-mars 2012) du fanzine La Tête En l'Ere.
Télécharger le fanzine numéro 16 !
Dernière édition par Léonox le Dim 29 Sep 2013 - 14:49, édité 1 fois
Re: La bête immonde (M. Agapit)
Très belle chronique. Je me suis permis d'y ajouter une illustration et de souligner en rouge les titres concernés. J'ai ajouté aussi, en bas de page de ton article, le lien PDF du fanzine numéro 16.
Dernière édition par Zaroff le Dim 24 Mar 2013 - 21:29, édité 1 fois
Re: La bête immonde (M. Agapit)
Merci beaucoup.
Et tu as très bien fait, pour la couleur et l'illustration.
Et tu as très bien fait, pour la couleur et l'illustration.
Re: La bête immonde (M. Agapit)
C'est par l'intermédiaire de La Bête immonde - trouvée chez un bouquiniste au début des années 90 - que j'ai découvert l'œuvre de Marc Agapit. Par la suite, je me suis procuré d'autres romans de l'auteur mais aucun ne m'aura autant marqué que celui-ci. Certains sont même franchement mauvais : Opération lunettes magiques, Le miroir truqué...
Il n'en demeure pas moins que cette Bête immonde demeure fascinante et gagnerait à être plus connue. Il y a quelques années, j'avais entendu parler d'un projet de film mais cela n'a apparemment débouché sur rien...
Il n'en demeure pas moins que cette Bête immonde demeure fascinante et gagnerait à être plus connue. Il y a quelques années, j'avais entendu parler d'un projet de film mais cela n'a apparemment débouché sur rien...
Blahom- —Adorateur du (mauvais) genre— Chuchoteur dans les ténèbres
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